N. Lenoir/A. Missoffe : « Valoriser le Grand Paris comme place d’excellence juridique »

Noëlle Lenoir, avocate (Kramer Levin) et ancienne ministre des Affaires européennes, et Alexandre Missoffe, directeur de Paris-Ile de France Capitale Economique (PCE), réalisent actuellement une série d’auditions dans le cadre d’un groupe de travail sur l’attractivité du Grand Paris comme place d’excellence juridique.

Pourquoi l’association Paris-Ile de France Capitale Economique s’intéresse-t-elle au Grand Paris comme place d’excellence juridique ?

Alexandre Missoffe : Paris-Ile de France Capitale Economique travaille sur le rayonnement et l’attractivité du Grand Paris. Le Global Cities Investment Monitor que nous produisons chaque année montre que, lorsque l’on demande aux entreprises étrangères quels sont les critères qui déterminent leur choix d’implantation, la sécurité juridique est systématiquement parmi les premiers cités. Il nous a donc semblé important, singulièrement dans le contexte du Brexit, d’œuvrer sur l’attractivité de la place juridique de Paris. Ce travail vise à la fois à valoriser nos atouts, réels et importants, mais aussi à corriger nos faiblesses et améliorer notre fonctionnement. Etre une place de droit reconnue et rayonnante, c’est un enjeu majeur pour l’industrie du droit mais aussi, plus largement, pour tous les secteurs économiques.

Vous vous limitez au droit des affaires ?

A.M. : Plutôt que se cantonner au droit lui-même, nous voulons partir avant tout des attentes et des besoins exprimés par les acteurs économiques, et observer les besoins de la vie des affaires, qui peuvent aller du droit boursier au droit social, de la propriété intellectuelle à la fiducie, etc. Le droit doit être compris comme vivant, pas seulement dans sa dimension technique mais surtout dans son adoption par les acteurs du droit et des affaires. Ainsi,  nous ne nous cantonnons pas aux secteurs liés au Brexit, parce que la question dépasse largement la seule dimension financière. Rentre aussi dans l’équation la fonction prescriptrice très forte des avocats. Les juristes conseillent et guident leurs clients vers d’autres prestataires, et les clients suivent parfois même leurs juristes par-delà les frontières. Or, il se trouve que la place du Grand Paris accueille un véritable écosystème d’acteurs contribuant à la création d’un marché du droit efficace et de qualité, offrant une grande sécurité juridique. Mais nous avons indéniablement des faiblesses, soulignées parfois par nos interlocuteurs étrangers, dont il est important que nous prenions conscience afin d’être à même de les corriger et de renforcer l’attractivité et le rayonnement de notre place de droit.

Noëlle Lenoir, avocate (Kramer Levin) et ancienne ministre des Affaires européennes, et Alexandre Missoffe, directeur de Paris-Ile de France Capitale Economique (PCE). © JGP

Quelle est la nature de vos travaux ?

Noëlle Lenoir : Nous souhaitons mettre en lumière les opportunités pour renforcer l’attractivité de la « place juridique » de Paris, en nous fondant sur la perspective et les attentes des investisseurs et des acteurs économiques et sociaux. Cela commence par définir ce qu’est une « place juridique », mais aussi redéfinir le droit comme un service qui répond à des besoins, que ce soit ceux des entreprises comme des particuliers. Nous voulons produire un ouvrage dynamique, accessible et vivant, fondé sur des études qualitatives et quantitatives, et enrichi par des témoignages de personnalités éminentes du monde juridique et des affaires, mais aussi des responsables institutionnels et, bien entendu, des magistrats.

Nous procédons pour cela à une série d’auditions d’experts, de praticiens, d’universitaires, de responsables politiques et administratifs pour éclairer les acteurs économiques sur les atouts et les opportunités de développement de la place juridique de Paris, mais nous allons aussi à la rencontre de praticiens, avocats anglais, américains, français, et chefs d’entreprise, de grands groupes comme de PME. Ces derniers ont des attentes et des besoins spécifiques à leurs activités de plus en plus transnationales.

Dès lors, la place juridique de Paris doit pouvoir leur offrir des services de conseils comme au contentieux, dépassant le seul cadre du Grand Paris, de la France ou même de l’Europe ! Enfin, une place juridique est aussi un vecteur d’influence et de crédibilité. On sait bien, par exemple, que des normes comptables se définissent au sein de la place de Londres. Sous l’effet du Brexit notamment, la place de Paris pourrait devenir une véritable « City of law » franco-européenne, attirant des acteurs du monde entier pour y trouver une solution équitable et viable à leurs problèmes.

Vous souhaitez défendre le droit continental face à la common law anglo-saxonne ?

N.L. : Non, notre optique n’est pas de mener un énième combat pour le droit continental contre le droit anglo-saxon. Notamment parce que, si Paris renforce son rôle et son statut de place juridique, c’est avant tout en tant que place juridique européenne. Une immense part de nos règles économiques et financières sont, aujourd’hui, issues des réglementations définies à Bruxelles et Strasbourg. Or le droit européen est largement le produit d’une hybridation entre la common law et le droit continental. En tant qu’avocate, je ne pratique pas seulement le droit français et européen, mais également le droit britannique, brésilien, américain… Et même si je ne le pratique pas directement, il est rare que je n’aie pas à m’y référer, ne serait-ce qu’à titre de « benchmark ».

N’oublions surtout pas que Paris reste une capitale juridique de l’arbitrage international, avec notamment le siège de la Cour internationale d’arbitrage. En tant que vice-présidente de la chambre de commerce internationale (section française) dont elle relève, je puis vous dire que l’institution est vivante et respectée. Or l’arbitrage reste un mode de solution des conflits privilégié pour les entreprises multinationales.

