Ph. Laurent : « Le transfert des PLU aux Territoires fut une grave erreur »

Maire de Sceaux, secrétaire général de l’Association des maires de France et vice-président de la métropole du Grand Paris, Philippe Laurent détaille l’impact de la pandémie sur les finances du bloc local. Selon lui, le transfert des plans locaux d’urbanisme aux territoires a constitué « une grave erreur ».

Quel message l’AMF adresse-t-elle aux maires, compte-tenu de l’incapacité actuelle du pays à enrayer le reprise violente de l’augmentation des cas quotidiens de contamination par la Covid-19 ? 

Philippe Laurent. © Jgp

Les maires de France ont de nouveau montré, pendant la première vague, leur capacité d’engagement et de mobilisation, avec leurs équipes, pour protéger, aider et accompagner leurs concitoyens. Et ce, dans toutes les communes, quelle que soit leur taille et malgré un contexte inédit (maires parfois battus au premier tour ou dans l’attente d’un second tour). C’est une nouvelle démonstration de l’importance majeure du maire et du fait communal dans notre pays. Naturellement, les maires de France répondront de nouveau « présents » dans les semaines difficiles qui nous attendent. L’Association des maires de France (AMF) continuera de les représenter auprès du gouvernement pour traduire leurs attentes (plus et mieux d’information et de concertation préalable par exemple) et à demander la préservation des ressources des communes, ce qui n’est pas du tout acquis actuellement.

A ce stade, quel impact la pandémie aura-t-elle sur les finances des collectivités du bloc communal en Ile-de-France, en particulier des intercommunalités, et quels conseils donnez-vous à vos collègues face à la perspective de décrue brutale de leurs ressources fiscales (CVAE, CFE, DMTO notamment) ? 

A l’heure actuelle, nous estimons le total des pertes de ressources et des dépenses supplémentaires à 8 milliards d’euros sur les trois années 2020-2021-2022. Ce total peut être naturellement accru en fonction des décisions prises en matière de reconfinement éventuel. Les compensations annoncées par l’Etat sont nettement insuffisantes, notamment parce que ce dernier refuse de prendre en compte les pertes de ressources tarifaires, particulièrement élevées pour les communes. Du reste, on sait maintenant que la clause dite de « sauvegarde » ne concernera qu’un nombre très limité de communes. Dans ces conditions, la capacité d’autofinancement du bloc local sera affectée et, partant, les capacités d’investissement fortement amoindries.

Compte tenu de l’absolue nécessité de maintenir le fonctionnement des services publics du quotidien pour éviter l’explosion sociale qui menace, il me semble que la priorité doit aller à la préservation des effectifs et des moyens de fonctionnement, même si les investissements – et malheureusement des facteurs de relance économique – en font les frais. L’urgence, aujourd’hui, c’est le social, c’est de s’occuper des gens, des seniors, des enfants et des jeunes. Et si possible de rassurer, en gardant un minimum de normalité dans la vie courante.

Quelles particularités, dans ce contexte, pour la métropole du Grand Paris, objet juridique sui generis, dont vous êtes le second vice-président aux finances et à l’information citoyenne ? 

La métropole du Grand Paris (MGP) ne gère pas les services du quotidien et c’est, du reste, parfaitement conforme à sa vocation. Elle détient en revanche des responsabilités en matière de planification, de normalisation, de rééquilibrage et d’investissements structurants à long terme, à son échelle. Il serait ainsi conforme à l’intérêt général qu’elle renforce ces responsabilités, pour agir sur le long terme pour une métropole résiliente, où chaque territoire est reconnu pour ses spécificités et sa participation à la construction métropolitaine. C’est une intercommunalité, la métropole des maires. Et ceux-ci savent parfaitement qu’ils ne peuvent pleinement exercer leur rôle, à la fois de proximité pour leurs habitants et de développement de leur territoire communal, que dans un cadre global leur apportant la sécurité et la solidarité nécessaires. La MGP est ainsi un acteur suffisamment proche des maires pour que chacun y trouve sa place et participe à la définition de ce cadre global et suffisamment éloigné pour ne pas avoir la tentation de tout gérer à leur place.

