P. Devedjian : « Je m’inscris dans le consensus du conseil des élus »

Elu le 19 décembre, à l’unanimité, président de Paris métropole, Patrick Devedjian livre ses convictions, franches, sur la métropole du Grand Paris telle qu’il la conçoit.

JGP : Quel regard le nouveau président de Paris Métropole porte sur la gestation complexe de la métropole du Grand Paris ?

PATRICK DEVEDJIANP. Devedjian :
Le projet initial du gouvernement sur la métropole du Grand Paris semble à la fois improvisé, partisan et centralisateur. Nous avons réussi, au sein de la mission de préfiguration, à élaborer un texte qui a recueilli 94 % des suffrages des élus concernés par le projet du Grand Paris. Je m’inscris naturellement dans ce consensus. Cette réécriture de l’article 12 [de la loi Maptam] refuse le centralisme du texte primitif. Elle laisse aux collectivités locales de premier niveau, que sont les communes et les intercommunalités, les compétences de proximité et l’autonomie de l’administration de proximité.

Cette autonomie, elle est selon moi conditionnée par le maintien du pouvoir fiscal. Les communes et leurs intercommunalités le détiennent encore en partie aujourd’hui. Or on se souvient que l’article 12, que nous voulons modifier, aboutit à ce que toute la fiscalité soit absorbée par la métropole, laquelle décide d’un reversement forfaitaire à chaque territoire. C’est-à-dire, en réalité, à des sous-intercommunalités, c’est-à-dire des intercommunalités diminuées, de moindre proximité, moins armées en compétence, moins armées en libre administration.

A cela s’ajoutait le fait que le directeur général de ces territoires était nommé par la métropole et pas même par les élus du territoire… On se trouvait donc bel et bien dans un processus de centralisation. Ceci pour exercer de réelles compétences de proximité : les crèches, les conservatoires de musique, les piscines. Soit une absurdité terrible et coûteuse.

Je m’inscris donc totalement dans la revendication décentralisatrice de tous les élus locaux concernés. J’ajoute que cette revendication passe nécessairement par l’autonomie fiscale, qui est évidemment le nerf même de la décentralisation. Sans autonomie fiscale, c’est la péréquation automatique, c’est-à-dire la négation des différences de politiques. Un territoire réussit un développement prospère, mais sa prospérité est confisquée par le système centralisé au profit d’un autre territoire qui a mené une politique négative et qui est donc encouragé à la poursuivre parce qu’il n’en subit pas les conséquences financières…

Que répondez-vous à ceux qui considèrent que la péréquation s’impose tant sont importantes les disparités territoriales, par exemple entre l’Est et l’Ouest de la petite couronne ?

P. Devedjian :
Je vous ferais observer, tout d’abord, que les ressources de la Seine-Saint-Denis, après péréquation, se révèlent supérieures à celles des Hauts-de-Seine. Pendant 50 ans, la Seine-Saint Denis a conduit une politique de développement désastreuse qui évidemment, a aujourd’hui des conséquences… Certes, il est exact que ses dépenses sociales, en raison de sa population et de sa différence sociologique, sont supérieures à celles des Hauts-de-Seine. Mais ces dépenses sociales résultent, au moins partiellement, de choix politiques délibérés. Lorsque l’on veut offrir, par exemple, la gratuité des transports aux chômeurs, ou aux bénéficiaires de minima sociaux, cela a un prix. Ce sont là des choix politiques que notre département n’a pas effectués. Chacun a le droit de mener ce type de politique. Mais il faut le financer, et non le faire financer par les autres. Il semble tout de même anormal que les contribuables des Hauts-de-Seine financent des prestations sociales qui sont distribuées en Seine-Saint-Denis et qui ne sont pas délivrées dans les Hauts-de-Seine… J’y vois une injustice.

Le conseil général de Seine-Saint-Denis a construit un maximum de logements sociaux,  niant le principe élémentaire de mixité sociale. Monsieur Troussel vient d’expliquer qu’au moment où les socialistes ont succédé aux communistes à la tête du département, les emprunts toxiques représentaient 91 % de l’endettement. Les Hauts-de-Seine doivent le financer ? Ces aberrations de gestion doivent être encouragées, je dirais presque récompensées par la péréquation ?

