Tribune – La grande couronne veut son big bang

Dans une tribune, cinq présidents et un président délégué d’intercommunalités de la grande couronne francilienne appellent à une réflexion spécifique sur les rapports entre la métropole du Grand Paris et les territoires de grande couronne. Et demandent un big bang en termes de mobilité, de développement économique, de fiscalité, etc.

Le renouvellement électoral passé, et surgit le débat, légitime finalement, de la recomposition de nos institutions nationales et territoriales. Alors que le président de la République s’apprête à réunir une conférence des territoires pour l’Ile-de-France, il nous revient d’exprimer une voix forte, celle de la grande couronne francilienne, de ses six millions d’habitants, qui aura échoué si elle se cantonne à un positionnement périphérique. La grande couronne doit s’affirmer, non pas en posant des digues, mais en s’inscrivant dans la dynamique métropolitaine, avec ses forces, ses atouts, son identité, et surtout son envie, son audace, celle de bâtir des projets, là où il n’est souvent plus possible de le faire dans le cœur métropolitain. Aussi, si nos territoires ont besoin d’un choc, ce dernier n’est pas institutionnel, mais politique au sens noble du terme : un choc pour le logement et aussi pour le transport, la fiscalité, l’emploi et le développement durable de nos territoires !

Depuis une trentaine d’années, une transition territoriale profonde est à l’œuvre, intimement liée au changement de modèle économique issu de la mondialisation. La tendance spontanée est à la concentration des richesses, de la population et de l’emploi dans les villes, en particulier dans les métropoles. En effet, le nouveau modèle économique privilégie les écosystèmes de croissance, c’est-à-dire des territoires denses où se crée l’innovation par des relations étroites entre entreprises, formation et recherche – autrement dit, quelques grandes aires urbaines très bien insérées dans les réseaux d’échanges. Et à côté, les autres…

Les métropoles portent, elles aussi, de profondes inégalités qui se traduisent par des disparités fortes entre territoires les composant. Plus largement, la fracture ne se situe pas forcément entre les territoires urbains et les territoires ruraux, mais entre les « territoires en mouvement » et les « oubliés ». En Ile-de-France, la pauvreté passe du simple au triple d’un département à un autre.

Francis Chouat

Francis Chouat, président de Grand Paris Sud. © DR

Disons aussi clairement les choses, les lois de décentralisation de 1982, si elles ont apporté de la vitalité à nos territoires, ont aussi pu avoir pour travers de faire entrer en concurrence les territoires entre eux et d’aggraver ces tensions sociales. De ce point de vue, le débat lancé il y a dix ans maintenant relatif au Grand Paris était déterminant. Pour créer de la solidarité, pour rapprocher, pour porter des projets, renforcer ce territoire et moderniser la première métropole d’Europe, ses 12 millions d’habitants et ses 620 milliards de PIB (1/3 du PIB national).

Les territoires de grande couronne, ces « petites Frances » n’échappent pas à la règle, et concentrent ces mêmes fractures, avec même d’un quartier ou d’une ville à l’autre l’alignement de pôle d’innovation, d’espaces naturels, de grands ensembles fragiles et de zones rurales. La grande couronne est par ailleurs confrontée à un second défi, celui de trouver sa position entre le cœur métropolitain et les territoires ruraux avec ce risque permanent de décrochage.

La constitution de plus grandes agglomérations en 2016 a voulu, en dépit des débats qui ont animé leur construction, apporter des réponses à ce double enjeu : constituer une force permettant à la fois d’atténuer les concurrences inter-territoriales et de peser à l’échelle de la métropole francilienne en misant sur une approche multipolaire de l’Ile-de-France. Autant de raisons qui imposent une réflexion spécifique sur les rapports entre la métropole du Grand Paris et les territoires de grande couronne.

Ce besoin métropolitain

Il faut offrir au Grand Paris et à sa grande couronne un outil à la hauteur de l’ambition que nous avons pour notre capitale et sa banlieue. La constitution de la métropole a été une première réponse. Elle était utile. Il convient de renforcer la dynamique métropolitaine. Pourquoi ? Non pas pour rajouter une « couche » supplémentaire, mais pour donner du souffle, transcender notre ville capitale. L’appel à projets « Inventons la métropole du Grand  Paris » a été un premier foisonnement formidable qui a permis d’accélérer un grand nombre de projets, de revitaliser des quartiers, d’irriguer nos territoires du sceau de la modernité, de l’innovation. Nous allons accueillir les Jeux olympiques dans sept ans qui permettront de dynamiser notre développement et de faire rayonner la ville monde. La métropole constitue cette structure boostant notre développement. Et nous en avions bien besoin.

