Faire des déchets des uns des ressources pour les autres, y compris dans l’aménagement urbain : tel est le principe de l’économie circulaire. A l’heure où se construit le Grand Paris, les réflexions pour minimiser son impact environnemental vont bon train, comme l’ont reflété les interventions et les pitchs du 3° Forum économique du Grand Paris, organisé à la Maison des travaux publics le 9 décembre 2016 par La Tribune et Le journal du Grand Paris, en partenariat avec Enedis et Tagerim.
La construction de la métropole sera-t-elle l’occasion de rendre Paris et sa zone dense un peu plus « circulaires », économiquement parlant du moins ? Une chose est sûre : « l’approche de l’économie circulaire va, sans nul doute, constituer un marqueur fort de la métropole », a assuré Daniel Guiraud, maire des Lilas (Seine-Saint-Denis) et vice-président de la métropole délégué à la mise en œuvre de la stratégie environnementale et au développement des réseaux énergétiques.
« La métropole incite les élus à aller dans ce sens, et avec sa taille, sa richesse et ses 7,5 millions d’habitants, elle a le rapport de force nécessaire pour changer les attitudes », a renchéri Xavier Lemoine, maire de Montfermeil et conseiller métropolitain délégué à l’économie circulaire, lors de cette journée introduite par Jean-Christophe Tortora (La Tribune) et Jacques Paquier (Le journal du Grand Paris), et animée par Dominique Pialot, (La Tribune).
Réfléchir en cycle de vie
Mais comment passer d’un modèle linéaire utilisé depuis plusieurs décennies, et basé sur l’extraction, la production, la consommation, et la mise en déchets, à un autre, reposant sur l’écoconception d’un côté, le réemploi ou le recyclage de l’autre ? Puisque tel est bien le concept de l’économie circulaire : minimiser l’impact environnemental de l’activité économique en l’analysant à tous les stades du cycle de vie. A la source, il s’agit d’écoconcevoir, de pratiquer l’écologie industrielle, et de favoriser les approvisionnements durables. Mais aussi de prévoir la durabilité et la réparabilité des objets. Deuxième étape, la consommation. Elle se doit d’être responsable, et de favoriser la réparation à la mise au rebut.
Puis, in fine, les objets en fin de vie peuvent être réemployés, valorisés, recyclés, voire « upcyclés » : « autrement dit, recyclés en quelque chose d’encore plus précieux », comme l’a expliqué Anne de Béthencourt, responsable économie circulaire à la Fondation Nicolas Hulot. Le concept est séduisant, mais suppose de se pencher avec un œil nouveau sur chaque problématique, dans chaque secteur de l’activité métropolitaine.
Un accélérateur d’innovations
« Comment, par exemple, réutiliser les 40 millions de m3 de terres qui seront excavées lors de la construction du Grand Paris express ? », interroge Daniel Guiraud. Car il ne suffit pas de les transporter par le fleuve, encore faut-il leur trouver un nouvel usage pertinent. Comment, aussi, récupérer la chaleur produite par les datacenters qui fourmillent dans le Grand Paris ? Ou encore recycler, à terme, les autoroutes métropolitaines que sont le périphérique ou l’A86 ?
« Il faut changer de philosophie », répond l’élu. Mais aussi inventer de nouveaux outils : pour s’imposer, « l’économie circulaire suppose par exemple la création de réseaux intelligents où l’information sur la matière circule de façon optimisée. Et la mise sur pied de nouveaux instruments économiques, où les coûts de gaspillage évité sont valorisés à leur juste mesure, tout comme l’est, par ailleurs, la tonne de CO2 non émise », a relevé Xavier Corval, président d’Eqosphere, un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé.
« Il faut aussi, par exemple, concevoir des appels d’offres rédigés autrement », a relevé Antoinette Guhl, adjointe à la mairie de Paris chargée de ces questions.