Aucun rééquilibrage n’est nécessaire ?

P. Devedjian :
Je crois naturellement à la péréquation. A condition qu’elle soit juste, qu’elle s’attaque aux handicaps structurels des territoires et non aux handicaps politiques… Si vous vous trouvez au sein d’un territoire enclavé, effectivement, ce dernier mérite de bénéficier d’une redistribution. Mais alors, cette péréquation devrait être fléchée. Il faudrait au moins que cet argent soit affecté à des financements productifs.  Et non à des dépenses de fonctionnement improductives.

Je vais vous donner un exemple que j’ai vécu lorsque j’ai été élu maire d’Antony en 1983, succédant à une administration communiste. Antony était alors très pauvre. Elle bénéficiait de la dotation de solidarité urbaine. A coté de nous, Bagneux, ville gérée également par le parti communiste, était riche parce que s’y était localisé un grand nombre d’entreprises alors que nous en étions totalement dépourvu. Nous ne bénéficiions pas, alors, de recette d’origine économique. J’ai donc mis en œuvre, pendant plusieurs années, une politique d’attractivité  économique très volontariste, pour que des entreprises viennent s’installer chez nous. Ce qui s’est produit. Dans le même temps, le parti communiste, qui gérait la ville de Bagneux et élevait la taxe professionnelle à des sommets, organisait et finançait des grèves dans les entreprises. Par ailleurs, la municipalité de Bagneux préemptait systématiquement les terrains vacants pour y construire des logements sociaux. Aujourd’hui, il y a 80 % de logements sociaux à Bagneux, il n’y a plus d’entreprise, et naturellement Bagneux est éligible à la péréquation…

Vous voyez qu’il y a là deux politiques complètement différentes. Aujourd’hui, Antony n’est plus éligible à la DSU mais, au contraire, se retrouve contributrice à la péréquation. Il est vrai qu’il vaut mieux être imposable à l’ISF que percevoir le RSA. Mais l’on n’est pas obligé d’être punis parce que l’on réussit.

Vous êtes donc hostile à une métropole qui placerait le rééquilibrage des disparités territoriales au centre de son objet ?

P. Devedjian :
Je suis évidemment très favorable au principe métropolitain. Parce que la métropole est la mieux placée pour exercer et développer une série de compétences stratégiques. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce que sont ces compétences stratégiques. Le logement, par exemple, n’y figure pas selon moi. J’estime, au contraire, que le logement constitue une compétence de proximité, parce que la centralisation de la question du logement a abouti à un échec lourd dans les années 1960 et 1970. Il a fallu le programme de l‘Anru pour réparer les erreurs que la centralisation de l’urbanisme et du logement ont provoquées. Je ferais remarquer, par ailleurs, que le territoire métropolitain est le territoire le plus dense de toute l’Europe. C’est-à-dire deux fois plus dense que l’équivalent londonien qui est notre vrai concurrent, car en réalité, les Hauts-de-Seine ne sont pas en concurrence avec la Seine-Saint-Denis, mais en concurrence avec Londres, pour le développement et pour l’attractivité de son territoire.

Il faut garder à l’esprit, par ailleurs, que ce territoire métropolitain a atteint une telle densité que l’on peut difficilement y circuler. Que ce soit en automobile ou en transport en commun, puisque les moyens de transports sont totalement saturés. Et qu’il faudra attendre 25 ans avant que le Grand Paris express produise ses effets de désaturation du réseau. Le métro du Grand Paris ne doit d’ailleurs pas fournir un prétexte pour densifier encore plus l’agglomération. Parce que les problèmes de pollution sont directement liés à la densité, ce qui n’a pas l’air d’effleurer les écologistes…

Vous contestez l’objectif régional de construction de 70 000 logements par an ?

P. Devedjian :
Premièrement, c’est un objectif impossible à atteindre, qui n’a jamais été atteint puisse que nous sommes aujourd’hui à 38 000 logements construits chaque année en Ile-de-France. Par conséquent, fixer un objectif à 70 000, c’est se moquer du monde.

