Colloque logement de l’Epfif : de nouvelles pistes face à la crise

Créer un statut de micro-promoteur pour les propriétaires de pavillons souhaitant y bâtir des logements, instaurer une taxe foncière unifiée, en finir avec les règles distinguant le neuf et l’ancien ou avec celles déterminant les zonages : les participants du colloque « logement » de l’EPF d’Ile-de-France ont rivalisé d’inventivité, lundi 5 décembre, pour brosser leurs pistes de sortie de la crise du logement.

Pari tenu pour l’EPF d’Ile-de-France qui souhaite chaque année se distinguer dans la profusion de colloques organisés sur le logement, secteur en crise comme chacun sait. Avec deux fondamentaux : appeler les choses par leur nom, sans excès de langue de bois et – surtout – proposer des solutions.

Le président de l’EPF Jean-Philippe Dugoin-Clément a ouvert le bal en appelant à un retour de l’intéressement fiscal des maires à l’acte de construire. Une récompense fiscale aujourd’hui réduite à sa portion congrue avec la suppression de la taxe d’habitation. « La machine politico-administrative n’est pas adaptée au défi du temps », a souligné Sarah Tessé, cheffe de projet « Territoires et société » à France stratégie, qui s’exprimait également en ouverture de ce colloque organisé au théâtre de l’Alliance française, connu pour accueillir l’enregistrement du Masque et la plume, sur France inter.

1re table ronde du colloque de l’EPF Ile-de-France, lundi 5 décembre 2022. © Jgp

Pierre-René Lemas a plaidé pour un « semi-fédéralisme ». © Jgp

Pierre-René Lemas, haut fonctionnaire (auteur de « La qualité des logements sociaux », rapport au gouvernement, 2021), a dénoncé « la folie » de la construction institutionnelle francilienne, appelant à une simplification. L’ancien secrétaire général de l’Elysée milite pour l’avènement d’un système de « semi-fédéralisme », accordant une autonomie bien supérieure qu’aujourd’hui aux Régions. Eric Cesari, vice-président de la Métropole, a affirmé à son tour sa conviction de la nécessité d’en finir avec une vision uniforme des territoires.

Éloge de la régulation publique

Alors que Gaylord Le Chequer, premier adjoint de Montreuil (Seine-Saint-Denis), faisait l’éloge de la régulation publique face à un marché tout puissant qui ne voit partout que son intérêt, Eric Cesari a attiré l’attention sur les effets d’aubaine de certains mécanismes de régulation, à l’image des chartes promoteurs, qui plafonnent le prix de sortie des appartements neufs, mais pas celui de leur revente quelques années plus tard. Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement et actuelle présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), a également milité pour une régulation publique plus intense, citant l’exemple des quartiers de gare, « où il faut que l’on exige une densité minimale et que l’on ne se contente pas d’y construire des logements en R+2 ».

Le géographe Daniel Béhar a défendu à son tour un rôle de l’Etat et du législateur qui, plutôt que d’imposer des règles uniformes et descendantes, consisterait à « organiser la coopération, la négociation horizontale entre les territoires ». Une coopération entre communes nécessaire pour que les Franciliens bénéficient de véritables parcours résidentiels, a fortiori à l’heure du zéro artificialisation nette (ZAN).

Le professeur à l’École d’urbanisme de Paris a décrit une intercommunalité impossible en Ile-de-France, compte tenu de l’absence de villes-centres entourées de villages, schéma qui préside dans la plupart des régions françaises. « Si l’on a été capable d’atteindre l’objectif annuel de production de 70 000 logements par an, c’est bien que les outils actuels le permettent », a-t-il martelé cependant, attribuant essentiellement aux questions d’acceptabilité sociale la crise actuelle de la construction. Car pour Daniel Béhar, le pouvoir conféré aux maires par l’attribution à leur niveau de la délivrance des permis de construire fait de la France un pays « hyper-décentralisé », contrairement à une idée reçue.

A ce sujet, Gilles Bouvelot, directeur général de l’EPF francilien, s’est inquiété d’une évolution actuelle vers un droit à l’anglo-saxonne, par laquelle les autorisations d’urbanisme seraient désormais négociées avec la population. Emmanuelle Cosse a déploré en l’espèce que les règles de constructibilité édictées par les plans locaux d’urbanisme intercommunaux soient considérées comme des plafonds, aboutissant à une sous-densité dans de nombreux quartiers.

