X. Lépine : « La finance au cœur de la construction de la ville durable pour tous »

« La finance a un rôle clé à jouer dans la fabrique de la ville durable. L’opportunité de taux d’intérêt très bas permet des solutions innovantes et la fin de l’opposition entre une partie qui gagne, qui impliquerait nécessairement que l’autre perde. Aujourd’hui, il est possible de faire des produits rentables à impact social », estime Xavier Lépine, président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF), dans une tribune.

Dans la conception de la fabrique de la ville, la puissance publique, les élus et le secteur privé doivent se compléter, créer le vivre ensemble durable dans ses dimensions sociales et environnementales. En macro-économie, la main invisible d’Adam Smith, où la somme des intérêts individuels concourt au bien commun, est souvent évoquée pour justifier l’économie libérale. La fabrication de la ville est, à l’inverse et depuis très longtemps, soumise à des règles beaucoup plus administrées du fait de la complexité du sujet. Cependant, même si l’objectif recherché est bien celui de l’intérêt commun, force est de constater que depuis des dizaines d’années, les dysfonctionnements se multiplient. L’enfer est pavé de bonnes intentions et les complexités sont nombreuses : l’urbanisation, l’allongement de la durée de la vie, la croissance de la population, les modes de vie, l’attractivité des territoires, la complexité des gouvernances multiples.

Xavier Lépine, président de lEIF. © Jgp

Au total, des mesures aux effets de bords qui sont, à terme, trop souvent inverses aux objectifs initialement recherchés. Depuis plusieurs décennies, l’une des problématiques majeures de la ville est la construction de logements. Le déficit est criant, particulièrement en Ile-de-France et d’une manière générale dans les zones tendues. 500 000 logements nouveaux seraient annuellement nécessaires et ce depuis plusieurs décennies. Or la France peine à en produire 400 000. J’ose être politiquement incorrect : l’illustration typique d’un dysfonctionnement, la loi du 13 décembre 2000 relative à la Solidarité et au renouvellement urbain (SRU) imposant à certaines communes de disposer d’un nombre minimum de logements sociaux. Si cette loi est nécessaire et demeure indispensable, pour autant, il a bien fallu reporter partiellement son coût sur les logements non sociaux et elle a, en même temps, contribué au ralentissement de la production de logements, à l’augmentation des prix parmi bien d’autres facteurs… y compris et peut être surtout au désengagement des investisseurs institutionnels de ce secteur.

L’actif logement est devenu un actif de rareté

L’actif logement est devenu en deux décennies un actif de rareté et non plus un actif d’efficacité économique : son rendement courant est faible, il ne trouve son sens que s’il est rare, voire en pénurie, car alors les prix montent. Un effet de bord non anticipé car, comme bien souvent, la focalisation ne se fait que sur un seul des paramètres, en l’espèce la pénurie, pourtant bien réelle, de logements sociaux. D’une main, l’Etat (et dans une moindre mesure les collectivités locales) ponctionne la construction de logements par de multiples taxes et, de l’autre main, subventionne les investisseurs privés par les lois fiscales… tout en se plaignant de la rente immobilière et de l’absence de prise de risque dans les actifs d’efficacité économiques (actions et obligations d’entreprises) des mêmes personnes physiques.

Concrètement, 60 % de l’immobilier (constructions et terrains) est détenu par les ménages, 24 % par les sociétés non financières (propriétaires occupant leurs immeubles d’exploitation) et 15 % par les administrations publiques… Les investisseurs institutionnels et les banques ne représentent que 3% ! L’immobilier représente 5,6 fois le PIB 2019, mais que vaut cette richesse si elle n’est pas productive économiquement et socialement ?

