Pierre Veltz : « Paris-Saclay est recherché pour la richesse de son écosystème »

Le président de l’Etablissement public Paris-Saclay (EPPS) décrit les multiples implantations déjà réalisées ou à venir d’établissements publics et privés sur son territoire. Autant de structures attirées par la richesse de l’écosystème local, qui représente 15 % de la recherche française. Pierre Veltz décrit également les projets d’aménagement en cours.

JGP : Comment se déroule le projet Paris-Saclay ?

Pierre Veltz : Contrairement à ce que certains pensent, Saclay n’est pas un projet ex-nihilo. Personne n’a décidé, un jour, d’y bâtir le grand pôle universitaire ou technologique francilien. Saclay existe en réalité depuis plus d’un demi-siècle. Le commissariat à l’énergie atomique (CEA) s’y est installé à la fin des années 1940, suivi de la faculté des sciences d’Orsay, du CNRS à Gif-sur-Yvette. En réalité, Irène et Frédéric Joliot-Curie, à l’origine de ces trois implantations sont les vrais fondateurs de Saclay. HEC, Polytechnique, Supélec sont ensuite arrivées, de même qu’un grand nombre d’entreprises technologiques, à Saint-Quentin-en-Yvelines, Vélizy ou Courtaboeuf, tout cela bien avant que le projet ne soit repris par la loi du Grand Paris de 2010. Paris-Saclay, c’est 15 % de la recherche publique française, c’est aussi 15 % de la R&D privée nationale. A titre de comparaison, Paris centre c’est 20 % de la recherche française et l’Ile-de-France, dans sa globalité, à peu près 40 %. Tous ces établissements sont venus à Saclay dans des logiques parallèles, un peu toujours pour les mêmes raisons, se déconcentrer, trouver de la place.

Nombreux sont également les entreprises et les établissements d’enseignement qui vont y arriver prochainement… 

Pierre Veltz, PDG de l'Etablissement public Paris-Saclay

Pierre Veltz, PDG de l’Etablissement public Paris-Saclay

Absolument. Le chantier de l’Ecole Centrale de Paris, qui est aujourd’hui à Châtenay-Malabry, vient de démarrer à Saclay. L’ENS, un peu isolée aujourd’hui à Cachan, va également s’y implanter. De même que AgroParisTech, qui regroupe aujourd’hui deux implantations parisiennes, le pôle de Grignon, et l’école de l’industrie agroalimentaire de Massy. L’école des Telecom, ainsi que l’Ensae, l’école de l’Insee, dont le chantier a également démarré, figurent aussi parmi les prochaines implantations. De même, un gros projet est en cours dans le domaine de la pharmacie, de la biologie et de la chimie, incluant le déménagement de la faculté de pharmacie de l’université Paris sud, aujourd’hui installée à Chatenay-Malabry. Il s’agit en l’occurrence d’un PPP, d’une surface de 80 000 m2. L’investissement public immobilier pour l’enseignement supérieur et la recherche représente environ 2 milliards d’euros.

Des entreprises sont également annoncées ?

Avant le lancement du projet actuel, il y avait eu l’implantation du centre de recherche de Thalès et celui de Danone, sans parler des entreprises présentes à Saint-Quentin en Yvelines, comme le technocentre Renault et ses 10 000 salariés Depuis, EDF a également choisi d’installer son centre de R&D et son centre de formation à Saclay, tout comme Safran, et des négociations sont en cours avec d’autres entreprises. Toutes éprouvent aujourd’hui le besoin d’une interaction directe avec d’autres acteurs industriels. Toutes souhaitent évoluer dans un environnement universitaire, dans le cadre de que l’on appelle l’innovation ouverte. On n’invente plus les choses aujourd’hui en circuit fermé entre les quatre murs de son laboratoire ou de son entreprise. Il faut se plonger dans un écosystème, essayer de capter l’intelligence présente dans son environnement.

Leur mise en réseau constitue un de vos objectifs majeurs ?

