Constatant la chute des permis de construire et inquiet pour l’activité du bâtiment en 2021, Jean-Luc Tuffier, président de la FFB Grand Paris, demande à son tour aux collectivités territoriales de se mobiliser pour réduire le nombre des entreprises qui risquent de se retrouver en grande difficulté. En accélérant notamment le traitement des documents d’urbanisme.
Quel est l’impact de la pandémie sur les chiffres de la construction en Ile-de-France ?
S’agissant de l’impact du second confinement sur les entreprises du bâtiment en Ile-de-France, nous venons de réaliser une enquête sur le ressenti des entreprises qui sera présentée ce jeudi 3 décembre 2020. Contrairement au printemps dernier, les entreprises ne se sont cette fois pas arrêtées. En revanche, concernant les autorisations de construire, si l’on compare le troisième trimestre 2020 au troisième trimestre 2019, l’Ile-de-France enregistre une baisse de 23,4 % sur le secteur du logement, tandis que les surfaces de bâtiments non-résidentiels autorisées chutent de 24 %. C’est énorme !
Quelle est la cause de cette baisse ?
Elle est double. Cela provient d’une part du cycle électoral, avec des élections municipales dont le second tour a été reporté de plusieurs mois. Cela a prolongé d’autant le trou d’air, habituel en cette période. D’autre part, avec des équipes élues en juin, il ne s’est quasiment rien passé durant l’été et il a fallu attendre que les nouvelles équipes se mettent en place. Sur les logements, cela va vraisemblablement provoquer une baisse d’activité d’un quart sur le marché du neuf d’ici à la fin de l’année.
En outre, après le premier confinement, le redémarrage des chantiers a été très long. Certaines communes l’ont bloqué jusqu’à début juillet. Et à cela s’est ajoutée la mise en place des protocoles de prévention sanitaire, puis l’attitude de certains maîtres d’ouvrage qui refusaient d’en prendre en charge le coût. La pleine activité n’est donc revenue que cet été. Soit un arrêt quasi total du 15 mars au 11 mai, puis une reprise très progressive.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’activité du secteur du bâtiment a pu être maintenue pendant le nouveau confinement et ce dans le respect du protocole sanitaire établi par l’OPPBTP (organisme professionnel de prévention du BTP, ndlr). En revanche, malgré toute la bonne volonté du monde, l’activité ne peut pas être totale en raison de nombreuses causes externes (baisse des commandes dans les commerces et le tertiaire, gestion des cas contacts et des cas Covid sur les chantiers, etc.).
Comment regardez-vous l’avenir ?
Nous sommes très inquiets pour notre activité, et ce au minimum jusqu’en 2022, voire au-delà en cas de poursuite de la crise sanitaire. Tout dépend en réalité des commandes qui vont se concrétiser au premier semestre 2021. Nous ne constatons pas, pour l’heure, les effets du plan de relance mis en place par le gouvernement. Ce dernier ne comportait pas de mesures particulières sur la construction neuve. Nous avons, en revanche, obtenu dans le cadre du projet de loi de finances, la prolongation du dispositif Pinel jusqu’en 2024. Cela va sans doute permettre de débloquer certains projets sur 2021. Notre inquiétude provient surtout du fait que les permis de construire qui n’ont pas été délivrés en 2020 provoqueront une baisse de chantier au second semestre 2021, jusqu’à mai 2022 et au-delà si les choses n’évoluent pas positivement dans les semaines et les mois à venir.
Quelle est la sinistralité des entreprises dans votre secteur ?
Encore une fois, notre inquiétude porte sur l’avenir. Sans la Covid-19, l’année 2020 aurait battu des records d’activité, inégalés depuis 15 ans en Ile-de-France. Nos carnets de commandes n’avaient jamais été aussi pleins en janvier dernier. Les projets vont donc se poursuivre jusqu’à la fin de l’année, avec tout de même une baisse de chiffre d’affaires moyenne d’environ 15 %, compte tenu des deux mois d’arrêt du printemps dernier. Grâce aux différents garde-fous mis en place par le gouvernement, on peut espérer que 2020 ne soit pas catastrophique.
Mais il y a donc un risque fort que 2021 soit nettement plus difficile. Aujourd’hui, les prix pratiqués par les entreprises du BTP commencent à baisser. Tout le monde le ressent. Il faut se battre, en effet, pour obtenir les rares commandes qui sortent. La guerre des prix est relancée, ce qui se traduira immanquablement par une augmentation des dépôts de bilan dans un ou deux ans. Si, dans la restauration, les faillites risquent de se multiplier dès les premiers mois de 2021, ce sera davantage à partir du milieu de l’année prochaine dans le bâtiment.
Qu’en est-il du bureau ?
Vous savez que l’activité du bâtiment en Ile-de-France se répartit comme suit : près de 30 % de construction neuve de logement, près de 20 % de construction neuve tertiaire, le reste étant représenté par l’entretien/rénovation. Concernant le tertiaire, de nombreux programmes importants avaient été lancés en 2019 et se poursuivent. Mais certains sont annulés. Et, surtout, plus aucun nouveau projet ne sort. Les investisseurs attendent, en effet, de connaître les conséquences de la Covid-19 sur le télétravail, pour prendre des décisions. Nous sommes face à un paradoxe : avec d’un côté des foncières qui n’ont jamais disposé d’autant de moyens et, de l’autre, une absence de projets nouveaux. Les foncières poursuivent leurs acquisitions de terrains, mais attendent pour les lotir.
Et la rénovation énergétique, qui est au centre des plans de relance ?
Les effets commencent à se faire sentir pour ce qui est de la rénovation énergétique dans le secteur public. De nombreux projets ont été déposés par les communes. Nettement plus que ce qui était prévu initialement. Et on peut espérer, si les financements suivent bien, que ces dossiers avancent rapidement, avec des concrétisations dès le premier semestre 2021. C’est une bonne chose. Mais cela ne représente, globalement, que près de 6 milliards d’euros, à comparer avec les 148 milliards d’euros que pèse l’activité du bâtiment en France. Ensuite, le marché des particuliers est plus complexe : de nombreuses demandes sont effectuées dans le cadre de Maprimerenov’, mais leur traitement semble prendre du temps. On perd du temps.
Comment peut-on éviter la multiplication des faillites ?
Nous martelons le message selon lequel il est important que les collectivités territoriales accélèrent la délivrance des permis de construire et passent elles-mêmes commande. La commande publique est l’un des principaux moteurs de notre économie. Sur le marché privé, il est impératif de ne pas renforcer les conditions d’octroi des prêts des particuliers, faute de quoi la confiance des ménages en l’investissement serait ébranlée.