D’une main, l’Etat (et dans une moindre mesure les collectivités locales) ponctionne la construction de logements par de multiples taxes et, de l’autre main, subventionne les investisseurs privés par les lois fiscales…

« Maire bâtisseur, maire battu » illustre bien également la schizophrénie, encore récemment démontrée par les réponses aux 58 appels à projets lancés par la métropole du Grand Paris : une prédominance forte du tertiaire alors que ce sont de logements dont notre urbanisation a tout autant besoin. Les explications sont connues : les bureaux sont des recettes pour la municipalité, le logement entraîne des coûts d’infrastructures… et un risque électoral : il faut construire, mais « not in my backyard », risque de gentrification pour les uns, de paupérisation pour les autres… On ne se mélange pas et le cercle vicieux est engagé…

La pratique des quotas a finalement conduit à une pénurie des logements sociaux comme ceux du secteur libre. La part des investisseurs institutionnels représente à peine 1 % du parc locatif privé. Surtout, la France est l’un des rares pays développés à ne pas avoir de foncière (cotée ou non cotée) significative de logements dans le secteur libre (1). La résultante de cet abandon est la stabilité du nombre de logements locatifs privés depuis 25 ans, alors même que la population a augmenté d’en moyenne 0,8 % par an et le nombre de ménages encore plus. Au contraire, les investisseurs institutionnels se sont tournés vers les bureaux, beaucoup plus avantageux financièrement et sans risque d’image (expulser des locataires qui ne paient pas, c’est compliqué en termes d’image pour un investisseur institutionnel). L’investissement dans les bureaux est très attractif. Ayant une intensité capitalistique élevée, ils permettent le déploiement de capitaux importants avec le degré de sophistication de l’ingénierie financière nécessaire. A intensité capitalistique comparable, le secteur de la production de logements s’est organisé sans le monde de la finance, et c’est le problème central. En matière de bureaux, les promoteurs sont essentiellement constructeurs tandis que pour la production de logements, ils se chargent également du financement, assument intégralement le risque et en prennent le profit. Dans un monde de pénurie où le temps est long entre le projet et sa livraison (4 à 6 ans), l’approche du promoteur est ainsi logique car imposée par le système (2) et le bilan d’un promoteur est assez facile à comprendre :

  • 10 % de fonds propres ;
  • Ventes en l’état futur d’achèvement (Vefa) auprès des personnes physiques qui vont les occuper ;
  • Ventes en Vefa auprès d’investisseurs personnes physiques qui, pour accepter la faiblesse du rendement lié au temps de construction, ont besoin de subventions fiscales (aujourd’hui la loi Pinel) ;
  • Et un emprunt bancaire pour le solde.

Les fonds propres seront perdus si l’opération se déroule mal. Par contre, si tout se passe bien, le bilan de promotion est de l’ordre de 8 % du prix de revient et le rendement sur les fonds propres atteindra ainsi 80 % sur 5 ans (8 %/10 %), un couple rendement-risque rationnel car 8 % de marge nette sur 5 ans sur le coût de fabrication n’est in fine pas considérable compte tenu des risques. Ce rendement intègre la durée nécessaire pour qu’il soit généré et les risques associés – obtention des permis de construire et recours, aléas sur les coûts et la durée des travaux, évolution des taux d’intérêts, évolution de la solvabilité et du pouvoir d’achat immobilier des ménages, incertitudes sur la loi fiscale sans compter les évolutions sur la protection des locataires… Tout cela n’est pas politiquement correct, mais l’angélisme nous a conduits à bien des égarements dans beaucoup de domaines, y compris le contexte social et sanitaire d’aujourd’hui. Mon propos n’est pas de pointer du doigt telle ou telle partie prenante, mais de constater que le modèle organisationnel administratif, démocratique, économique et financier ne permet pas de produire plus et d’une certaine manière toutes les aides, y compris des taux d’intérêts très bas, concourent à une hausse des prix plus qu’à une production supplémentaire de logements. L’échec, jusqu’à présent, des dispositions de la loi Elan (2018) relatives à la transformation de bureaux vides (ou obsolètes) en logements est l’illustration même de la nécessité de repenser les modes de financement et de propriété du logement.