Eric Braive

Eric Braive, président de Cœur d’Essonne Agglomération. © DR

Ce besoin métropolitain doit s’inscrire en parfaite complémentarité avec la région Ile-de-France qui, avec l’accès à la mer, doit pouvoir renforcer son positionnement stratégique au service de l’équité territoriale.

Avant tout, stabiliser les cartes territoriales et renforcer les intercommunalités

Le débat lancé sur les institutions ne manquera pas de faire foisonner moult nouvelles propositions. Nous appelons néanmoins à une stabilisation de la carte territoriale, des périmètres des intercommunalités actuelles, non pas au nom de la conservation des acquis mais au nom de la raison. N’oublions pas que derrière chaque réforme, et la dernière est récente (2015-2016), il y a des femmes, des hommes. Les habitants d’abord que nous devons associer dans la mise en place de nos politiques publiques. Nos agents territoriaux aussi qui ont redoublé d’énergie, d’efforts pour transformer des textes de loi relatifs à notre organisation institutionnelle en organisations physiques, en regroupement de services au service de nos territoires et du public. Les élus locaux ont aussi assumé leurs responsabilités.

Louis Vogel

Louis Vogel, président de Melun-Val de Seine. © DR

Le processus de construction d’intercommunalités solide est désormais bien enclenché en Ile-de-France. Il convient de le renforcer. Cela passe par la consolidation de leur périmètre et de leurs interventions. Leur mise en œuvre fonctionnelle et opérationnelle est lourde et longue. Nous demandons par conséquent une « pause » dans le cadre institutionnel des intercommunalités, au nom du pragmatisme et de l’efficacité. Cette position ne signifie pas l’édification de digues, mais la mise en place d’un autre mode de partenariat. Cela ne signifie pas davantage l’immobilisme ; nous sommes en effet convaincus que la simplification de notre mille feuille administratif est nécessaire. Mais cela passe par la consolidation du fait intercommunal.

Pour une intégration par le projet

Les frontières des départements, la réalisation dans un calendrier respecté et historique (moins de 15 ans) du métro du Grand Paris express ou la création de la métropole du Grand Paris pourrait générer une nouvelle coupure entre le cœur métropolitain et la grande couronne. C’est un risque et c’est de notre responsabilité de non seulement lutter contre cette fragmentation croissante de l’espace régional francilien, mais aussi être acteur, moteur de l’attractivité du Grand Paris.

Nous refusons cette possible marginalisation parce que nous sommes aussi le Grand Paris. Parce que se concentrent en grande couronne des opportunités, des potentialités, de l’audace et des atouts que nous ne trouvons nulle part ailleurs en Ile-de-France. Nous vivons des territoires qui osent le développement, la transition énergétique et qui savent préserver des espaces naturels à partager.

Nulle part ailleurs nous pouvons trouver des disponibilités foncières pour l’emploi et l’activité, pour la construction de logements (la grande couronne produit 50 % des logements franciliens en cours de construction).

Oui, nous sommes le bon compromis entre le cœur parisien et la province, représentant ainsi un atout de poids pour la métropole.

Patrick Renaud

Patrick Renaud, président de Roissy Pays de France. © DR

Nos agglomérations de grande couronne doivent contribuer au rayonnement de la métropole dans une approche multipolaire, instituant un lien avec l’institution métropolitaine. Et c’est par le projet que ce lien peut se faire soit par une forme de continuité territoriale (fleuve, forêt), soit dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, soit par un projet qui a vocation à faire destination à l’échelle de la ville-monde. Les Jeux olympiques sont par exemple une occasion unique pour faire démonstration de cette dynamique multipolaire associant la grande couronne.

C’est également par le projet que des liens doivent se construire entre les agglomérations (stratégie commerciale, bassins d’emploi, etc.) ou avec les territoires ruraux (alimentation, agriculture, biodiversité).

La grande couronne veut choquer !

Nous affirmons notre vision multipolaire de la métropole. Conforter les pôles structurants de grande couronne à vocation métropolitaine est l’enjeu majeur, c’est une condition fondamentale afin qu’ils puissent incarner un polycentrisme dynamique et jouer leur rôle de trait d’union entre territoires.

Nous pouvons souscrire au choc de l’offre de logement pour lequel nous assumons nos responsabilités. Mais pour que les agglomérations de grande couronne exercent vraiment leur mission de centralité à l’échelle de bassin de vie de 300 000 à 500 000 habitants voire plus, ce choc doit être multipolaire à travers quatre grands domaines d’exigence à partager et à contractualiser : la mobilité, la formation, le développement économique, la fiscalité. Sur tous ces sujets, nos territoires demandent un choc de l’offre !

