Rencontres de l’Essonne : la croissance sera verte ou ne sera pas

Lors d’un débat organisé le 10 octobre 2019 à l’Unesco par le conseil départemental de l’Essonne, en partenariat avec Le journal du Grand Paris sur le thème « Concilier enjeux économiques et transition énergétique », le président François Durovray est revenu sur la politique du territoire en la matière, et a confronté sa vision avec celle de Patricia Crifo, professeure à Polytechnique, et Philippe Zaouati, PDG du fonds d’investissement Mirova, filiale de Natixis.

« Penser vert » n’est pas une contrainte, mais une source d’opportunités pour un territoire comme l’Essonne. Tel est, en substance, le message qu’a voulu faire passer François Durovray lors d’un petit-déjeuner-débat organisé par la collectivité locale dans le cadre prestigieux de l’Unesco, le 10 octobre, sur le thème « Concilier enjeux économiques et transition énergétique ». En introduction, le président du conseil départemental a posé le cadre : « Nous sommes à un moment charnière de l’histoire, avec des transformations extrêmement rapides et profondes qui bouleversent le regard que nos concitoyens peuvent porter sur leur propre avenir. Et nous avons un rôle à y jouer car nous sommes sur un territoire qui est complètement engagé sur ces questions de transformation. »

De g. à dr. : Jacques Paquier, François Durovray, Philippe Zouati et Patricia Crifo. © Jgp

Pour François Durovray, ce préambule a aussi été l’occasion de montrer en quoi son département est pilote en la matière. Et d’abord sur la question agricole. « L’Essonne est à 25 % composé de forêts et à 45 % de terres agricoles, pour la plupart céréalières et destinées au marché mondial. Or, nos agriculteurs sont soumis aux cours mondiaux du blé ou de l’orge et ils n’arrivent plus forcément à vivre de leur production. Ils voient alors peut-être une chance dans la transformation de leur exploitation en culture maraîchère. Dans les prochaines semaines, nous allons donc prendre des décisions pour reconstruire les outils de transformation des matières premières – des légumeries, des conserveries, des espaces de surgélation – pour aider nos agriculteurs à passer le cap, ainsi qu’en leur garantissant l’achat de leurs produits auprès des collectivités locales. »

Modèle « insoutenable »

Patricia Crifo, professeure à l’École polytechnique située à Palaiseau et membre du Conseil économique du développement durable, a apporté son soutien à la vision du président Durovray sur la notion de croissance verte : « En tant qu’économiste, ma réponse est tout sauf idéologique. Le modèle du XXe siècle dont nous héritons est totalement insoutenable. Il est responsable de la crise écologique et du réchauffement climatique que nous payons tous, et aussi de l’explosion des inégalités. Il est donc hors de question de maintenir ce système. Mais nous ne pouvons pas pour autant basculer dans un modèle de décroissance, car la population mondiale va doubler d’ici une ou deux décennies. Si nous entrons dans une telle phase, il se produira la mort d’un certain nombre d’individus que nous ne pourrons pas nourrir. »

Pionnier de la finance durable comme Patricia Crifo, Philippe Zaouati, président-directeur général de Mirova, une filiale de Natixis investment managers spécialisée dans l’investissement durable, a partagé cette analyse tout en apportant un bémol : « Il ne faut peut-être pas parler de décroissance, mais en tout cas de sobriété dans certains cas, par exemple la consommation énergétique. Même s’il faut avoir à l’esprit que, même pour faire de la sobriété, il faut des investissements. »

L’Essonne investit ainsi dans l’habitat : « Nous sommes engagés dans un vaste plan de rénovation énergétique à travers un dispositif assez innovant créé en mars 2019, la Prime éco-logis 91, a rappelé le président du conseil départemental. Nous avons souhaité accompagner les Essonniens dans leurs travaux de rénovation énergétique de leur logement. » Cette prime double quasiment les aides de l’Etat et va jusqu’à 2 300 euros dans la limite de 6 000 euros de travaux. En six mois, 9 000 foyers se sont inscrits sur le site et 3 500 aides représentant 27 millions d’euros de travaux ont été signées, dont 80 % sont pris en charge par des entreprises essonniennes.

Investissements responsables

Philippe Zaouati est revenu à cette occasion sur l’originalité de Mirova, une structure créée il y a six ans et réalisant un large spectre d’investissements (actions, obligations d’entreprise, projets d’énergies renouvelables ou de transports locaux) en prenant en compte de manière systématique les enjeux environnementaux. « Tous les banquiers et les gérants d’actifs commencent désormais à intégrer les enjeux environnementaux et sociaux dans leur façon de penser, a-t-il relevé. L’aspect local est essentiel dans cette finance durable, et d’abord dans la collecte de l’épargne. Aujourd’hui, les fonds donnent très peu d’info aux investisseurs sur la manière dont leur argent va être utilisé. Or, si les épargnants sont soucieux de l’impact social ou environnemental global de leur investissement, ce qui les intéresse véritablement est ce qui va se passer autour de chez eux. » Insertion emploi dynamique, un fonds distribué dans le réseau des Caisses d’épargne et des Banques populaires, a donc été créé il y a quelques années pour investir dans les entreprises créant de l’emploi.

Philippe Zaouati. © Jgp

Le président-directeur général de Mirova a poursuivi sur le sujet du financement, évoquant des partenariats public-privé « au cœur de ce que l’on doit faire dans la mobilité, le bâtiment, l’agriculture… Ce sont des sujets pour lesquels nous connaissons les solutions techniques, mais que nous n’arrivons pas à faire à l’échelle. »

Au niveau national, le think tank Institute for climate economics a mesuré que l’investissement nécessaire pour la transition énergétique représente 70 milliards d’euros par an en France, a-t-il rapporté. Aujourd’hui, 50 sont investis. « Pour réussir à mobiliser les 20 milliards manquants chaque année, il faut plus d’argent privé, qui représente déjà 50 % des 50 milliards. Il faut donc rendre ces investissements plus attractifs d’un point de vue des risques et des opportunités. C’est pour cela que le partenariat public-privé est la clé afin que l’argent public soit utilisé intelligemment et qu’il puisse produire un effet de levier. Chaque fois qu’on a un euro d’argent public, il faut qu’il puisse générer beaucoup plus d’euros privés en « dérisquant » et en améliorant la qualité des projets d’infrastructure comme les trams, les transports propres, les réseaux numériques, de chaleur… »

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