« Les bureaux sont des recettes pour la municipalité, le logement entraîne des coûts d’infrastructures… et un risque électoral ». © Jgp

Acheter un immeuble de bureaux vides nécessite au démarrage cinq fois plus de fonds propres (coût du foncier et du bâtiment déjà construit) que de construire du neuf sur un terrain vierge… Pour le même bilan économique attendu en euros sonnant et trébuchant, son rendement sur fonds propres est ainsi cinq fois plus faible et le promoteur préfère naturellement… construire du neuf et participer de surcroit à l’artificialisation supplémentaire des sols. L’investisseur institutionnel n’a également que peu d’intérêt à se lancer dans ce type d’investissements dont le rendement locatif en logement est inférieur à celui des bureaux qu’il peut acheter déjà construits, loués et sur lesquels il n’aura d’ennuis ni avec les locataires, ni de veto de la municipalité, bien au contraire… Conclusion : les bureaux restent vides et obsolètes et au lieu de construire la ville sur la ville sans artificialisation nette, les parties prenantes s’interrogent sur la densité, l’horizontalité ou la verticalité, alors même que la crise sanitaire questionne l’organisation du travail et le rôle du bureau. In fine, c’est tout un système qui, bien involontairement, crée la pénurie de logements en faisant de ces derniers des actifs de rareté, portés par des subventions pour certains qui viennent compenser les taxes en amont, et aidés par des taux d’intérêt extrêmement bas… Les grands absents sont des investisseurs naturellement attirés par des risques et un rendement attractif.

Introduire la finance au cœur de la construction de la ville durable

Il n’y a pas de solution miracle pour sortir de cette problématique résultant de 40 ans de politique de construction de la ville et une approche plus holistique est nécessaire. Construire la ville durable, c’est travailler en même temps sur l’actif et sur le passif. Sur l’actif, de nombreux acteurs, publics comme privés, sont actifs : quels services doit-on rendre (l’immobilier « as a service ») ? Comment être plus respectueux de l’environnement (dans sa construction et son exploitation) ? Comment rendre la ville plus inclusive alors qu’elle exclut de plus en plus de catégories sociales ? Il y a un réel besoin de faire une ville durable pour tous. Tout ceci est nécessaire. Mais la réponse ne réside pas uniquement sur les actifs. Elle doit intégrer le « passif », car il n’y a pas d’actif sans passif. Il est donc nécessaire d’innover sur le passif et ne pas se limiter à l’actif. Le passif est composé de deux éléments : la gouvernance et la finance. La gouvernance, ce sont toutes les parties prenantes, y compris les acteurs de la finance et de l’investissement, qui travaillent ensemble dans une logique de compromis des uns et des autres.

En premier lieu, il faut une volonté politique. Peut-être faudrait-il instaurer un système où, lorsque des logements sont construits dans un nouveau cadre de financement, plutôt que de subventionner les acquéreurs investisseurs personnes physiques via la loi Pinel, l’Etat subventionne les collectivités pour construire des équipements, des infrastructures… ? Quand Paris s’est réinventée sous Haussmann, l’organisation des quartiers avec les écoles, les services publics… étaient assumés par l’Etat car il s’agissait de fonctions régaliennes. Aujourd’hui, l’organisation entre les prérogatives du maire, celles de la Région, de l’Etat a singulièrement complexifié le développement de l’urbanisation… La construction administrative du Grand Paris en est la parfaite illustration. Il y a donc nécessité à redéfinir le rôle de chacun. Des innovations et de l’ingénierie financière sont également possibles, à l’instar des pratiques de certains pays anglo-saxons où les missions de services publics sont parfois assumées par le secteur privé, des « social bonds » (émissions obligataires à caractère social) peuvent être émis et les parties (émetteur et acheteur) subventionnées par l’Etat si les objectifs sociaux prédéfinis sont atteints (par exemple, si les prisons gérées diminuent le taux de récidive, ce qui in fine est moins coûteux pour la collectivité).

