Dans un ouvrage à paraître début septembre 2021, « Maires de toutes les batailles, pour en finir avec l’hypocrisie décentralisatrice », Philippe Laurent, maire (UDI) de Sceaux, 2e vice-président de la métropole du Grand Paris et secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF), prône une reconstruction de la société française par une reconnaissance accrue du fait communal.
S’il fait partie des pionniers du Grand Paris, le maire (UDI) de Sceaux, qui fut un des premiers présidents de Paris métropole, le syndicat mixte qui préfigura la métropole du Grand Paris, n’accorde dans son dernier ouvrage que quelques lignes à ce sujet. Pour affirmer, en substance, que si la construction institutionnelle issue des lois Maptam et NOTRe n’est pas exempte de défauts, « cette nouvelle collectivité a au moins eu le mérite de ne rien coûter au contribuable puisqu’elle n’a pas été financée par la création d’un impôt spécifique ». « A terme, je pense qu’un impôt métropolitain additionnel sur le revenu serait une bonne option pour changer d’échelle de gouvernance, tout en travaillant l’articulation, sensible, avec la région Ile-de-France », poursuit d’ailleurs le 2e vice-président de la MGP.
« Pour l’heure, la Métropole n’est pas encore un levier de mutualisation et de rééquilibrage de son territoire suffisant, mais elle devra bien le devenir un jour, estime-t-il. Et cette mutualisation n’ira pas sans une péréquation plus poussée pour réduire les inégalités territoriales par une politique plus déterminée d’aménagement et de désenclavement. On peut ainsi souhaiter que la prochaine élection présidentielle permette de relancer cette dynamique, dont l’impulsion ne peut venir que d’en haut en l’occurrence, en conférant à terme plus de pouvoir et de poids politique à la Métropole », espère-t-il.
Réaffirmation du fait communal
Mais l’ambition de cet ouvrage dépasse de loin la petite couronne parisienne. Et c’est aux édiles de tout le pays que le secrétaire général de l’Association des maires de France entend s’adresser. Le maire de Sceaux estime que c’est par une réaffirmation du fait communal que l’on sauvera une société – et une démocratie – en panne. Le constat dressé dans cet ouvrage est connu : les dernières années ont été marquées par une recentralisation rampante, caractérisée par une réduction de l’autonomie fiscale des communes – le pouvoir de fixer librement le taux des impôts –, une baisse des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales et un fléchage des fonds octroyés par une multiplication des appels à projets, le pouvoir central s’assurant ainsi la maîtrise de la destination des subsides alloués à l’échelon local.
A l’Etat partenaire, prestataire de services d’ingénierie, financeur, s’est substitué un Etat normalisateur, tatillon, exerçant un niveau de contrôle des collectivités inversement proportionnel au montant des dotations allouées, estime en substance l’élu, qui regrette également la perte par les maires de leurs compétences d’urbanisme, transférées, à tort selon lui, aux intercommunalités.
Philippe Laurent dénonce également une hyper-concentration du pouvoir présidentiel en France, citant les 10 milliards d’euros annoncés par Emmanuel Macron lors d’un seul discours, prononcé à l’issue de la vaste concertation menée à la suite de la crise des gilets jaunes. Le peu de considération accordée par l’actuel locataire de l’Elysée aux corps intermédiaires, dont les maires, est également déploré.
« Qu’on ne s’y trompe pas, cette crise n’est pas uniquement celle d’une démocratie locale affaiblie. L’inadaptation de notre système institutionnel gangrène en réalité tout notre édifice républicain, rend inefficace l’action publique dans son ensemble et alimente la défiance de nos concitoyens en attente légitime de résultats qui ne viennent pas », estime-t-il.
Pour une « République décentralisée »
Face à cela, l’auteur formule une série de propositions (voir ci-dessous), au premier rang desquelles l’inscription dans la Constitution d’une vraie garantie de ressources propres aux collectivités territoriales. « L’urgence aujourd’hui n’est pas de proposer une nouvelle vague de réorganisation administrative ou de “clarification des compétences” – selon le jargon technocratique à la mode – mais de porter un projet de société ambitieux, qui remette de la responsabilité à tous les étages et fasse de cette responsabilisation retrouvée la clé du redémarrage du pays », écrit-il encore.
