Santé publique : les paradoxes franciliens

L’Ile-de-France est à la fois la région qui compte le plus grand nombre de médecins et le premier désert médical de France : tel était le sujet principal de la controverse organisée lundi 20 mai 2019 par le club Acteurs du Grand Paris.

L’Ile-de-France, premier désert médical français ! Tel était le thème central du premier débat organisé par le club Acteurs du Grand Paris dans le cadre d’un nouveau cycle d’échanges, « Les controverses ». Dans l’auditorium de la Banque postale, partenaire de l’événement, lundi 20 mai, Ludovic Toro, médecin, maire de Coubron, président de la commission santé de la métropole du Grand Paris, président de l’Observatoire régional de la santé, a résumé ce qu’il estime être les causes de la pénurie de médecins en Ile-de-France par quelques chiffres. « En 1972, on créait 8 000 postes de médecin par an, en 2018, ce nombre n’a pas varié, en sachant que la population a crû de 16 millions d’habitants et que l’espérance de vie a augmenté de 10 ans. Ce que l’on vit aujourd’hui était prévisible », a-t-il souligné.

« L’égalité d’accès aux soins n’existe plus aujourd’hui », a-t-il poursuivi, évoquant une étude récente de l’Observatoire régional de la santé démontrant que le retard dans l’accès aux soins, qui caractérise la Seine-Saint-Denis, explique pourquoi les pathologies y sont plus graves, laissant davantage de séquelles et nécessitant un traitement plus coûteux que si leur prise en charge avait été plus précoce.

Franck Verdonk, Ludovic Toro, Jacques Paquier et Aurélien Rousseau. © DR

Pour Franck Verdonk, anesthésiste réanimateur à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, président du syndicat des jeunes médecins, « la vision des déserts médicaux ne doit pas être seulement numérique ». « Il existe aussi la peur de s’installer, a-t-il fait valoir, face au coût de l’installation, problématique économique pour laquelle les médecins ne sont pas formés. Cette question, estime le jeune médecin, prend un tour particulier en Ile-de-France et à Paris en raison du coût de l’immobilier. « Il existe une inadéquation entre le coût du foncier, qui n’a cessé de croître en Ile-de-France et, en regard, l’évolution des cotations d’actes ».

Franck Verdonk a indiqué que le nombre de médecins avait baissé de 20 % au cours des dernières années à Paris, notamment en raison du coût du foncier. « On peut décréter une augmentation du nombre de médecins, encore faut-il que l’appareil de formation permette de les accueillir, estime le président des jeunes médecins d’Ile-de-France. « Actuellement, augmenter de 20 % le nombre d’étudiants en médecine, comme souhaite le faire le gouvernement, est inenvisageable, estime-t-il. Il y a déjà trop d’étudiants en médecine si l’on veut conserver, dans de bonnes conditions, une formation au lit du patient qui est une des spécificités françaises, et qui fait la qualité de notre système de santé. »

Pour Franck Verdonk, il faut intégrer les nouvelles technologies comme autant d’outils, à l’instar de la téléconsultation, qui vont changer la donne à l’avenir et améliorer l’accès aux soins là où il est déficitaire. « Attention à ne pas déshumaniser l’acte médical », prévient Ludovic Toro, visiblement plus favorable à la dématérialisation de la transmission des actes médicaux qu’à celle des consultations.

500 millions d’euros d’investissements à venir dans les hôpitaux franciliens

« L’Agence régionale de santé est une agence de l’Etat chargée de financer et de réguler l’ensemble du système de santé, a rappelé Aurélien Rousseau, directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS). Nous nous occupons à la fois des hôpitaux, mais aussi des Ehpad ou de l’installation des médecins libéraux. Avec comme levier les autorisations que nous délivrons, et en exerçant la tutelle des établissements publics, dont l’agence est un des principaux financeurs. »

L’ARS va consacrer 500 millions d’euros en faveur de l’investissement dans des hôpitaux franciliens au cours des prochaines années. « Nous sommes aussi d’importants pourvoyeurs d’aides en trésorerie quand les établissements se trouvent dans l’impasse financière, a indiqué l’ancien directeur de cabinet de Pierre Mansat à la mairie de Paris. « L’Ile-de-France est le premier désert médical français, a-t-il affirmé à son tour, cette réalité étant apparue aux yeux du grand public avec un effet retard, puisque l’Ile-de-France est également la région qui compte le plus de médecins en France. »

Ainsi, 75 % de la population francilienne vit dans des zones déficitaires en médecins au regard des critères de l’ARS. Aurélien Rousseau a présenté une carte montrant des écarts d’espérance de vie allant jusqu’à 15 ans le long de la ligne B du RER. « On considère que le système de soins en tant que tel représente 25 % de ce qui conditionne l’état de santé d’une population. La biologie, la génétique, ce que j’appelle notre capital personnel, jouent à hauteur de 15 %. Et l’environnement social et économique, la pollution, sont également déterminants : tous les gradiants de santé, en Ile-de-France, se confondent avec les gradiants socioéconomiques. Tout va donc dépendre aussi de la façon avec laquelle nous traitons ces questions », a-t-il décrit.

L’obésité suit la cartographie des quartiers politique de la ville

Ainsi, « l’obésité suit la cartographie des quartiers politique de la ville à l’iris, c’est quelque chose d’assez impressionnant à voir », a constaté Aurélien Rousseau. Pour le DG de l’ARS, les réponses à cet état de fait passent par la prévention, la promotion de la santé, l’éducation thérapeutique qui vont également constituer des facteurs déterminants. « Au-delà du constat extrêmement préoccupant, que je partage, nous n’avons pas besoin seulement de compétences médicales mais aussi d’une amélioration globale de notre système de soins et de notre culture pour améliorer la prévention, avec ce truisme : l’objectif est que les gens ne soient pas malades. »

François-Marie Didier (EDF) et Serge Bayard (La Banque postale. © JGP

« D’accord pour que les collectivités territoriales prennent toute leur part dans les efforts de prévention, à condition toutefois que l’on cesse de réduire nos ressources », a fait valoir pour sa part le maire de Coubron.

« La santé ne figurait pas parmi les sujets initialement intégrés au Grand débat national. Il est ressorti comme le premier objet de préoccupation des Français », a repris le directeur général de l’ARS.

Retraite imminente pour 50 % des médecins du 77

Pour Aurélien Rousseau, « fermer un service médical ou une maternité est ressenti par les populations comme des mesures extrêmement violentes, avec un débat entre l’égalité réelle et l’égalité formelle, alors qu’aujourd’hui, certains hôpitaux sont dans un état calamiteux. Le fait que la santé soit au centre du débat public est une chance inouïe, même si la santé n’est pas qu’une compétence gouvernementale. Si c’était cela, il suffirait d’augmenter les moyens financiers. Mais le problème est plus complexe puisque, au terme de leurs études médicales, les médecins s’installent là où ils le souhaitent », a-t-il encore fait valoir.

« Nous devons, face au souhait des médecins de travailler collectivement, appuyer les installations pluriprofessionnelles, estime le DG de l’ARS. L’Ile-de-France est la seule région où l’ARS apporte une aide financière aux médecins s’installant dans certains endroits, compte tenu de la cherté du foncier.  Plus de 50 % des médecins, en Seine-et-Marne, ont plus de 62 ans. Les années à venir vont donc être extrêmement difficiles. Il faut donc libérer du temps médical. L’arrivée des infirmières en pratique avancée va le permettre, de même que le travail de groupe ou la télémédecine», a-t-il également souligné.

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