Laurent Lafon, maire (UDI) de Vincennes et président de l’Association des collectivités territoriales de l’Est parisien (Actep), explique pourquoi il considère que la construction métropolitaine ne peut s’affranchir d’une montée en charge progressive.
JGP : Quel regard portez-vous sur la gestation complexe de la métropole du Grand Paris ?
Laurent Lafon : Le texte de loi voté en catimini à l’Assemblée nationale, le fameux article 12 de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam), ne prenait pas en compte les contraintes locales. Il pouvait séduire sur le papier, mais ses modalités pratiques auraient été extrêmement difficiles à mettre en œuvre. Il fallait sortir de cette phase. C’est ce que nous avons essayé de faire pendant l’été en travaillant, au sein du conseil des élus de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris, à une proposition qui ne remette pas en cause l’objectif de la mise en place de la métropole, mais qui soit beaucoup plus réaliste, en termes de calendrier et d’adéquation, entre la réalité des territoires et l’émergence de la métropole. Cette résolution a été votée par 90 % des membres du conseil des élus. Il ne s’agit pas d’un texte partisan. On est, au contraire, sur un texte qui rassemble, et qui doit servir de pivot à la future métropole. Ce que je souhaite, c’est que la question de la métropole parisienne ne soit pas un sujet dogmatique ni un sujet politique, mais qu’elle soit abordée sereinement, en prenant en compte le fait qu’une évolution de cette nature et de cette ampleur nécessite du temps. On reste sur un temps court, mais il faut comprendre que l’on ne peut rattraper un certain nombre d’années de retard en quelques mois. Il faut commencer par poser les bases intelligemment de telle sorte que l’édifice repose sur des fondations solides.
Pourtant, certains s’impatientent et estiment que l’on a d’ores et déjà renoncé à une véritable mutualisation des moyens…
Très franchement, on ne peut concevoir l’avenir d’une métropole de six millions d’habitants sur des positions dogmatiques et politiques. Il faut le concevoir de manière pragmatique. Le maintien de la cotisation foncière des entreprises (CFE) aux territoires, par exemple, est nécessaire. Il faut prendre en compte le fait qu’actuellement, ce sont les territoires qui portent un certain nombre de projets. Demain, ils conserveront un rôle important. Encore une fois, n’imaginons pas que du jour au lendemain, la métropole pourra assumer une série de compétences qui lui sont, par définition, inconnues puisqu’elle n’existe pas… Une métropole, cela se construit dans le temps. Regardez tous les exemples, que ce soit en France ou à l’étranger : jamais une métropole ne s’est construite ex nihilo, en quelques semaines. Il faut donc prévoir et anticiper les différentes étapes.
Quelles sont-elles ?
La première consiste à procéder à une répartition équilibrée des compétences et des ressources, entre métropole et territoire. Il s’agit de laisser le temps à la métropole d’émerger, de se construire, de se bâtir, afin qu’un climat de confiance s’établisse entre ses membres tout en faisant en sorte que les territoires continuent d’exister. Ce temps-là peut être assez court, de trois à cinq ans. Puis se posera la question d’aller éventuellement plus loin dans l’intégration. Mais n’allons pas trop vite au risque de déstabiliser l’ensemble.
Une majorité de sénateurs a milité pour que les Plans locaux d’urbanisme (PLU) puissent être rédigés par les communes si une minorité de blocage se manifestait. Vous partagez leur combat ?
Je fais partie de ceux qui pensent que la question du transfert des PLU, que ce soit aux territoires ou à la métropole, n’est pas la panacée. Si c’était la seule clé pour résoudre le problème du logement, il aurait été résolu depuis très longtemps. Il y a une forme de facilité à faire croire ou à laisser dire qu’une fois que les maires n’auront plus la compétence logement, tout sera résolu. C’est faux. Je n’imagine pas une seconde
que tout va se résoudre quand le PLU sera transféré. Cela dit, j’estime que le PLU doit être élaboré au niveau des territoires, qui constitueront des ensembles d’au moins 300 000 habitants. On ne peut donc nous reprocher une vision étriquée, limitée à nos territoires communaux. Et ces territoires peuvent fonctionner assez rapidement, puisqu’il s’agira, dans certains cas, d’une simple transformation de communautés d’agglomération existantes. Ailleurs, des habitudes de travail ou des dynamiques
sont d’ores et déjà en place, qui permettront aux territoires d’être opérationnels assez rapidement. Mais je ne crois pas au caractère opérationnel d’un transfert global de la compétence logement à la métropole au 1er janvier 2016. On risque, en effet, de connaître une période de flottement assez longue avant que cette
métropole ne soit opérationnelle.
