Assises du Grand Paris (3) – L’enjeu de la décarbonation de la région Capitale

La deuxième matinale des Assises du Grand Paris, organisées en partenariat avec la métropole du Grand Paris et de nombreux opérateurs d’Ile-de-France, a réuni le 11 mai 2023 les acteurs franciliens des énergies et des réseaux au siège de la Fédération régionale des travaux publics (Paris 8e arr.). « Comment accélérer la décarbonation de la région Ile-de-France ? » était le thème de la première table-ronde.

Lancées le 18 avril par les premières matinales des clubs « Logements » et « Adaptation du bâti », les Assises du Grand Paris (lire ci-dessous) poursuivent leur déroulement avec les secondes matinales qui ont eu lieu le 11 mai au siège de la Fédération régionale des travaux publics (8e arr.) autour de deux thématiques : « Energies et réseaux » et « Mobilités et logistique », abordées au cours de quatre tables rondes. La première avait pour thème : comment accélérer la décarbonation de l’Ile-de-France ?

« Le constat est sans appel, a estimé, en introduction, Jérémie Almosni, directeur régional de l’Ademe Ile-de-France. Si nous avons, en 13 ans, doublé le taux d’énergies renouvelables dans la région, réalisé des économies d’énergie et diminué les émissions de gaz à effet de serre, nous sommes en deçà des objectifs fixés par le SRCAE (schéma régional climat air énergie) voté en 2012 et restons à 90 % dépendants d’énergies importées ».

Jérémie Almosni, directeur régional de l’Ademe Ile-de-France. © Anh de France

Décarboner la région Capitale suppose donc la mise en œuvre d’un triptyque : plus de sobriété, plus d’efficacité et un développement rapide des énergies renouvelables et de récupération. Sur les trois domaines, des efforts restent à faire. Ainsi, a rappelé Christelle Insergueix, directrice de l’Arec (Agence régionale énergie-climat), si les consommations énergétiques ont, en moyenne, diminué de 15 % entre 2005 et 2019, elles ont progressé de 5 % dans le secteur tertiaire. « Or, dans tous nos scénarios visant à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, une diminution d’environ 40 % des consommations énergétiques est nécessaire », a rappelé Séverine Laurent, directrice des affaires publiques Ile-de-France de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité.

Christelle Insergueix, directrice de l’Arec (Agence régionale énergie-climat) est intervenue en introduction de la seconde matinale des Assises du Grand Paris. © Anh de France

En outre, a précisé Christelle Insergueix, les énergies renouvelables et de récupération (Enr&r) représentent moins de 9 % de l’équation énergétique régionale. Or l’objectif est qu’elles en constituent 100 % en 2050. De plus, si beaucoup ne sont pas suffisamment développées, certaines, au contraire, ont eu « trop » de succès : il s’agit notamment du bois-énergie résidentiel, autrement dit des cheminées et inserts installés dans les pavillons. « Leur progression de 44 % sur la période soulève des enjeux de qualité de l’air », a souligné la directrice de l’Arec.

Nicolas Goldberg, partner énergie et environnement chez Colombus consulting et garant des débats. © Anh de France

Une augmentation de 50 % de la consommation d’électricité

Une fois ce constat effectué, que faire ? S’il est important, a estimé Nicolas Goldberg, partner énergie et environnement chez Colombus consulting et garant des débats, d’arriver à faire croître toutes les énergies renouvelables, il est encore plus crucial d’accélérer la production d’électricité renouvelable, qui ne représente que quelques pourcents des Enr&r produites dans la région. « Le développement des mobilités électriques, des nouveaux usages, mais aussi la construction de data centers, va générer un accroissement de l’ordre de 40 à 50 % de la consommation électrique de la région », a-t-il prévenu. Un ordre de grandeur qu’a corroboré Séverine Laurent. « Nous prévoyons que la consommation électrique francilienne passe de 60 à environ 90 TWh d’ici à 2050 », a-t-elle précisé. Elle a également confirmé le poids croissant des data centers : « nous comptabilisons à peu près 3 GW de puissance contractualisée pour se raccorder sur le réseau de transport, c’est équivalent à la pointe de la consommation parisienne », a-t-elle souligné, questionnant : « faut-il une réflexion sur les besoins réalistes et raisonnables à réserver pour ces usages ? »

Séverine Laurent, directrice des affaires publiques Ile-de-France de RTE. © Anh de France

« Le numérique représente déjà 2,5 % de l’empreinte carbone en France et, si rien n’est fait, elle atteindra 7 % en 2040 car le trafic progresse de 30 % chaque année », a confirmé Laurence Thouveny, directrice d’Orange Ile-de-France. L’opérateur de télécommunications a donc pris les devants, en s’engageant à atteindre la neutralité carbone dès 2040. Si les nouveaux réseaux (fibre, 5G) sont moins énergivores que les anciens, a assuré la responsable de l’opérateur, encore faut-il éteindre les seconds, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Cela sera fait pour le réseau en cuivre en 2030, tandis que les réseaux 2G et 3G seront également prochainement décommissionnés. Pour atteindre ses ambitions, Orange a aussi signé plusieurs contrats d’achat d’énergies renouvelables. Ces PPA (power purchase agreement) « contribuent à développer des fermes solaires et des éoliennes », a souligné l’opérateur.