L’enjeu essentiel est de favoriser le Grand Paris comme lieu de production normative – qui fixe la norme détient le pouvoir – plus que défendre la prédominance du modèle juridique continental ; et ce, même si je considère que le droit français en particulier est plus simple et opérationnel que le droit américain notamment. Pensons par exemple à la collecte de preuves en vue d’un procès : entre le « discovery » à l’américaine et la procédure des mesures « in futurum » du code de procédure civile, c’est cette dernière qui ménage le mieux les intérêts des parties.

Encore une fois, il n’est pas question d’écarter le droit français, qui possède de nombreux éléments facilitant la vie des acteurs économiques – la procédure, les fusions-acquisitions ou « M&A », le droit des sociétés, le droit des contrats, sans parler du droit boursier ou encore des marchés publics… Il y a une forme de patriotisme français et européen dans cette mission, mais pour un droit vivant et ouvert aux innovations des autres systèmes juridiques. Je pense par exemple à la transaction pénale introduite par la loi Sapin II sur le modèle anglo-américain, et qui devrait conduire la France à promouvoir la création d’un véritable Parquet européen de plein exercice.

Alexandre Missoffe. © Jgp

Noëlle Lenoir. © Jgp

Vous souhaitez renforcer la place de Paris comme un lieu où se fabrique le droit ?

N.L. : Nous devons valoriser, en effet, la place de Paris comme celle d’un cluster juridique. A Munich, où est établi l’Office européen des brevets, se déroulent un grand nombre de contentieux liés à ces questions. Cela fait vivre tout un écosystème et confère au droit allemand des brevets un impact considérable. Nous avons, en France, de multiples atouts à faire valoir dans le domaine du droit monétaire et financier ou du droit civil, comme je viens de le souligner. Il s’agit donc de créer les conditions qui favorisent la reconnaissance internationale de la France, et singulièrement du Grand Paris, comme un lieu où le droit s’adapte aux besoins très évolutifs des entreprises. Nous prenons largement en compte l’impact de la révolution digitale, l’irruption de la blockchain par exemple, mais aussi l’importance croissante de la « compliance », c’est-à-dire l’obligation pour les acteurs économiques de se doter de systèmes de contrôle internes dont les défaillances peuvent conduire à la mise en cause de leur responsabilité civile ou administrative. Par ailleurs, la place de Paris possède de nombreux attraits liés à la qualité de ses fintechs et de ses legaltechs. Nos ingénieurs et informaticiens sont brillants. De plus en plus, ils doivent intervenir aux côtés des avocats et des juges, comme experts. Mais par ailleurs eux aussi, pour leurs entreprises, ont un besoin juridique important.

A.M. : Les nouveaux usages ou les nouveaux produits vont générer de nouveaux droits.  L’émergence de l’intelligence artificielle ou de la voiture autonome pose une série de questions nouvelles qui devront trouver une traduction juridique, au regard de l’allocation de responsabilité par exemple. Si c’est à Paris que s’élabore la réflexion sur ces questions, et que s’invente le droit des véhicules autonomes, c’est une façon de renforcer notre influence sur des pans économiques majeurs entiers.

Vos travaux déboucheront-ils sur une publication ?

N.L. : Un livrable – en français et en anglais – présentera les entretiens que nous menons actuellement avec une série de grands témoins, sur la profession d’avocat, la procédure, etc. Ce livrable rendra compte du constat de ces experts, praticiens et responsables institutionnels, et présentera nos propositions. Nous souhaitons qu’elles soient ensuite discutées, que ce soit au sein des organisations patronales, internationales ou des ONG. Nous souhaitons par ailleurs donner une plus grande visibilité à cet enjeu et ouvrir le débat par le biais d’un espace internet dédié, sur le site de PCE, traduit en plusieurs langues, et qui permettra de nourrir les échanges et d’assurer le lien avec toutes les initiatives qui se rapportent à ce sujet. Nous souhaitons ainsi valoriser une place du Grand Paris où le droit doit impérativement bénéficier à la fois d’une très grande accessibilité, prévisibilité, sécurité, et je dirais rapidité quand il le faut, tout en répondant également aux exigences éthiques. Une place juridique dont les acteurs disent le droit ne se conçoit que si ces derniers sont exemplaires en termes éthiques, et nous insisterons donc sur cette dimension.

Vous allez également pointer les points à améliorer ?

N.L. : Nous avons sans doute, en France et en Europe, des marges de progrès pour plus de stabilité, de maturité. La durée des procédures, trop longue chez nous, doit également faire l’objet de tous nos efforts. Des PME meurent en France, victimes de délais judiciaires trop longs, notamment quand elles ont du mal à se faire payer leurs factures en tant que fournisseurs, ou indemnisées quand elles sont victimes de dégradations, comme on l’a vu récemment. C’est inadmissible. Dans un autre ordre d’idées, il faut également se pencher sur la formation et les modes d’exercice des acteurs du droit, pour une plus grande transversalité des compétences et la création de réseaux interprofessionnels.

A.M. : Les attentes d’une entreprise qui s’installe ou se développe dans un pays, vis-à-vis du système juridique de celui-ci, sont connues. Ce sont des délais raisonnables, des décisions intelligibles et que des sanctions soient suivies d’effets. Rien d’extravagant dans ces attentes. Rien d’insurmontable non plus dans nos réponses. Mais il faut répondre vite car l’image et la réputation d’une place prend longtemps à se construire…. Et plus longtemps encore à se corriger !

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