L’économie circulaire est donc un accélérateur d’innovations : « Nous avons lancé trois études, a expliqué François-Michel Lambert, député des Bouches du Rhône et président de l’Institut de l’Economie circulaire. L’une sur la technologie du blockchain (chaîne de blocs, utilisée notamment par les crypto-monnaies comme le bitcoin), pour voir comment elle pourrait accélérer et fiabiliser les échanges d’informations ; l’autre sur les monnaies complémentaires qui peuvent répondre à des attentes du territoires ; la troisième sur l’économie de la fonctionnalité et le revenu universel. »
Philippe Maillard, (Suez), a montré comment le groupe s’empare du sujet qu’il s’agisse de l’eau ou des déchets.
« L’économie circulaire est un terrain de jeu excitant pour les start-up » , a renchéri Florence Presson, adjointe au maire de Sceaux, en charge de la ville numérique, du développement durable et de la transition énergétique.
L’économie circulaire, une affaire de territoires
« Mais l’économie circulaire repose aussi sur le pilier humain : il faut faire avec chaque territoire et avec les femmes et les hommes qui le composent », a tenu à préciser François-Michel Lambert. Même si l’économie circulaire est, depuis 2015, définie dans la loi française, et qu’elle va faire l’objet d’un « paquet » européen, elle n’est pas un ensemble de techniques à appliquer sans recul. « Il est impossible de faire du copier-coller d’expériences sur des territoires très différents », a poursuivi ce fervent défenseur du concept. « C’est pourquoi la métropole, qui repose sur ses 131 maires légitimes et proches du terrain, peut faire avancer les choses », a complété Xavier Lemoine.
« Si l’on décide de faire de la permaculture, ou du miel, ou quoique ce soit d’autre, c’est une échelle idéale pour être dans l’action et non dans l’incantation. Mais nous devons nous doter d’une plateforme collaborative où les initiatives seront partageables et amendables. » A Paris, la municipalité a, de son côté, pris le temps de la concertation pour rédiger un livre blanc sur l’économie circulaire : « il est le fruit d’une politique partagée, la recommandation des acteurs à la ville, et, désormais, à la métropole, et non pas une production que nous avons réalisée nous-mêmes », a précisé Antoinette Guhl.
Signe du dynamisme du concept, le forum a reçu de nombreuses candidatures pour le grand prix qu’il devait décerner. Neuf entreprises et cinq start-up sont venues pitcher leurs initiatives conjuguant économie circulaire et problématique de l’aménagement.
Le BTP, l’un des tout premiers secteurs concernés
Réutilisation de mobilier de bureau (La Poste),
fabrication de granulé de bois pour le chauffage (Vis Lignum),
utilisation de papier de pierre fabriqué avec des déchets de déconstruction pour la communication (Agence Multimodal),
plateforme d’échange des terres excavées (Soldating),
recyclage des terres et des compteurs électriques (Enedis), plateforme de géolocalisation des déchets (Smart Cycle),
financement participatif (Collecticity)…
… les témoignages étaient variés.
Mais parce qu’il représente 70 % du volume total des déchets produits, le secteur du BTP est bien entendu l’un des premiers concernés par la problématique et ses représentants étaient nombreux au forum. Le groupe Vicat, cimentier, a ainsi décidé de mieux valoriser les matériaux issus de déconstructions.
Car il est bien rare, en région parisienne, que l’on construise sans, d’abord, détruire ! Une partie des déchets ainsi collectés est valorisée sous forme énergétique, comme substitut aux énergies fossiles : « pour dix tonnes de ciments, nous économisons ainsi une tonne de CO2 », a expliqué Pierre Bonnet, directeur énergie et matières premières. Le cimentier intègre aussi les terres polluées excavées lors des constructions d’immeubles à la formulation de ses produits, et augmente la réintégration des matériaux récupérés lors des déconstructions dans la formulation de ses granulats et de ses bétons.
Paprec, spécialiste du recyclage, vient lui aussi de mener une opération test avec Vinci sur le chantier de la Samaritaine.