La mobilité

530 km de bouchons constatés en Ile-de-France le 20 septembre. Chaque année, ces pics sont battus. Le temps passe et nos territoires s’éloignent chaque année un peu plus du cœur métropolitain. La place de la voiture a diminué partout en Ile-de-France a diminué sauf en grande couronne. La vie métropolitaine et régionale ne prend sa pleine ampleur que servie par une mobilité efficiente. Que ce soit pour satisfaire les besoins en ressources humaines des entreprises, pour exploiter pleinement l’offre éducative disponible, pour permettre un accès large des habitants à la richesse culturelle existante, pour faire prospérer des usages loisirs et tourisme internes, etc., les déplacements ont besoin d’être favorisés et optimisés.

Paul-Miguel

Paul-Miguel, président de Paris-Vallée de la Marne. © CA-Myriam-Tisserand

Nous souhaitons un choc en faveur des RER et de leur nécessaire rénovation ; un choc en faveur du maillage en offre de transport (tramway, TZen, bus, etc.) avec la constitution d’une « Francilienne du transport public collectif » ; un choc pour le désengorgement des grandes lignes de trains dans la Capitale et la création de gare TGV en périphérie urbaine ; un choc en faveur de la refonte de la place de l’automobile !

La formation

Nous devons aussi renforcer un développement endogène, autonome où chaque jeune ou professionnel peut rencontrer des solutions de formation de proximité et adaptées à l’offre d’emploi. Pour ce faire, nous souhaitons que les agglomérations de grande couronne, aux côtés de la région, soient parties prenantes et « co-compétentes » en matière de formation.

Plus précisément, nous souhaitons le déploiement d’une logique de campus en grande couronne : campus scientifique et technologique de Saclay, campus Descartes de Marne la vallée, campus de Cergy, campus de l’industrie et du numérique à Grand Paris Sud…

L’aide au développement économique via des activités ciblées

Dans la même logique que pour la formation, compte tenu des limites de la mobilité, les pôles de centralité de grande couronne doivent comporter une assise d’activités tertiaires. Actuellement, le tertiaire est concentré à 90 % sur Paris, le croissant la Défense/Issy-les-moulineaux et Saint-Denis. Or un territoire sans tertiaire est un territoire déséquilibré au sens où il ne peut accueillir des fonctions de recherche, d’innovation, de direction d’entreprises. Cela impacte la capacité de création d’emploi local et au-delà la capacité des collectivités à proposer des niveaux satisfaisants d’équipements, de services et de cadre de vie. Pour ce faire, nous souhaitons que les agglomérations de grande couronne bénéficient de conditions fiscales attractives pour les investisseurs en tertiaire.

Michel Bisson

Michel Bisson, président délégué de Grand Paris Sud. © DR

De plus, nous souhaitons, à l’échelle régionale, la mise en œuvre d’une politique « de sortie organisée » des activités industrielles vers la grande couronne, tout simplement pour conserver nos industries en Ile-de-France.

La logistique, logiquement accrochée à la Francilienne, doit également faire l’objet d’une attention particulière pour intégrer ses nouveaux enjeux (fluviaux, dernier kilomètre, etc.). Nous souhaitons, à l’échelle régionale, la mise en œuvre d’une politique logistique intégrant toutes ses dimensions.

La fiscalité

En conséquence, nous souhaitons de conditions fiscales attractives pour les investisseurs dans les agglomérations de grande couronne, afin de soutenir l’activité tertiaire et par là-même l’équilibre, l’autonomie, l’attractivité et la contribution à la réussite métropolitaine de ces territoires.

Nous souhaitons également une fiscalité sur les activités polluantes et les déchets reçus et subis par la grande couronne en raison du développement de la métropole. Si l’objectif à moyen terme est bien d’intégrer des pratiques de sobriété et de recyclage au plus près de leur création, à court terme, une fiscalité spécifique sur ces postes permettrait d’intégrer leurs coûts, de soutenir les agglomérations de grande couronne et de se donner les moyens d’enclencher la transition écologique.

Oui, la grande couronne veut son big bang, pas institutionnel, mais un big bang du quotidien. Et pas contre les autres territoires du cœur métropolitain, mais avec eux !

Francis Chouat, maire d’Evry, président de Grand Paris Sud

Michel Bisson, maire de Lieusaint, président délégué de Grand Paris Sud

Eric Braive, maire de Leuville-sur-Orge, président de Cœur d’Essonne Agglomération

Paul Miguel, président de Paris-Vallée de la Marne

Patrick Renaud, président de Roissy Pays de France

Louis Vogel, maire de Melun, président de Melun-Val de Seine

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