Pour autant, et comme toutes les intercommunalités, la MGP verra ses ressources fortement impactées dans les deux années qui viennent, même avec la clause de sauvegarde mise en œuvre par l’Etat. Il faudra bien, enfin, que les élus locaux de l’Ile-de-France et l’Etat se parlent et s’entendent pour savoir ce qu’ils veulent : une métropole parisienne soumise à tous les égoïsmes, à l’appétit immédiat des acteurs privés et au développement incontrôlé, ou une tentative pour organiser un ensemble urbain où chacun trouve sa place pour vivre et s’épanouir en contribuant aux transitions indispensables.

Un mot sur la concertation que vous souhaitez lancer ? 

Justement, il s’agit de donner la parole aux citoyens, directement et sans filtre, pour qu’ils disent, eux, ce qu’ils veulent pour la métropole dans laquelle ils vivent. Nous partons du principe que les habitants sont les meilleurs experts de la métropole !

Nous avions déjà engagé ce type de démarche avec succès au temps de Paris métropole, avec une enquête et une vingtaine de réunions citoyennes. Les habitants ont parlé de leurs attentes, conscients de leur double appartenance : à leur commune et à leur quartier d’une part, mais aussi à ce grand ensemble humain métropolitain d’autre part, à la fois porteur d’inquiétudes, d’appréhensions, mais également de grandes chances et d’opportunités de toute nature !

© Jgp

Il s’agit de conduire un exercice comparable, cinq ans après la mise en place institutionnelle, dans les conditions compliquées que l’on sait, de la MGP. Nous en attendons à la fois le retour de la perception des habitants sur le fait métropolitain et aussi une meilleure connaissance de la métropole elle-même par l’opinion publique.

Quel cahier des charges pour la poursuite du Forum métropolitain, sauvé in extremis ?

J’ai en effet participé à ce sauvetage. D’abord parce qu’il me semblait que le Forum devait à tout le moins être la mémoire des échanges, débats et travaux qui ont eu lieu au fil des 20 dernières années et qui représentent le récit d’une aventure humaine incomparable, même si certains sont déçus des résultats actuels. Garder cette mémoire – et surtout la redécouvrir – peut nous permettre de progresser. J’y ajoute les travaux de feu l’Atelier international du Grand Paris, qui a connu une effervescence intellectuelle extraordinaire et actuellement négligée…

Ensuite, parce que le Forum reste un lieu d’échanges et de débats, et uniquement cela. Nous en avons besoin, car ce que nous nous disons dans un cadre institutionnel est trop souvent interprété « politiquement ». Enfin, parce que doivent y participer des élus de Paris, de la petite couronne et de la grande couronne, avec la volonté de créer aussi le lien avec l’institution régionale, autre acteur indispensable et dont il faudra bien trouver une meilleure articulation institutionnelle avec la métropole du Grand Paris.

La gravité de la crise va-t-elle enfin amener le président de la République à prendre des décisions pour améliorer l’articulation des différents niveaux d’administration locale au sein de la région Capitale ? 

Naturellement, elle le devrait. Et je pense qu’une prise de décision finira par s’imposer. Deux questions principales se posent : l’avenir des établissements publics de territoire et l’articulation institutionnelle région-métropole. En transférant aux premiers la compétence des plans locaux d’urbanisme au détriment des communes (presque toutes de taille relativement importante), la loi NOTRe en a fait des organisations « politiques » et non plus seulement intercommunales et techniques, tournées vers la seule gestion d’équipements communs. Ce fut une grave erreur, source de vives tensions, qu’il faut réparer au plus vite. Quant à l’articulation région-métropole, elle appelle nécessairement une évolution institutionnelle de la région. La future loi sur la différenciation territoriale pourrait y aider.

Pour autant, l’accumulation des difficultés et des urgences de toute nature qui pèse actuellement sur l’exécutif national me laisse à penser que le dossier de la région Capitale devra encore attendre, probablement jusqu’à l’échéance présidentielle…

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