Voilà presque un an que la culture, le spectacle vivant en particulier, se retrouve en pause, pour cause de crise sanitaire. Entre optimisme, désarroi, incompréhension et renouveau, les acteurs du monde de la culture du Grand Paris tentent d’innover en trouvant de nouveaux formats de diffusion. Tour d’horizon de ces femmes et de ces hommes qui se démènent face aux conséquences de la pandémie.
Mars 2021. Cela fait un an que la culture est au ralenti. Plus de cinémas, de théâtres ou de musées. Plus de concerts entre amis. Qu’ils soient situés au cœur de Paris, en Seine-Saint-Denis, dans les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne ou les Yvelines, en passant par l’Essonne et la Seine-et-Marne, tous les établissements culturels ont dû s’adapter à la crise sanitaire de la Covid-19.
« La santé prime sur la culture, résume Henry de Medlege, le directeur du Musée de l’Armée, à Paris. Cependant, au vu du retour des visiteurs lors de la dernière réouverture, nous mesurons combien le besoin de culture est prégnant chez nos concitoyens et participe au bien-être social ». Un constat partagé par nombre de ses homologues. Pour permettre au public de conserver un rapport étroit avec la culture, il est nécessaire de « repenser complètement la stratégie », selon Carolyn Occelli, secrétaire générale du théâtre Jean Vilar, à Suresnes (Hauts-de-Seine).
Hybridation entre la scène et le numérique
Cela se traduit par l’augmentation des événements digitaux. La directrice actuelle du théâtre de la Commune à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), Marie-José Malis, explique que pendant le premier confinement, des jeunes de cités ont filmé leur quotidien et les vidéos ont ensuite été diffusées. Autre exemple, le spectacle Jeanne d’Arc a été tourné en direct dans un appartement du théâtre, puis partagé sur le réseau social Instagram. La directrice souligne « une certaine hybridation entre la scène et le numérique, offrant de nouveaux canaux ».

« Nous mesurons combien le besoin de culture est prégnant chez nos concitoyens et participe au bien-être social », souligne résume Henry de Medlege, le directeur du Musée de l’Armée, à Paris. Artistes -Tabacalera 2018 © Pilar Albarracín courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris.

Alter Nauseam au musée d’art contemporain du Mac Val à Vitry sur Seine (Val-de-Marne) : rencontres, performances et concerts en coproduction avec les Instants Chavirés de Montreuil. © Thomas Louapre
Les acteurs se sont réinventés
L’Opéra de Massy (Essonne) a, lui, diffusé en décembre des récitals sur les réseaux sociaux, qui ont enregistré un nombre de vues conséquent. Pendant la crise également, le théâtre de Sartrouville (Yvelines) a développé deux initiatives : d’abord, des captations initialement prévues en présentiel ; ensuite, une écriture spécifique pour le numérique qui s’est avérée très intéressante pour le directeur Sylvain Maurice, dont le souhait est de l’enrichir et de la déployer. Au théâtre national de La Colline (Paris 20e arr.), les acteurs se sont aussi réinventés. Le mois de mars 2020 a donné lieu à un journal de confinement par le directeur du théâtre, Wajdi Mouawad.
A noter encore, à Gentilly (Val-de-Marne), trois vidéos ont été réalisées sur l’exposition en cours à la Maison Doisneau (Franck Horvat Paris, années 50). Avec les formats digitaux (newsletters, feuilletons BD, projets sur les réseaux sociaux comme à La Ferme du Buisson en Seine-et-Marne par exemple), les lieux culturels tentent donc de pérenniser le lien avec leur public. Ils valorisent cet outil et comptent développer son utilisation encore davantage à l’avenir.