Densification pavillonnaire

La densification pavillonnaire s’est vue présentée comme une planche de salut, susceptible de permettre à elle seule d’atteindre les objectifs de construction franciliens. Pour peu, comme l’a dit Lily Munson, conseillère au cabinet du premier adjoint de la maire de Paris Emmanuel Grégoire (auteure de « Comment le petit propriétaire d’un pavillon de banlieue peut résoudre la crise du logement », Terra Nova, mars 2022.), que l’on lotisse 70 m2 sur 5 % des pavillons franciliens. A condition, toutefois, que l’on accompagne les propriétaires de pavillons concernés, et que l’on crée par exemple un statut de micro-promoteur sécurisant ces opérations en permettant à leurs porteurs d’accéder plus facilement au financement bancaire.

Lily Munson, conseillère au cabinet du premier adjoint de la maire de Paris Emmanuel Grégoire. © Jgp

Eric Cesari. © Jgp

Mais la proposition la plus iconoclaste de cette matinée est provenue de l’économiste Alain Trannoy, qui milite pour que la taxe foncière, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de même que l’imposition sur les revenus locatifs soient supprimés et remplacés par une seule et même taxe foncière unifiée d’un montant de 1 % du prix des terrains concernés. Une taxe qui aurait la double vertu d’imposer beaucoup plus qu’aujourd’hui la détention de foncier inoccupé tout en n’augmentant pas les prélèvements de ceux qui densifient les emprises qu’ils détiennent. Habile à l’heure du ZAN. « Les différentes taxes que l’on supprimerait représentent un produit de 70 milliards d’euros. Or une évaluation à la louche de la valeur des terres de France s’élève à 7 000 milliards d’euros », a indiqué l’économiste, confirmant qu’une taxation à 1 % de cette manne garantirait un produit fiscal égal. L’Estonie, le Danemark ou Taïwan se seraient dotés d’une telle taxe foncière unifiée.

Réversibilité

Michèle Raunet (Cheuvreux notaires) a cité en exemple l’expérimentation menée à Bordeaux dans le cadre de la loi Caps (*), allégeant les autorisations d’urbanisme requises pour changer la destination de bâtiments désormais conçus pour prévoir leur réversibilité dès l’origine. « Le monde de l’’immobilier s’est bâti autour de l’acte de construire », a-t-elle rappelé, dans un monde qui, désormais, doit s’orienter toujours davantage vers la transformation du « déjà-là ».

Michèle Raunet, Cheuvreux notaires. © Jgp

Nicolas Gravit, DG d’Eiffage aménagement, entouré d’Emmanuelle Cosse (USH), Thierry Lajoie (Quartus), Stéphanie Dupuy-Lyon (ministère de la Transition écologique) et Albane Gaspard (Ademe). © Jgp

Stéphanie Dupuy-Lyon (ministère de la Transition écologique) a appelé à réformer le vocabulaire et les normes, à rompre, par exemple, « avec les règles distinguant le neuf et l’ancien, ou avec celles déterminant les zonages ». Albane Gaspard, en charge de la prospective du bâtiment et de l’immobilier à l’Ademe (auteure du « Bâtiment à l’horizon 2050 », rapport de juin 2022), a indiqué que la sous-occupation chronique des logements, avec un ratio de taille de logement par occupant passé de 20 à 40 m2 au cours des dernières années, « avait annulé tous les efforts consentis en matière de rénovation thermique ». « Le besoin en logements n’est pas le besoin de construire », a-t-elle rappelé, indiquant qu’à Paris, 70 % des autorisations d’urbanisme délivrées concernent des opérations de transformation.

Nicolas Gravit, directeur général d’Eiffage aménagement, a souligné que l’aménagement concerté, réfléchi, adapté, « constituait une solution », notamment pour favoriser l’acceptabilité des programmes immobiliers. Thierry Lajoie, directeur général de Quartus, a appelé à une réflexion collective afin d’éviter une décorrélation entre les objectifs écologiques et la réalité économique. « En renchérissant la construction, la transition écologique peut aboutir à une exclusion ou à un enlaidissement », a-t-il déclaré en substance, et donc à une obligation future de tout recommencer.

En conclusion du colloque, le ministre de la Ville et du Logement Olivier KIein a réaffirmé la nécessité de « construire plus pour loger plus ». Il a décrit la volonté de parvenir, grâce au conseil national de la refondation (CNR) logement récemment lancé et à ses groupes de travail, à la définition de mesures permettant de sortir de la crise, et d’offrir aux Franciliens des parcours résidentiels fluidifiés.

(*) Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

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