Oui. Physiquement, les établissements sont disséminés sur le plateau qui mesure la même surface que Paris. Et il n’y a eu, jusqu’à un passé encore récent, que très peu de synergie. Institutionnellement, chacun a vécu sa vie. Les chercheurs bien sûr, dans leur discipline, ont travaillé ensemble, mais les institutions se sont royalement ignorées. Christian Blanc, et d’autres, ont fait ce constat et souhaité créer de la synergie. Tout d’abord au sein du monde académique. Ce projet a été pris en charge par la Fondation de coopération scientifique, présidée maintenant depuis plusieurs années par Dominique Vernay, qui est, c’est intéressant, quelqu’un qui vient de l’industrie, ce qui ne fut pas évident pour tout le monde au départ. La fondation a œuvré à la création de l’Université de Paris-Saclay, qui est aujourd’hui une COMUE, comme le prévoit la loi Fioraso, c’est-à-dire une Communauté d’universités et d’établissements, créée fin 2014.

Cette COMUE rassemble aujourd’hui deux universités, celle de Paris Sud et celle de Versailles Saint-Quentin, neuf écoles, parmi les plus grandes, dont Polytechnique, Centrale, l’ENS Cachan, l’école des télécoms, et des grands établissements de recherche, le CNRS, le CEA, l’Inra, l’Onera (Centre français d’aérospatiale)

L’Université de Paris-Saclay fédère ces établissements ?

Elle fait plus que les fédérer. Par exemple, le doctorat est mis en commun ce qui n’est tout de même pas rien. Une grande partie des masters l’est aussi. On n’est pas dans intégration complète, mais pas non plus dans une superstructure cosmétique. Et cela constitue une nouveauté majeure pour l’enseignement dans notre pays. Nous devrions monter très fortement dans le classement de Shanghai. Il n’y pas si longtemps, cette idée de regrouper universités, grandes écoles et laboratoires de recherche n’allait pas de soi…

Vous souhaitez rapprocher également les entreprises et le monde académique ?

En effet, nous voulons créer davantage de synergie entre les entreprises, et entre ces dernières et le monde académique, qui se sont eux aussi joyeusement ignorés jusque-là. Le travail en l’espèce a été largement préparé par les pôles de compétitivité, en particulier le pôle Systematic, très actif sur le plateau. Les entreprises constituent désormais un élément moteur de ce projet. Deux exemples : Alcatel-Lucent, si son rachat par Nokia ne le remet pas en cause, a décidé de regrouper l’ensemble de ses forces de recherche sur un de ses pôles historiques situé à Nozay, et de le baptiser «Centre d’innovation Paris-Saclay», en reprenant notre logo. Air liquide a également décidé d’appeler «Centre Paris-Saclay» son centre historique de R&D, aux Loges-en-Josas. Le fait que ces entreprises majeures s’approprient la marque «Paris-Saclay» constitue un élément très important.

Vous vous occupez aussi d’aménagement ?

C’est le cœur de métier de l’Etablissement public de Paris-Saclay (EPPS) que je dirige. L’aménagement est très déficient aujourd’hui. Chacun était dans son grand domaine. Et la question de l’accessibilité, dont s’occupe la Société du Grand Paris, en étroite liaison avec nous, change la donne. Nous menons plusieurs projets phares : le plus important est celui que l’on appelle « Campus ville », sur la frange sud du plateau, entre le CEA et Polytechnique. L’aménagement de deux grandes ZAC y est engagé, celle de Moulon et celle de Polytechnique. Nous venons de lancer une troisième grande opération, avec la mairie de Versailles, à Satory.