Séverine Laurent, directrice des affaires publiques Ile-de-France de RTE, Laurence Thouveny, directrice Orange Ile-de-France et Jacques Paquier, directeur de la rédaction du Journal du Grand Paris. © Anh de France

De g. à dr. : Séverine Laurent, directrice des affaires publiques Ile-de-France de RTE, Laurence Thouveny, directrice Orange Ile-de-France, Jacques Paquier, directeur de la rédaction du Journal du Grand Paris, Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis, Sébastien Quenet, directeur de cabinet à EDF Ile-de-France, et Nicolas Goldberg, partner énergie et environnement chez Colombus consulting. © Anh de France

Accélérer les raccordements

Souvent, ces parcs se trouvent en dehors de la région Capitale. Car 95 % de l’électricité consommée en Ile-de-France vient d’autres régions françaises, ce qui suppose des réseaux particulièrement solides et maillés. Tel est bien le cas en Ile-de-France, ont rassuré RTE et Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution. Ce dernier va cependant augmenter très sensiblement ses investissements ces prochaines années, a expliqué Frédéric Courault, son directeur délégué grands projets Ile-de-France. « Ils vont atteindre plus de 5 milliards d’euros par an à l’échelle nationale d’ici à 2040 ».

Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis. © Anh de France

Pour que le réseau électrique local soit au cœur de la décarbonation de la région, l’opérateur a défini trois priorités : raccorder plus rapidement les énergies renouvelables, accompagner la construction de points de recharge pour les véhicules électriques, tant sur le domaine public que dans l’habitat collectif, et contribuer à décarboner le secteur de l’évènementiel en installant des bornes souterraines raccordées au réseau. « Leur déploiement en nombre insuffisant constitue un frein au développement de notre parc de véhicules électriques », a confirmé Laurence Thouveny chez Orange.

Frédéric Courault a également appelé de ses vœux une plus grande concertation entre acteurs dans le développement des Enr&r « car il y a des endroits où leur raccordement nécessite plus de travaux qu’à d’autres ». « Il faudrait également procéder aux réservations foncières nécessaires pour accueillir les ouvrages publics de transport d’électricité », a renchéri Séverine Laurent.

De nombreux data centers, très gourmands en électricité, sont en projet dans la région. Ici, le campus de data centers de Data4 à Marcoussis (Essonne). © Data4

Un potentiel très significatif

Mais si le développement de l’électricité d’origine renouvelable est urgent, le potentiel de chaleur renouvelable est lui aussi sous-exploité. « Nous pourrions valoriser mieux les actifs existants, notamment les réseaux de chaleur, encore sous-utilisés », a estimé Jérémie Almosni. Ce dernier milite également pour que soit mieux utilisée la chaleur « perdue », dégagée par les incinérateurs d’ordures ménagères et par les data centers. Enfin, si l’Ile-de-France est, d’ores et déjà, la région la plus dense en géothermie, il est encore possible de développer cette source d’énergie souterraine. « Une étude récente menée avec le BRGM (bureau de recherches géologiques et minières) montre qu’elle pourrait couvrir 50 % des besoins en chaleur et en froid de la région ».

Sébastien Quenet, directeur de cabinet à EDF Ile-de-France. © Anh de France

Directeur de cabinet d’EDF Ile-de-France, Sébastien Quenet a, pour sa part, souligné le retard de la région en matière de pompes à chaleur : « elles produisent 1 TWh en Ile-de-France, contre 30 pour la France entière. Il est possible de décupler la production francilienne, mais c’est un angle mort des stratégies de décarbonation. On peut fixer tous les objectifs qu’on veut, il faut des hommes et des femmes pour le faire, et il manque de la main d’œuvre compétente ».

Pour que les Enr&r décollent vraiment, il serait nécessaire, a-t-il poursuivi, que « chaque territoire s’empare de la question et réalise un diagnostic pour déterminer ce qu’il faut faire à son échelle. Il faut un peu de planification pour que voient le jour des actifs de réseau et de production énergétique ».

La géothermie offre un grand potentiel de chaleur renouvelable. Ici, la centrale de géothermie de Vélizy (Yvelines). © Jgp

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