Mais l’intérêt de cet ouvrage réside également dans la description minutieuse qu’établit Philippe Laurent de son métier de maire, se livrant à un vibrant hommage de la proximité. Face à un président de la République parfois jugé froid et distant, le maire de Sceaux explique comment la tenue, depuis des décennies, des permanences électorales lui ont permis d’évoluer : « Le terrain vous apprend l’humain, vous familiarise avec cette pâte, cette matière instable et magnifique avec laquelle vous avez à composer pour rendre l’existence collective et individuelle plus douce », écrit-il.
Des maires visionnaires
Philippe Laurent assigne trois missions fondamentales aux maires : visionnaire, pour fédérer autour d’un projet, et donc d’une vision de l’évolution de leur ville. « Cela suppose une part de risque, évidemment, mais c’est aussi exaltant, à l’échelle d’un territoire même modeste, d’essayer de dessiner les contours de l’avenir qu’on souhaite pour soi-même ». Protecteur, ensuite, « comme une super assistante sociale au chevet de ses administrés, de leurs peurs et de leurs bobos, petits ou grands, réels ou fantasmés ». Manager, enfin, car « pour bien prendre soin de ses habitants, il faut commencer par prendre soin de ceux qui œuvrent précisément au service de ces derniers », dit le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT).
Se dessine, au fil des pages, le portrait d’un élu à la fois humaniste et pondéré : « Je suis donc devenu partisan d’un capitalisme modéré, qui rémunère fort légitimement la prise de risque des actionnaires, qui permet aux dirigeants talentueux de s’enrichir, mais dans des limites raisonnables et en contrepartie d’une performance avérée et qui rend aux salariés une partie des gains permis par leurs propres efforts quotidiens dans une réinvention de la “participation” chère à la pensée gaulliste », écrit-il, avant de faire l’éloge de l’impôt : « La fiscalité demeure le meilleur outil de régulation, qu’il s’agisse d’orienter le fonctionnement de ce capitalisme et de permettre une juste redistribution et une cohésion garanties par la puissance publique ».
Philippe Laurent, généralement peu enclin à parler de lui, dévoile ses origines, hybrides, avec un père, nordiste, qui commença sa carrière comme ouvrier, pour la finir ingénieur, gaulliste « comme tout le monde à cette époque », et plutôt conservateur, et une mère dont les parents, venus d’Espagne, agriculteurs, « pouvaient faire preuve d’activisme », « n’hésitant pas à déverser des cargaisons de fruits et légumes sur le perron de la préfecture ».
Le maire de Sceaux rend hommage à son épouse Béatrix, ainsi qu’à ses enfants, et évoque également ses trois oncles maternels, arboriculteurs, qui, « par une vie de labeur acharné et d’endettement auprès du Crédit agricole, ont développé une exploitation de première envergure, devenant les principaux producteurs de kiwis d’Europe et parmi les premiers producteurs de pommes en France ».
On voit à quel point le secrétaire général de l’Association des maires de France est le fruit de ses origines, lui-même étant connu pour être un travailleur acharné, alternant un engagement centriste, à l’UDI, et un côté électron libre, communaliste en diable, toujours prompt à décocher ses flèches contre l’Etat.
« D’abord, entreprendre une réforme de la Constitution pour passer d’une “République dont l’organisation est décentralisée” à la “République décentralisée”, en y ajoutant de vraies garanties d’autonomie pour les pouvoirs locaux », indique le maire de Sceaux parmi ses propositions. Cet expert en finances locales, pour avoir dirigé pendant une vingtaine d’années un cabinet spécialisé qui portait son nom, propose « de mettre en œuvre un partage des grands impôts actuels entre pouvoir central et pouvoirs locaux, en y ajoutant – c’est essentiel – la possibilité d’un veto du Sénat sur les clés de répartition ».