La fausse bonne idée…

Une première approche pourrait être de créer une grande foncière acquérant l’ensemble du foncier. Cela a du sens lorsque l’on considère que le coût du foncier représente 30 à 40 % du coût total d’une opération dans les régions denses, alors même que l’on sait que, justement, les logements sont globalement trop chers de 30 % pour être accessibles aux classes moyennes dans les zones tendues. Les acquéreurs ne détiendraient que le bâti, soit un prix d’acquisition qui baisserait mécaniquement d’autant et loueraient le foncier. Si le loyer du terrain est faible, seul un acteur public accepterait de détenir ces terrains avec deux effets négatifs : le coût pour la collectivité et une inflation plus ou moins rapide des prix du fait de l’effet d’aubaine. C’est le principe créé par le bail réel et solidaire (BRS) en 2016, qui est parfaitement adapté au logement social en donnant la faculté à un particulier d’acquérir, sous conditions de plafond de ressources, son appartement à un prix accessible avec comme contrainte de le revendre à un acheteur lui-même sous condition de plafond de ressources… Dans le cas du BRS, la mécanique inflationniste n’existe pas et il est donc parfaitement adapté à la situation. Son extension au secteur libre n’est évidemment pas envisageable pour au moins deux raisons : le coût pour la collectivité qui devrait porter ce foncier et l’inflation mécanique qui résulterait de son extension au secteur libre (pas de conditionnalités de ressources à la revente). A l’inverse, si les actionnaires de cette foncière étaient des investisseurs privés, par définition, ils demanderaient un rendement normal de leur actif et de fait la problématique du coût total pour l’acquéreur privé ne serait pas résolue avec un risque d’effet de bord à terme pire que la situation actuelle ; c’est ce qui se passe à Londres.

Un alignement des planètes

Aujourd’hui, plusieurs indicateurs montrent qu’il y a un alignement des planètes pour construire collectivement la ville durable. Tout d’abord, les taux d’intérêts sont très bas et le resteront durablement. A la différence des précédentes crises, les réponses des États et des banques centrales ont été identiques, la création de dette publique supplémentaire et son acquisition par les Banques centrales. Les pays occidentaux ont désormais un taux d’endettement (dette gouvernementale) moyen de 120 % de leur PIB et le seul moyen pour rendre financièrement acceptable cette dette, sauf à la répudier, consiste à maintenir des taux très bas pour que cette dette reste supportable.

Aujourd’hui, plusieurs indicateurs montrent qu’il y a un alignement des planètes pour construire collectivement la ville durable.

Les économistes, y compris ceux de la Banque centrale américaine, ont revu leur logiciel sur ce sujet du maximum de l’endettement, en s’inspirant de Gordon Shapiro sur la valeur à long terme des entreprises… Tant que le service de la dette (i.e. les intérêts) est inférieur à l’excédent budgétaire primaire, le niveau de l’endettement est supportable. Pour faire le parallèle avec une personne physique, un particulier peut s’endetter pour l’équivalent de X années de son revenu pour autant que son revenu net de ses charges courantes lui permet de payer les intérêts et l’amortissement du capital de sa dette. Or l’Etat et les Banques centrales ont deux avantages sur un particulier : d’une part, ce sont les Banques centrales qui aujourd’hui décident du niveau des taux car l’Etat s’endette largement auprès d’elles ; d’autre part, les États n’ont pas vocation à ne plus avoir de dette, à la différence d’un particulier qui, lui, a une espérance de vie limitée et voit son revenu diminuer lorsqu’il part à la retraite. Le deuxième point, ce sont les capitaux à déployer qui sont considérables et l’immobilier (de logement) est par définition un actif réel dont la valeur est moins volatile que les valeurs mobilières et la faiblesse de son rendement locatif devient toute relative quand les taux de la dette d’Etat sont autour de zéro pour cent. La construction n’est pas délocalisable et son activité économique est un des éléments clé du PIB. Le troisième point d’alignement, c’est la convergence des taux de rendement locatif du bureau de bonne qualité et du logement. Ce phénomène est réellement nouveau, l’efficacité économique des deux est désormais comparable et des capitaux peuvent s’investir dans le logement sans sacrifice de rendement avec comme limite, aujourd’hui non résolue et quasiment dirimante, le financement de la période de construction (cinq ans).

Quels modèles financiers pour la classe d’actifs « logements » ?