Le spectacle “La Nuit aux Invalides”, l’un des seuls événements parisiens en plein air l’été dernier, a accueilli presque autant de spectateurs que l’année précédente, malgré une jauge plus réduite. © Jgp
Cependant, selon Henry de Medlege, même si son atout est indéniable pour réinventer la diffusion de la culture en ces temps de crise, « ce vecteur ne remplacera jamais “l’agora” et le lieu d’échanges culturels et physiques que représente un musée d’histoire » par exemple. « Le numérique a ses limites, l’important est le moment où l’on est ensemble, où l’on partage des choses et cela est rendu possible par les lieux culturels », appuie Vincent Eches, directeur de la Ferme du Buisson.
Le public au rendez-vous entre les deux confinements
La période entre les deux confinements a été rassurante pour les acteurs du monde de la culture. Le public était au rendez-vous lors de la réouverture des lieux culturels en été. Comme l’explique Henry de Medlege, « le spectacle “La Nuit aux Invalides”, l’un des seuls événements parisiens en plein air cet été, a accueilli presque autant de spectateurs que l’année précédente, malgré une jauge plus réduite. De même, les Invalides ont été le lieu culturel parisien le plus visité lors des Journées européennes du patrimoine en 2020 ». Pour Sylvain Maurice, « la crise sanitaire a été révélatrice, le théâtre est un art artisanal, son essence même provient de l’échange avec le public ».
La réouverture a aussi permis de rappeler la fonction sociale du théâtre. L’été dernier, le public était également au rendez-vous à l’Opéra de Massy qui a proposé des concerts pédagogiques hors-les-murs, afin de toucher le plus de monde possible, un programme susceptible d’être pérennisé. La direction tente ainsi d’aider les gens à garder le moral, à se projeter, malgré les nombreuses annulations ou reports de concerts. La période de mai-juin-juillet dernier a aussi vu fleurir toutes sortes d’ateliers au théâtre de la Commune, incluant l’accueil de personnes migrantes. Tout cela permet d’intégrer de nouvelles populations et de continuer à être dans le partage. « Le besoin d’imaginer un futur ensemble est essentiel », pour Carolyn Occelli, du théâtre Suresnes Jean Vilar.

L’occupation des théâtres, dans le sillage de celle de l’Odéon (photo), s’est étendue à d’autres scènes, en région parisienne comme en province. © Jgp
Les théâtres, des lieux de sociabilisation
Alors que l’occupation des théâtres, dans le sillage de celle de l’Odéon, s’est étendue à d’autres scènes, en région parisienne comme en province, Sylvain Maurice estime que la fermeture des établissements « n’est pas justifiée face aux autres activités économiques », d’autant plus avec les dispositifs sanitaires drastiques mis en place pendant l’été. « Cette crise est une catastrophe culturelle et artistique, surtout pour les artistes et les musiciens qui sont privés de leur art », assure-t-on à l’Opéra de Massy.
Car les lieux culturels sont des « lieux de sociabilisation », comme le résume Anouchka Cherbey, directrice du théâtre Vanves. Rester optimistes et penser à l’après-Covid, tels sont les objectifs de ces directeurs. Pour la secrétaire générale du théâtre Suresnes Jean Vilar, « les lieux culturels auront un travail immense après la crise, ils devront aller chercher le public et susciter un certain engouement. L’accueil devra être irréprochable s’ils veulent espérer le retour des spectateurs. Ce n’est pas suffisant de simplement réfléchir aux productions artistiques, il faut penser à l’hospitalité […] car le théâtre est un lieu de rêve(s) et d’ailleurs ».
Sur une ancienne friche industrielle à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le lieu de création et de diffusion Le 6b tient grâce à un modèle économique basé, entre autres, sur la participation des résidents (environ 180-190) et des subventions de l’Etat. L’année 2020 y a été marquée par le « stop and go », c’est-à-dire le jeu entre l’ouverture et la fermeture des lieux culturels. Le 6b a mis en place de nombreuses activités sous la forme d’ateliers ou encore des activités estivales. Les 1 000 m² de terrain ont permis de laisser ouverts les lieux extérieurs de fin juin jusqu’à la fin septembre et d’accueillir une jauge de 250 personnes, en toute sécurité.

