Tribune – A. Missoffe : « De la ville intelligente à la ville sereine »

« L’angoisse collective face à la pandémie a aussi révélé quelque chose de latent, comme un exercice cathartique du caractère anxiogène des grandes villes », estime Alexandre Missoffe, directeur général de Paris-Ile de France Capitale Economique, dans une tribune.

Au-delà des discours convenus sur le « monde d’après », la crise, sanitaire, économique et sociologique, renouvelle aussi les ressorts et les critères de l’attractivité des grandes métropoles mondiales.

Pour les acteurs de l’attractivité, il y a, dans cette nécessaire adaptation, une part conjoncturelle. Comment vanter les mérites d’une offre immobilière tertiaire importante, quand le taux de vacance devient un risque ? Comment vanter les liaisons internationales dans un monde aux frontières fermées ? Comment faire valoir l’importance du tourisme d’affaires quand les congrès et salons sont à l’arrêt ? etc. Les mêmes facteurs qui étaient, il y a quelques mois encore, des arguments positifs sont devenus pour certains investisseurs des motifs de prudence. Il n’est pas jusqu’au mot cluster qui désignait, en 2019, une concentration de talents et qui définit, en 2020, un foyer infectieux.

De ce point de vue, la crise nous impose d’adapter notre communication. Mais on peut penser que, dans trois semaines, dans trois mois ou dans trois ans, la crise passée, le « business as usual » reprendra son cours. Les besoins de se déplacer, de se rencontrer, d’échanger, de créer, de tester, d’apprendre, de s’inspirer, d’acheter ou de vendre, sont suffisamment inscrits dans le caractère des sociétés pour que les ressorts qui les servent ne se détendent pas à l’épreuve des chocs, fussent-ils d’une nature aussi étrange que celui que nous connaissons.

Alexandre Missoffe. © JGP

Mais il y aura aussi un changement plus profond dans les attentes à l’égard des grandes métropoles et, partant, dans ce qui en assure le rayonnement.

Comme le ciel après l’orage, que la pluie a nettoyé, la crise actuelle va enlever ce qui est vain et secondaire et réaffirmer quelques valeurs essentielles, dont la fascination pour les gadgets technologiques pseudo-smart city ont parfois fait perdre le sens. Peut-être a-t-il fallu ce choc pour rappeler que l’attractivité d’un territoire, celui dans lequel on vit comme celui dans lequel on investit, ne repose ni sur la course au gigantisme, ni sur la surenchère technophile.

L’anthropologue David Graeber avait analysé le phénomène « bullshit jobs » au révélateur de la crise de 2008. La crise de 2020, elle, aura commencé par l’arrêt brutal du projet SidewalkLab de Toronto, exécuté en avril d’un jugement lapidaire : « It’s Tech just for tech’s sake ».

Le choc entrainé par la pandémie nous ramène ainsi collectivement à la valeur essentielle de ce qui fait la force et l’attractivité d’un territoire. Ce nouveau paradigme peut être résumé en une formule : « Safe is the new smart ». En bon français on parlerait plutôt de « ville sereine », celle qui recherche, pour ses habitants comme pour ses usagers, le confort d’un environnement qui ne soit pas (trop) anxiogène. Le reste leur sera donné de surcroît.

Ce n’est pas un hasard si la plus formidable ville-monde de toute l’Histoire, Venise au XVe siècle, était surnommée la Sérénissime, la très-sereine. L’angoisse collective face à la pandémie a aussi révélé quelque chose de latent, comme un exercice cathartique du caractère anxiogène des grandes villes.

Notre prochain défi, à nous acteurs de l’attractivité, sera de faire le lien entre cette attente de sérénité et l’image du Grand Paris.

Qualifions d’abord cette attente de sérénité à l’égard des métropoles, inévitablement diffuse et polymorphe. C’est celle des visiteurs rassurés par les mesures qui les protègent du risque sanitaire ; celle des sportifs qui peuvent faire du jogging le long des boulevards sans craindre la pollution ; celle des femmes qui peuvent mettre une jupe courte sans redouter le harcèlement ; celle des chefs d’entreprises qui voient que tous sont mobilisés pour que l’activité soit maintenue, que les approvisionnements et les transports fonctionnent ; etc.

Face à cela il n’est pas question de vendre une illusion, à laquelle personne d’ailleurs ne se laisserait prendre. La ville sereine n’est pas celle qui élimine le risque, pas plus que l’assurance-incendie ne prémunit contre le feu ou que l’assurance-vie n’achète l’éternité. Mais à l’instar de ces derniers, elle offre la sérénité de savoir que le risque est pris en compte, traité, et que, lors de sa toujours possible survenance, son impact en sera atténué parce qu’il a été anticipé.

La ville sereine, ce n’est certainement pas celle du silence ou l’immobilité. Mais c’est une manière harmonieuse d’être porté par le tempo élevé des villes, de vibrer avec elles à l’unisson.

Si les éléments qui participent de la ville sereine ne sont pas étrangers aux politiques urbaines, ils sont en revanche encore largement absents des messages d’attractivité. Sans doute car on redoute en eux l’antiphrase. Comme la santé évoque immanquablement la maladie. Comme si la lumière ne pouvait être autre chose que ce qui projette de l’ombre.

Et pourtant, si on place avec confiance l’attractivité sur cette dimension, les métropoles européennes, et parmi elles singulièrement le Grand Paris, ont un potentiel de rayonnement considérable.

Déjà, parmi les indicateurs du Global Cities Investment Monitor sur lesquels le Grand Paris est le mieux noté, figurent la qualité de vie, le haut niveau de qualification, la qualité de l’enseignement et de la recherche… tous critères qui nous ramènent à cette aspiration à des métropoles plus humaines.

Dans les réalisations en cours, certaines ont aussi, déjà, un grand retentissement. Parmi elles, bien sûr, les appels à projets « Inventons la métropole du Grand Paris », la zone à faibles émissions métropolitaine, ou encore le Grand Paris express qui, en répondant aux enjeux de saturation, prépare la sérénité du confort dans les transports du quotidien.

Pour aller plus loin le Grand Paris doit s’inscrire, avant les autres métropoles, sur cette image de la ville sereine et y imprimer sa marque. Les études de Paris-Ile de France Capitale Economique, au cours des trois dernières années, posent quelques jalons dans cette voie, auxquels l’attente des métropoles post-Covid confère une acuité particulière.

Là encore, sans les passer tous en revue, évoquons les travaux sur « le Grand Paris du Sport », sur « les dynamiques économiques inclusives du Grand Paris », sur « le Grand Paris, atelier mondial des grands équipements scientifiques » ou celui, en cours avec l’Institut Paris Région, sur « l’artisanat d’excellence, facteur d’attractivité du Grand Paris ». Pris séparément, ce sont des coups de projecteurs intéressants sur des dimensions inhabituelles de notre attractivité. Ensemble, ils forment une grammaire dont nous pouvons construire un nouveau récit.

La crise du Covid-19 en changeant la perception des grandes métropoles changera aussi inévitablement les leviers de leur attractivité. Ce changement, si on l’accompagne et on l’épouse, non seulement nous renforce mais aussi nous réconcilie car il est plus en phase avec la nature profonde du Grand Paris.

Faisons différent : soyons nous-mêmes !

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