Au sud, les travaux ont commencé, d’infrastructure notamment. L’objectif est très simple. Il consiste à créer un environnement plus vivant qu’aujourd’hui. Avec un programme à trois volets : le volet « enseignement supérieur et recherche » qui tire l’ensemble de l’opération, le volet « accueil  d’entreprises » et le volet « urbain résidentiel». 5.500 chambres étudiantes sont programmées, ce qui représente un effort exceptionnel. Par ailleurs, et ce n’est pas toujours admis par tout le monde ici, nous souhaitons également accueillir des logements familiaux, afin de créer de la ville, avec des écoles, des commerces, des services, et des bistrots !  Le fait de créer du logement, d’amener des habitants permanents va changer réellement l’ambiance de cette frange sud du plateau, étant entendu que la zone agricole centrale du plateau a été sanctuarisée par la loi, et garantit le maintien du caractère naturel de l’environnement

Le volet transport est également essentiel ?

Bien sûr. Il passe par la réalisation de la prolongation nord du CEA du transport en commun en site propre qui existe déjà entre de la Gare de Massy et Polytechnique. Et surtout par le projet de la ligne 18 du Grand Paris Express, dont le Premier ministre a annoncé la réalisation en même temps que le prolongement de la ligne 14 jusqu’à Orly. Ce premier tronçon, d’Orly à Massy puis jusqu’à Saclay, sera donc achevé en 2024. La partie allant jusqu’à Versailles étant réalisée dans la foulée, mais ultérieurement. Nous aurons donc trois stations sur le Campus, une dans le quartier de l’Ecole polytechnique, une dans le quartier de Moulon et la troisième à l’entrée nord du CEA, pour desservir ce dernier.

Vous êtes confiant dans le respect de ce calendrier ?

Il y a un point sur lequel je veux insister. Les grands projets sont toujours compliqués à mener dans le temps. Ils ont tendance à déraper. On ne va pas toujours assez vite, comme l’a déploré récemment l’ex-président d’Unibail – Rodamco, Guillaume Poitrinal. A Saclay, on est dans les temps. On s’est énormément battu pour cela. On tient les délais. On n’est quand même très fier de ça. C’est très important. Les choses se délitent rapidement avec les établissements d’enseignements supérieurs si vous laissez filer les délais.

Pour ce qui est des transports, il n’y a aucune raison de ne pas faire confiance aux annonces qui ont été faites et à la détermination des acteurs concernés. Le projet est financé, l’enquête publique va démarrer, les options techniques ont été prises. Je pense d’ailleurs que si l’on pouvait accélérer dans la foulée la connexion entre Saclay et Saint-Quentin-en-Yvelines, ce serait très bien. Je crois que c’est un sujet auquel la SGP réfléchit également. Ce serait en l’occurrence un métro aérien. La liaison entre Saint-Quentin-en-Yvelines et Versailles est plus compliquée parce que souterraine. Mais il me semble très important de relier les parties essonniennes et yvelinoises du projet.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que seul Paris est réellement attractif, et que vous en êtes trop éloigné ?

Premièrement les établissements viennent ici parce qu’ils sont volontaires. On a beaucoup dit que des établissements avaient été obligés de partir, ou qu’ils venaient pour bénéficier d’un effet d’aubaine financier. Ce n’est pas vrai. C’est au contraire une opération risquée que de déménager pour une grande école ou un grand centre de recherche. Donc les gens qui le font pensent que cela leur sera utile, c’est même parfois une question de survie pour leur établissement. Je dis souvent que l’Île-de-France représente la première région universitaire du monde. Mais personne ne le sait, à cause de son extrême fragmentation. Les établissements qui rejoignent Saclay viennent aussi parce qu’ils ont besoin d’espace. Il y a un certain type de recherche que l’on ne peut plus faire aujourd’hui dans Paris. Vous savez, les premiers réacteurs nucléaires étaient dans Paris, puis ils ont été déplacés au Fort de Châtillon, et puis on s’est rendu compte que ce n’était pas raisonnable non plus. Ils sont d’ailleurs en train d’être fermés à Saclay, qui sera prochainement dénucléarisé. Prenons un autre exemple, celui des neurosciences. Saclay dispose d’un outil extraordinaire, « NeuroSpin », qui a été financé grâce aux revenus du test de la maladie dite de la vache folle. Il est unique en Europe. Il y a donc une communauté de chercheurs, spécialistes du cerveau, qui utilisent cet outil. Il existe par ailleurs de nombreuses interactions entre disciplines.