Deuxièmement, dans un territoire aussi resserré, vous voulez supprimer des zones pavillonnaires pour construire des immeubles ou des grandes tours ? Allez annoncer cela à la population ! A la Défense oui, peut-être, mais apparemment, dans le 15e arrondissement de Paris, cela ne fonctionne pas… Je pense, par conséquent, que nous avons besoin d’espaces verts dans la ville. Vous voulez transformer Paris en New York ? Ce n’est pas la même histoire, ce n’est pas la même culture et il faut noter que les Américains vivent de moins en moins à New York et de plus en plus à l’extérieur. Je propose un référendum sur la construction :  la population est très hostile à la densification. Tous les maires d’Ile-de-France vous expliqueront que la construction d’un seul pavillon pose un problème politique à chaque fois. Souhaitez-vous déposséder les élus locaux de leurs compétences, pour les faire gérer par des fonctionnaires qui n’auront effectivement aucun problème politique à gérer ? Le projet de loi, dans sa forme actuelle, revient à  déposséder les élus locaux, qui savent bien que leur population ne veut pas de densification. Ce ne sont pas les élus locaux qui ont construit Clichy-Montfermeil. C’est l’Etat centralisé, c’est le ministère de l’Equipement… Vouloir densifier partout la construction, c’est punir ceux qui ont échappés aux massacres.

Par définition les transports constituent une compétence stratégique, pourquoi ne souhaitez vous pas voir cette compétence exercée par la métropole ?

Mais aujourd’hui, l’Etat conserve la compétence transport. Le métro du Grand Paris, le RER, la SNCF, la RATP sont à la main de l’Etat, le Stif seul est de compétence régionale. En fait, le périmètre le plus adapté pour gérer les transports, est celui qui est le plus large. Aujourd’hui, parce que l’Etat n’y investit plus un euro, les transports, la grande voirie, les aéroports, les ports, le fluvial, la gestion du port autonome de Paris tournent au ralenti. Souhaitez-vous voir l’état actuel d’abandon du port de Gennevilliers ? Voulez-vous regarder l’état des berges dans les Hauts-de-Seine ? Dès que l’on sort de Paris, les berges sont en friche. Je m’y suis attaqué en tant que département, bien que ce soit de la compétence des voies navigables de France. En réalité, il n’y a aucune décentralisation dans cette loi métropole, aucune.

Premièrement, la métropole absorbe des compétences de proximité, les fait remonter à une administration, certes entre les mains des élus, mais à un échelon beaucoup plus élevé que l’échelon de proximité dans lequel elles étaient précédemment.

Deuxièmement, l’Etat garde la main sur absolument tout ce qui est stratégique et ne finance rien, absolument rien, car il n’a plus d’argent. Permettez-moi de vous faire remarquer que l’Etat entend financer les 30 milliards d’euros du Grand Paris express par des taxes sur la valorisation du foncier autour des gares. Ce qui constitue d’ailleurs une autre aberration. Avant que la plus-value foncière résultant du métro du Grand Paris ne soit effective, il coulera de l’eau sous les ponts. Non content de cela, Monsieur Valls a annoncé début octobre 20 opérations d’intérêt national supplémentaires (OIN) sur le périmètre du Grand Paris…  Vous appelez cela de la décentralisation ? Une OIN consiste à placer l’urbanisme totalement entre les mains de l’Etat !

Le but est d’accélérer les opérations. Vous le contestez ?

Cela me rappelle ce qu’affirmait Ségolène Royal à propos de la justice chinoise. Elle l’a trouvait « rapide ». « Non pas rapide mais expéditive », lui avais-je alors répondu. Pour l’urbanisme c’est la même chose. Incidemment, nous avons dans les Hauts-de-Seine, une expérience d’OIN : c’est la Défense. Ce n’est pas les Hauts-de-Seine, c’est l’Etat qui a piloté ce projet. Or, contrairement à ce que les gens mal informés disent ou répètent, la Défense a été en déficit pendant 25 ans… Lorsque j’ai accédé à la présidence de l’Etablissement public de la Défense, c’est moi qui a créé la comptabilité. Il n’y en avait pas…

Certains vous accusent de vous opposer à la métropole pour défendre le conseil général que vous présidez ?