« Contractualiser avec les régions sur des politiques publiques – et pas seulement sur un niveau de dépenses –, pour que celles-ci deviennent de vrais aménageurs de leur territoire et garantissent l’équilibre entre métropoles et zones rurales ; traquer les doublons, bien trop nombreux et souvent marques de défiance et de refus de la haute administration de laisser le pouvoir aux acteurs locaux, entre l’État et les collectivités locales ; initier une vraie réforme du travail législatif pour accentuer l’évaluation ; casser la citadelle de Bercy en rattachant la direction du Budget – ainsi que celle de la Fonction publique – directement au Premier ministre afin que le budget du pays soit un outil au service de nos politiques publiques, en inversant la logique actuelle qui conduit les politiques publiques à se plier aux seules injonctions du ministère des Comptes publics », figurent également parmi ses préconisations. Philippe Laurent demande que l’on fasse confiance aux acteurs locaux « et que l’on leur laisse prendre des initiatives d’expérimentation, en leur attribuant un pouvoir réglementaire d’adaptation… »
Centralien, diplômé de Sciences Po, Philippe Laurent doit à Robert Parenty, alors sénateur des Hauts-de-Seine, son entrée en politique en 1976, à seulement 22 ans. Le parlementaire le recommande au maire de Sceaux, Erwin Guldner, qui cherchait alors un jeune pour compléter sa liste aux municipales. Et Philippe Laurent réside dans la commune voisine de Châtenay-Malabry, où il a suivi ses études d’ingénieur centralien. C’est Erwin Guldner qui lui transmet ce qui allait demeurer ses trois passions, raconte-t-il : la construction européenne, la décentralisation et la ville de Sceaux. Pour ce qui est de l’Europe, l’élu, qui préside depuis 2017 l’Association française des conseils et des communes et régions d’Europe, indique que son engagement pour cette cause est un de ses plus grands motifs de fierté. Il confesse son intérêt pour la culture, dont il obtint la délégation, auprès d’un maire qui lui dit d’abord, après qu’il lui ait demandé cette responsabilité : « Mais vous n’y connaissez rien… » « Justement », lui répondit Philippe Laurent. Aujourd’hui, la rénovation du théâtre des Gémeaux, « l’une des scènes les plus réputées d’Île-de-France, avec un public fidèle et une forte exigence artistique », constitue l’une des autres grandes fiertés de l’ancien président de la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC), tout comme la prise en régie municipale du cinéma scéen Le Trianon.
Ancien conseiller départemental, Philippe Laurent rend hommage à feu Charles Pasqua, à sa « redoutable efficacité », à son sens de la décision et sa considération pour les agents. De Nicolas Sarkozy, l’élu se souvient surtout de la brutalité avec laquelle il tenta d’obtenir son ralliement dès le premier tour de la présidentielle, l’ancien président de la République se montrant « fortement contrarié » du soutien du maire de Sceaux à François Bayrou. « Même si j’admire son énergie hors norme, je ne me suis jamais reconnu dans cette conception un peu brutale et parfois même clanique qu’il pouvait avoir de l’action publique dans une confusion marquée entre l’ambition qu’il nourrissait pour son pays en même temps que pour lui-même », écrit l’auteur.
Cela dit, Philippe Laurent salue le caractère visionnaire exprimé par Nicolas Sarkozy dans le cadre du Grand Paris. « Il faut admettre que l’équation, qui embarque la maire de Paris et la présidente de la région Ile-de-France, toutes deux femmes d’envergure aux tempéraments bien trempés et aux intérêts opposés, n’est pas des plus simples, considère l’auteur. Mais Nicolas Sarkozy a néanmoins été le premier à braquer les projecteurs sur cet enjeu majeur que constitue le renforcement d’une métropole à rayonnement mondial pour que la France conserve sa place dans le rang des puissances politiques et économiques qui comptent », estime-t-il.