« Nous avions l’objectif de valoriser 80 % des quelque 110 000 m3 de déchets, a expliqué Sebastien Ricard, du groupe Paprec. Nous sommes arrivés à 95,7 % ! Des contraintes du magasin, comme son emplacement en centre ville, nous avons fait un atout : nous avons pu transporter par voie fluviale les déchets en mélange vers Ivry-sur-Seine, et les déchets de chantier vers notre plateforme de Gennevilliers. »
Mais l’économie circulaire influe aussi sur la manière de penser la construction : des acteurs de la promotion tels que Novaxia,
des architectes, comme Vincent Preti,
réfléchissent à la façon dont l’économie circulaire peut s’insérer dans leurs métiers.
Des consultants ont sont également intervenus, à l’instar de Stéphane Boné (Abcis).
Conclusion d’Anne de Béthencourt : « il faut apprendre à concevoir des bâtiments comme des banques de matériaux, prévus pour être démontables, désassemblables et réparables ».
Lauréat catégorie entreprise : Lafarge : du béton recyclé presque in situ
Dans la catégorie entreprise, le public a choisi de récompenser l’entreprise Lafarge, lauréat d’un prix remis par Jean-Luc Aschart, directeur délégué d’Enedis, partenaire du Forum.
Travaillant dans l’un des secteurs les plus gros producteurs de déchets, Lafarge a lancé en 2013 une marque, Aggneo, dédiée à l’économie circulaire. « L’un de nos chantiers est, en la matière, particulièrement intéressant, a expliqué Camille Neuville, responsable innovation et services de l’économie circulaire. Nous avons recyclé du béton par du béton en milieu urbain, en plein cœur du quartier du Marais. » Concrètement, l’entreprise a réceptionné à Gennevilliers les déblais de démolition triés sur le chantier par son partenaire Bouygues. Il les a mélangés à d’autres déblais de démolition, venant d’autres chantiers. En sont sortis des granulats recyclés qui ont été livrés dans le Marais. Avec, au final, un bilan carbone sensiblement réduit, et des coûts optimisés. « En 2017, nous visons la production de 100 000 m3 de béton à base de granulés », a poursuivi Camille Neuville.
Des freins subsistent cependant : réglementaires tout d’abord, car le béton recyclé doit respecter des normes strictes ; industriels, ensuite, puisque les outils de production doivent s’adapter ; mais aussi psychologiques « Il est donc important notamment d’encourager cette filière via la commande publique », a conclu Camille Neuville.
Lauréat catégorie Start-up : Ipsiis : Les déchets du bâtiment transformés en mousse isolante
Avec ses quatre salariés, la start-up Ipsiis, installée en Seine-et-Marne, qui pratique l’uppcycling a reçu le prix « Start-up » remis par Hervé Pouybouffat, président du Tagerim, partenaire du Forum.
« Nous valorisons des matériaux issus de la déconstruction du bâtiment, pour fabriquer des mousses minérales, isolantes et incombustibles », a explique Alexandre Bordenave, ingénieur de recherche et chef de projet.
Argile, kaolin, tuiles, briques, béton, ardoise, verre : tous ces matériaux sont réduits en poudres très fines pour constituer ce nouveaux matériau. Le procédé est peu énergivore, peu capitalistique, et la mousse ne génère aucune émission de COV, de fibres ou d’effluents gazeux, assure son concepteur. Ses débouchés ? L’isolation des fours industriels, des conduites de gaz, des portes coupe-feu, l’isolation de blocs ou panneaux préfabriqués, ou encore celle des réseaux de chaleur.
Lauréat coup de cœur Co-Recyclage : Le réseau social des objets
Pourquoi jeter un objet alors qu’il peut avoir une seconde vie ? Telle a été la réflexion de Renaud Attal, DG et cofondateur de Co-Recyclage, lauréat du prix « Coup de cœur » remis par Florence Presson, présidente de Sinopé, partenaire du Forum.
Sur cette plateforme gratuite, ouverte à tous, particuliers, associations ou entreprises, chacun peut poster la photo des objets dont il souhaite se débarrasser accompagnée de quelques lignes de description : c’est une sorte de « bon coin » des déchets. La start-up accompagne aussi les structures, qui, en pleine réorganisation, regorgent souvent de biens à céder. Elle les aide à procéder à des inventaires, avant de trouver preneur à leurs objets devenus inutiles. Comme Grand Paris aménagement, lors de son déménagement.