Deux axes doivent être conjointement recherchés :

  • Satisfaire le besoin de propriété du plus grand nombre en ayant recours à une propriété partielle dont les modalités pourraient différer selon les objectifs des parties prenantes, personnes physiques d’une part, institutionnels d’autre part ;
  • Attirer massivement des capitaux privés, institutionnels (puis personnes privées épargnantes) qui doivent trouver dans cette classe d’actifs un rendement naturellement attractif en regard des prises de risques.

Pour le particulier, quelles différences y a-t-il entre un propriétaire et un locataire ? La fonction d’utilité est identique : le locataire comme le propriétaire vivent dans le logement. Mais le propriétaire satisfait également deux fonctions complémentaires. La première c’est de pouvoir, à la fin du crédit, ne plus payer de loyer, souvent à un âge où, à la retraite, ses revenus baissent de manière très significative. La deuxième, c’est une fonction de transmission : les parents peuvent transmettre leur bien à leurs enfants. C’est un idéal qui est devenu impossible aujourd’hui dans les zones tendues et la réalité c’est plutôt : « un enfant tu campes, deux enfants tu décampes ! » La jeune génération ne peut plus être propriétaire et cela d’autant plus qu’elle hérite plus tard de ses parents… pour ceux qui héritent ! Alors se pose la question : comment faire pour rendre abordable, par le biais de la finance et du droit, un système de propriété ? En tenant compte de la faiblesse des taux d’intérêt, qui est un paramètre nouveau, cela devient possible.

La jeune génération ne peut plus être propriétaire et cela d’autant plus qu’elle hérite plus tard de ses parents… pour ceux qui héritent !

Une acquisition partielle, le démembrement, est bien évidemment la réponse et peut s’organiser autour de deux concepts résolument différents, répondant à des objectifs différents tant de la part de la personne physique que de l’investisseur institutionnel :

1) Le démembrement dans l’espace

Le système d’accession-location où l’acquéreur, personne physique, acquiert une quote-part de son logement et loue la quote-part dont il n’est pas propriétaire. Idéalement, dans le temps, la personne physique achète, au prix du marché du jour, les quotes-parts supplémentaires qu’il peut (et souhaite) occuper et peut ainsi aller jusqu’à détenir la totalité du logement. Lorsqu’il déménage (dans les zones tendues, 80 % des propriétaires déménagent entre la 8e et la 10e année de leur acquisition – enfants, divorce, changement de lieu de travail, modification substantielle de leurs ressources financières), il revend sa quote-part à l’institutionnel au prix du marché du jour. Pour l’institutionnel, en pure théorie, cela revient quasiment au même que de détenir N appartements qu’il loue ou vend au gré des évolutions de marché et de ses besoins de liquidité. La principale différence, significative, est qu’il ne maitrise pas le calendrier des achats et des ventes par les particuliers, alors même que son rendement reste celui de la location classique.

« La réalité, c’est plutôt : un enfant tu campes, deux enfants tu décampes ! » © Jgp

Pour la personne physique, l’une des principales difficultés réside dans sa capacité financière : le montage permet-il le remboursement des intérêts et l’amortissement du capital sur la partie acquise et le règlement de la fraction loyer, notamment dans le temps ? Un calcul simple, d’une acquisition à hauteur de 30 % (financée par un prêt sur 25 ans à 1,4 % assurance inclue) et d’une location pour 70 %, à paramètres inchangés sur les loyers (ce qui évidemment ne sera pas le cas), se traduit par un surcout de l’ordre de 13 % par rapport à une location classique pendant les 25 ans.

Le principal attrait du dispositif pour un particulier est de se constituer une épargne immobilière tout en occupant le bien, voire s’il reste au-delà de la période de remboursement de son crédit, de payer un loyer réduit de 30 % puisqu’il ne loue que 70 % du bien qu’il occupe.