Est-ce que je défends ma boutique ? J’espère simplement, pour mon pays, un système plus rationnel. En réalité, si l’on souhaite supprimer le département, pourquoi pas. Mais alors, il faut dire qui va assumer les compétences et les responsabilités qu’il assume aujourd’hui. Parce que de toute façon, ce que fait le département, il faudra le faire : la gestion du RSA, celle du handicap, la gestion de la protection maternelle et infantile, la voirie départementale, la gestion des collèges etc.

Je pense que la vraie question qui se pose pour l’exercice de compétences c’est celle de leur bon niveau d’exercice. Cela varie en fonction des compétences. Certaines demandent à être exercées auprès du citoyen. D’autres demandent d’être plus élevées. Si je prends l’exemple des collèges, la loi Notre prévoit de les transférer à la région, qui possède 470 lycées. Avec les 1 150 collèges des départements franciliens, le conseil régional aura la responsabilité de 1 620 établissements…

Or avec beaucoup d’inconséquence, ce gouvernement vient de décider que dans chacun des établissements, lycées et collèges publics, où il y avait à présent un élu représentant la collectivité, il en faut désormais deux…  La région va donc devoir désigner 3 240 postes d’élus, soit 16 élus par établissement par élu. Ce qui est tout simplement ingérable.

Il ne faut pas toucher au millefeuille ?

ENTRETIEN AVEC PATRICK DEVEDJIANLe nombre de couche du millefeuille ne constitue pas une spécialité française. Vous pouvez faire le tour de l’Europe il y en a à peu près autant partout, y compris en Allemagne, y compris en Italie. Mais en revanche, nous sommes le seul pays dans lequel chaque niveau exerce la totalité des compétences. Ce qui est une folie.  A ce propos, ce gouvernement a une telle vision de l’avenir qu’au mois de décembre 2013, il a supprimé la spécialisation des compétences qu’avait instituée la loi de 2010, puis en janvier dernier, le président de la République et le Premier ministre ont dit le contraire. Maintenant, ils expliquent qu’il faut revenir à la spécialisation des compétences… Moi, je suis pour la spécialisation des compétences. Je pense que les départements ne peuvent pas tout faire, pas plus que la région. J’estime, par exemple, que le département n’est pas bien placé pour exercer des compétences de développement économique. En revanche, c’est le meilleur niveau pour gérer la voirie. Regardez la France, c’est l’un des pays les mieux articulés, organisés en terme de voirie. Grâce au travail des départements.

Quelles sont vos propositions en matière de réforme territoriale ?

La première consisterait à regrouper les départements deux à deux. Les Hauts-de-Seine fusionneraient ainsi avec les Yvelines, avec lequel nous avons la plus grande frontière et des politiques communes. Par ailleurs, l’intercommunalité va aboutir à une impasse absolue avec la conjonction du non-cumul des mandats et de l’élection au suffrage universel de l’exécutif intercommunal. Quels vont en être les effets ? L’intercommunalité est fondée sur la commune, qui transfère une partie de ses compétences à l’intercommunalité. Donc le maire d’une commune en raison du non-cumul, ne pourra plus être président de son intercommunalité ou même membre de l’exécutif de l’intercommunalité. Qui va se décharger de ses compétences municipales au profit d’une structure dans laquelle il ne pourra pas siéger ? Pensez-vous qu’un maire UMP va déléguer ses compétences au président PS d’une intercommunalité où il ne siège pas ? En petite couronne, les départements constituent la vraie intercommunalité.

Pour vous, l’échelon de trop, c’est l’intercommunalité ?

C’est  un échelon inachevé. Rappelons que l’intercommunalité a vu le jour tout simplement parce que l’on n’a pas eu le courage de regrouper les communes comme l’ont fait les autres pays européens. Nous avons 27 000 communes de moins de 1 000 habitants. C’est une spécificité française dont on ne parle jamais. Les Allemands ont divisé par quatre, du jour au lendemain, le nombre de leurs communes. Le principe de spécialité des compétences, le regroupement des départements deux à deux, l’abnégation des intercommunalités au sein des départements, constitue des mesures de simplification efficace. Et puis à un moment, il faudra choisir entre la métropole et la région.

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