Le 6B, à Saint-Denis. © Jgp
L’exposition collective Bouphonie, que le 6b et son directeur Rémi Jacquot ont proposé en janvier dernier, a permis d’accueillir 15 personnes sur une surface de 200 m² pendant des créneaux de 45 min. L’idée était d’offrir la possibilité à quelques personnes de venir à nouveau au cœur de la culture. Selon son directeur, « la crise a fait émerger de belles choses », il insiste sur le fait que « la culture est adaptable, elle va se relever de cette crise ».
Le Maif social club, un lieu de vie et de culture gratuit et pour tous, financé à 100 % par l’assurance Maif depuis quatre ans, a également dû fermer. S’est ensuivie la mise en place d’activités afin d’assurer la continuité du service au public. La programmation est désormais en « distanciel », à l’image de la conférence du 28 janvier, “Apprendre au XXIe siècle” avec François Taddei ou encore des ateliers autour du faire et de la mise en action du corps avec, par exemple, la fabrication d’une éolienne pour le jeune public. Les équipes du Maif social club envoient par courriel la liste du matériel nécessaire à sa construction et les inscrits se connectent sur l’application Teams le moment venu.

Atelier au Maif social club. © Maif social club
La directrice de la programmation, Chloé Tournier, assure que « le suivi relationnel avec le public a été très important depuis presque un an. Le but est de toucher des gens vivant en dehors de l’Ile-de-France, en présentiel comme en distanciel ». Dans l’exposition « Trop classe ! », l’idée a été de prendre des machines pour les exposer dans des lieux non fermés (collèges, centres d’hébergement) afin de créer des évènements qui font sens. Ainsi, même pendant la fermeture, le Maif social club s’engage à continuer ses activités dans les écoles et les centres d’hébergement d’urgence. Aller vers les publics est essentiel pour l’établissement. Selon Chloé Tournier, « la crise n’a pas affecté l’envie des publics d’accéder à la culture ».
Les Magasins généraux, le centre de création fondé par BETC après la réhabilitation de ce site emblématique situé au bord du canal de l’Ourcq à Pantin (Seine-Saint-Denis), ont également été obligés de fermer et d’inventer de nouveaux dispositifs. Dédié à l’art visuel, ce lieu a néanmoins été moins impacté que d’autres établissements culturels. Lors de la réouverture le 13 juin dernier, dans un espace de 1 000 m², le public était au rendez-vous. Avant cela, l’établissement avait continué à faire vivre la programmation artistique : l’exposition de photographie BAN, dont le vernissage a eu lieu le 14 mars 2020, juste avant le premier confinement, n’a pas fait l’objet d’une conception digitale mais a attendu ses visiteurs à la réouverture.

Les Magasins Généraux, à Pantin. © Herve Abbadie
Des nouveaux formats ont également vu le jour, le « portrait général », qui a pour ambition de soutenir de jeunes talents. Là aussi, des newsletters ont été spécialement dédiées ainsi que des publications sur les réseaux sociaux Facebook et Instagram. Egalement, entre juillet et octobre dernier, le programme TchatActivism (en partenariat avec le théâtre du Châtelet) faisait s’interroger des chorégraphes et des artistes sur la crise et son influence sur les nouvelles méthodes de la création, pour penser et agir au sein de la société.
Les Magasins Généraux tentent d’articuler des formats digitaux avec des présences physiques. Parallèlement, va sortir en mars 2021 la deuxième édition du Guide des Grands Parisiens (2021-2023), un ouvrage édité en partenariat avec Enlarge your Paris qui répertorie tous les lieux culturels qui font « le sel de l’identité parisienne ». Eugénie Lefebvre, la directrice générale des Magasins généraux, entend « créer le besoin » et souligne également « l’envie d’art et de culture du public ». Pour elle, la notion du « en commun » est essentielle.