2) Le démembrement dans le temps, ou l’emphytéose sur 50 ans

Le concept repose sur une propriété totale, mais temporaire, sur 50 ans. La baisse de prix qui résulte de cette propriété temporaire est de l’ordre de 30 % et, en achetant avec un crédit sur 25 ans, le remboursement du crédit est comparable à ce qu’un particulier payerait en loyer. A l’échéance du crédit, il n’a ainsi plus de charges de logements autres que celles afférentes à l’occupation du logement, et cela pendant 25 ans et « à vie » dans l’hypothèse où il vit au-delà. En contrepartie, lorsqu’il revend son logement, probablement dans les 10 ans de son acquisition (cf. supra), il le revend sur la base de son prix d’acquisition moins 2 % par année de détention (puisqu’il a acheté 50 ans de propriété). Il ne participe donc pas à la plus-value éventuelle et revend moins cher que son prix d’achat. Toutefois, dans cet exemple, comme il aura remboursé près de la moitié de son crédit, il encaisse la différence entre le prix d’achat et le remboursement du principal restant dû du crédit, soit l’équivalent de près de 40 % du loyer qu’il aurait payé sur la période s’il était resté locataire. Il se constitue ainsi, de façon certaine, une épargne significative qui pourra lui permettre d’acheter « en pleine propriété » son logement ultérieur en se constituant une partie de l’apport qu’il n’avait pas avant. De son côté, en portant sans rémunération (ni coût) les 30 % de la réduction de prix d’origine, l’investisseur institutionnel, en rachetant les 70 % originellement cédés avec une décote annuelle de 2 %, générera un rendement de l’ordre de 6 à 7 % sur les capitaux investis (contre 3,5 % en locatif classique), cela sans que les prix de l’immobilier résidentiel augmentent.

La magie de la finance, mais également son utilité

Ce sont donc des solutions d’innovation financière, certainement pas exhaustives, mais qui ouvrent un champ de possibilités. Elles présentent l’avantage de ne pas nécessiter de financements de l’Etat, ni de modifications du droit, le droit français autorisant déjà ces dispositifs. Concrètement, il me paraît nécessaire que ces modèles financiers, pour bien fonctionner, s’industrialiser et attirer suffisamment de capitaux pour résoudre dans le temps la pénurie actuelle, s’inscrivent dans le cadre de foncières, cotées ou non, détenues par des investisseurs institutionnels aux cotés de promoteurs. Aujourd’hui seules Icade, dans le tertiaire, et Altaréa Cogedim dans le tertiaire et le résidentiel sont des foncières côtées qui intègrent la promotion dans leur modèle. De fait, quel que soit le montage, le temps de construction et son impact dirimant sur le rendement n’est pas résolu si les investisseurs ne prennent pas une quote-part du profit lié à l’acte de construction/promotion.

Autrement dit, un modèle hybride où les foncières seraient en même temps des développeurs (laissant au promoteur la seule marge du constructeur) qui assureraient une partie des ventes en Vefa sur le modèle classique, détiendraient sur le long terme des logements pour les louer (la faiblesse du rendement locatif lié au temps très long de construction étant partiellement compensé par la marge prise sur la fonction de promotion qu’elles assureraient), et des modèles hybrides comme décrits ci-dessus et dont le rendement de moyen/ long terme se situe entre celui de promoteur et celui de propriétaire bailleur classique. La finance a donc un rôle clé à jouer dans la fabrique de la ville durable. L’opportunité de taux d’intérêt très bas permet des solutions innovantes et la fin de l’opposition entre une partie qui gagne qui impliquerait nécessairement que l’autre perde. Très souvent, la finance a été perçue ainsi. Aujourd’hui, il est possible de faire des produits rentables à impact social. C’est ici qu’arrive la question de la ville durable. Tout le monde a intérêt à ce que le logement soit durable, et prenne de la valeur économique et sociale. C’est ainsi que l’on peut construire un intérêt commun et convergent sur le long terme.

 

(1) Deux exceptions notables : Gecina avec 18 % de son patrimoine immobilier dans le résidentiel, principalement résidences gérées, et Covivio avec 24 % de logements… en Allemagne !

(2) Sauf cette année du fait de la crise sanitaire, sur 100 logements neufs construits, 50 sont acquis pour être occupés par les acquéreurs, 45 par des personnes privées avec une grande majorité dans le cadre d’une loi fiscale – Pinel ou autre – et seulement cinq par des investisseurs institutionnels, essentiellement des résidences gérées (étudiantes, seniors…).

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