« Malgré la dureté qui fut parfois la sienne et qui tranchait avec le raffinement dont il savait être capable, Patrick Devedjian était un homme brillant, d’une grande culture, possédant une sensibilité développée qu’il cachait trop souvent sous une ironie parfois cruelle, et dont tout le monde a pleuré la brutale disparition lors de la première vague de la pandémie », écrit également Philippe Laurent.
Extraits
Le poids des intérêts privés pèse comme jamais
« C’est, là encore, un paradoxe : alors que la législation a permis de normaliser et même de moraliser les relations entre sphère politique et sphère économique, la connivence s’est probablement renforcée, le poids des intérêts privés pèse comme jamais et ceci est aggravé par les allers-retours de certains entre haute administration et postes à responsabilités et rémunérations gracieuses dans l’entreprise. »
L’impérialisme du “je”
« L’impérialisme du “je” est venu percuter le concept de bien commun, l’idée de chose publique, au point que plus personne ne se reconnaît dans ces notions jugées ringardes et d’un autre âge. Cet affadissement de la volonté de faire ensemble, du sens du collectif, en vient à se retourner contre l’individu lui-même. On parle beaucoup du sens de l’engagement des jeunes en faveur de causes nouvelles, comme l’environnement. Mais il s’agit de tout sauf d’une cause désintéressée, puisque c’est la condition de notre survie, de l’avenir de la présence de l’humanité sur la Terre. »
Le rouleau compresseur des normes
« Comme si la haute administration d’État, non contente de sa propre inertie, avait envie d’embarquer le monde territorial dans sa galère. Une sorte de rouleau compresseur, parfois accentué par le poids de l’intercommunalité, vient ainsi écraser les initiatives et la vitalité locales sous le poids de normes de toute nature, de plus en plus nombreuses, de plus en plus complexes, de plus en plus absconses. »
Ressentiment
« Autrefois, chacun se projetait naturellement dans un monde où ses enfants étaient censés vivre mieux que soi-même ; depuis que cette certitude s’est inversée et que la peur du déclassement social s’est installée, on comprend aisément que l’atmosphère se soit durcie. Ceci transparaît très nettement dans les interpellations dont nous faisons l’objet, soit oralement, soit par écrit. S’y déchiffre souvent, de façon plus ou moins explicite, un certain ressentiment lié à la conviction d’être victime d’un traitement injustement défavorable, à la certitude que d’autres, pourtant pas plus méritants voire peut-être moins, seraient favorisés. »
Autonomie fiscale
« Dans quelques années, les impôts locaux auront purement et définitivement disparu, remplacés par des dotations. J’ai eu l’occasion, lors d’une rencontre du président de la République avec les membres du bureau de l’AMF, de lui poser la question suivante : “estimez-vous que l’autonomie fiscale est une condition de la décentralisation ?”. Il a répondu clairement : “non, d’ailleurs en Allemagne, il n’y a pas d’impôts locaux, et ça fonctionne très bien”. Grave erreur d’analyse : outre-Rhin, le partage des impôts nationaux ne concerne que les Länder, et il est négocié âprement chaque année, avec un veto possible du Sénat, conséquence du caractère fédéral de l’organisation politique allemande. Rien de tel chez nous, naturellement. Et les communes allemandes, elles, continuent de percevoir des impôts locaux. »
AMF
« L’AMF me semble en outre avoir vocation à fédérer toutes les associations d’élus du “bloc communal”, qu’il s’agisse du réseau des grandes villes, des villes moyennes, des petites villes, des maires ruraux, des intercommunalités, des communes de montagne ou du littoral, ou encore des associations plus spécialisées comme la FNCC, l’Anett (Association nationale des élus des territoires touristiques), l’Andes (Association nationale des élus en charge du sport), la Fnccr (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), etc. Ces nombreuses structures ont chacune leur raison d’être, leur réseau, leur expertise, leurs problématiques propres, qui justifient pleinement leur existence, que personne ne saurait remettre en cause. »
Maires de toutes les batailles, pour en finir avec l’hypocrisie décentralisatrice, 141 p. Ed. de l’Aube, à paraître le 2 septembre 2021.