Les sénateurs ont demandé que le fonds d’investissement métropolitain soit explicitement inscrit dans la loi. Qu’en pensez-vous ?
Qu’il soit ou non inscrit dans la loi, ce fonds ne sera pas à la hauteur des enjeux. Parce que la métropole ne bénéficiera pas de recettes nouvelles. L’exercice consiste à concevoir une répartition différente des recettes existantes. Il ne faut pas l’oublier. Les recettes fiscales ne seront plus réparties entre communes et intercommunalités comme c’est le cas actuellement, mais entre communes, territoires et métropole. Cela dit, pas un euro supplémentaire n’est injecté dans l’organisation, à l’exception du surplus de Dotation globale de fonctionnement (DGF) que ne percevaient pas des territoires comme Paris, puisqu’ils n’appartenaient à aucune intercommunalité. Cela représente environ 75 millions d’euros. Ce qui est dérisoire. Ne fantasmons donc pas en se disant que l’on disposera des moyens d’agir à partir de cette seule DGF métropolitaine. Il est certainement possible de rééquilibrer le niveau de recettes perçu par les différents territoires, mais ce n’est pas en soi suffisant. Là aussi, il faut être pragmatique et raisonnable. Ne cassons pas quelque chose qui fonctionne, même si ce n’est pas totalement satisfaisant, par quelque chose qui n’existe pas encore.
Quelle articulation entre métropole et région Ile-de-France ?
L’émergence de la métropole va obliger une remise en question de la région, de son devenir, de ses compétences. Selon moi, la métropole ne remet pas en cause la région mais ’oblige à se concentrer sur un certain nombre de compétences d’origine, celles qui donnent sens à la région. Je pense au transport par exemple, car concevoir un système
de transport sur le territoire métropolitain n’aurait pas de sens. Mais aujourd’hui, la région s’est éparpillée en multipliant son intervention dans les domaines où elle n’aurait pas dû aller. Ce qui fait qu’aujourd’hui, elle n’est pas en mesure de se mobiliser suffisamment sur ses compétences lourdes, le transport par exemple, et elle n’est pas efficace sur les autres compétences…
Ne convient-il pas d’accélérer le processus de construction métropolitaine, face aux défis du temps présent ?
Cette construction par étapes est nécessaire. Elle est inéluctable. Lorsque vous regardez ce qui s’est fait ailleurs, vous constatez que cela s’est toujours passé comme ça. On ne peut brûler les étapes, quitte à donner des dates intermédiaires, pourquoi pas
2020, pour procéder alors à de nouvelles évolutions institutionnelles, en intégrant, par exemple, les conséquences de la suppression des conseils généraux, qui est elle aussi
inéluctable. Très rapidement, l’on va s’apercevoir que ça n’a pas de sens de construire une métropole en préservant des conseils généraux. La question des aéroports se posera également. Si on ne peut les intégrer aujourd’hui à la métropole, il faudra sans doute le faire un jour. Se donner des échéanciers me paraît beaucoup plus pertinent que d’être dans l’excès en voulant aller trop vite. En réalité, le sujet de la métropole avance plus vite qu’on ne le dit. En 2008, la question de la métropole se posait à peine. Le temps d’un mandat, on a fait en sorte que le sujet soit incontournable. On ne peut pas imaginer, sur ce sujet-là comme sur tant d’autres, que tout le monde avance au même rythme et dans la même direction. Si l’on veut faire évoluer les choses, il faut créer une dynamique. Personne n’imagine qu’il n’y aura pas la métropole du Grand Paris demain.
La métropole du Grand Paris existera au 1er janvier 2016. En revanche, la métropole du Grand Paris au 1er janvier 2016 ne ressemblera pas à celle qui existera en 2020 ou en 2025.