Vous allez également bâtir des logements ?

Nous sommes très attachés, je le répète, à faire en sorte que ce pôle soit vivant. C’est pourquoi l’aménagement constitue un sujet majeur. Le mot clé, c’est « compacité ». On n’utilise pas trop le mot de densité parce qu’il fait peur, en tout cas dans le Sud-Ouest parisien… Aujourd’hui, vous ne pouvez pas acheter votre baguette de pain sur le plateau de Saclay,  en dehors de la ville nouvelle de Saint-Quentin. Et l’on veut une forme de diversité sociale. On ne souhaite pas recréer la cité des étoiles soviétique, en Sibérie, où il n’avait que des bacs + 25. Nous aurons donc une part de logement social. Peu de bureaux, car l’Ile-de-France n’en manque pas, et que Massy en est très bien pourvu, avec la requalification de la place de la gare ou le pôle Atlantis. Une des forces du projet provient du fait que l’on a la maîtrise du foncier. On travaille également beaucoup sur la qualité architecturale. Nous essayons d’être généreux sur la requalification paysagère. Ce n’est pas un hasard si notre projet a été mené au départ par une équipe de concepteurs dont le mandataire était Michel Desvigne, paysagiste.

Vous considérez que la tendance, en matière d’aménagement, est à la déspécialisation ?

C’est un point de vue plus global, qui n’implique pas forcément directement Saclay. On voit bien que les modes de vies et de travail sont en train d’évoluer de manière extrêmement rapide. Nous travaillons aujourd’hui en nomade. Je pense que la conception classique du bureau, des horaires de bureaux va évoluer. Dans le monde universitaire et dans le monde de la recherche, le télétravail, s’il n’est pas organisé, est de fait une réalité depuis longtemps. Nous allons de plus en plus avoir besoin de locaux multifonctionnels. Les choses vont s’organiser autour du résidentiel élargi, c’est-à-dire que l’on travaillera beaucoup autour de l’endroit où l’on vit, dans des espace de co-working qui se développent actuellement. Si j’avais une autocritique à formuler, je dirais que nous sommes, par la force des circonstances, des logiques d’institutions, prisonniers d’une façon un rigide et probablement un peu datée de programmer nos bâtiments. Par exemple, on conçoit des salles de cours très classiques, on fait des bibliothèques mais ce que souhaitent les étudiants, ce sont des salles de travail adaptées aux travaux de groupe, aux projets menés en commun. Les résidences étudiantes vont devenir aussi des lieux de vie, de travail… et de fête. Il ne faut pas l’oublier. C’est la raison pour laquelle, dans les jurys de maîtrise d’oeuvre, je reviens toujours à la charge pour dire « objectif numéro 1 : flexibilité, objectif numéro 2 : flexibilité, objectif numéro 3 : flexibilité ». Avec la qualité, évidemment !

Quel regard portez-vous sur la gestation de la métropole du Grand Paris ?

En tant que fonctionnaire, je suis soumis au devoir de réserve mais je vais l’écorner un peu, parce que je l’ai dit déjà plusieurs fois publiquement : je considère que l’on a raté une marche en ce sens que pour moi, l’échelle pertinente de la métropole, ce ne sont pas les trois départements de première couronne, c’est la région, y compris avec sa part rurale. C’est même un peu au-delà de la région. Le fait que Saclay, qui est quand même aujourd’hui un des pôles qui booste l’Ile-de-France, ou que Roissy, qui est un enjeu majeur, soient en dehors de la métropole, est, à mon avis, franchement problématique. Ce n’est pas un drame. On fera avec. Mais il y avait une solution simple, qui consistait à dire « la métropole, c’est la région ».

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