En 2050, les villes abriteront 6,7 milliards d’habitants, et 43 mégalopoles compteront plus de 10 millions de résidents. Comment les construire et les faire fonctionner harmonieusement dans un monde contraint à l’excellence environnementale ? Tel était le thème du premier Global cities makers Forum, organisé les 14 et 15 février par Paris-Ile de France Capitale Economique.
L’ampleur du défi impose d’être innovants et de jouer collectif », a souligné en préambule Christian Nibourel, président de Paris-Ile de France Capitale Economique. Et de fait, les 16 tables rondes ont rassemblé plus de 60 experts, de tous pays.
1 – Nourrir la ville
Comment, tout d’abord, nourrir la ville ? L’Ile-de-France produit 1,2 % des produits agricoles nécessaires à son alimentation. Un pourcentage qu’il ne faut guère espérer changer sensiblement : « les 30 hectares de culture, dont la ville de Paris a prévu de se doter d’ici 2020, nourriront aux alentours de 1 500 personnes », a calculé Philippe Pont-Nourat, directeur des relations institutionnelles de Sodexo France. A Issy-les Moulineaux, le spécialiste de la restauration collective a cependant mis le toit de son siège social en culture. « Les résultats purement agronomiques ont été très modestes. En revanche, cette initiative a eu une vertu pédagogique indéniable. »
Cultiver et échanger
« Tel est le côté vertueux des fermes urbaines : elles réapprennent aux citadins ce qu’est l’agriculture », a enchaîné Thierry Blandinières, directeur général du groupe coopératif agricole InVivo. « Mais l’agriculture locale représentera au maximum 15 % de la production française à l’horizon 2025 ou 2030 ». Nourrir les mégalopoles suppose donc des places de marché efficaces. « Comme le MIN », a souligné Stéphane Layani, pdg de Semmaris. « Il permet la massification de la logistique et donc l’optimisation de l’empreinte carbone. »

16 tables rondes ont rassemblé plus de 60 experts de tous pays. © JMH

Christian Nibourel, président de PCE, accueille Muriel Pénicaud, ministre du Travail, à l’hôtel Potocki. © JMH
2 – La logistique en plein remue-méninges
Car comment approvisionner des mégalopoles de plus en plus gourmandes et impatientes sans faire exploser les émissions polluantes ? « Il faut redonner une place à la logistique au cœur des métropoles », tranche Frédéric Delaval, directeur du programme prioritaire commun de logistique urbaine au Groupe La Poste. « Car les flux doivent arriver des villes – et en sortir – de façon massifiée. » Un raisonnement en ligne avec la stratégie de Sogaris. « Nous devons penser la logistique urbaine en réseau : des plateformes situées aux environs de l’A86 captent les flux nationaux. Des bâtiments urbains – comme Chapelle international –assurent les livraisons urbaines, tandis que des espaces urbains de distribution gèrent la logistique à l’échelle du quartier », a expliqué Jonathan Sebbane, son directeur général.
Des rendements devenus attractifs
Certes, le foncier urbain coûte cher « mais la logistique propose des rendements souvent plus importants que l’immobilier de bureau », a-t-il poursuivi. Il n’hésite pas, non plus, à imposer à ses locataires logisticiens des contraintes : véhicules propres, recours accru au fer ou au fleuve. « Car le fleuve achemine tout type de biens : il permet même d’approvisionner les magasins de centre-ville », a rappelé Antoine Berbain directeur général délégué chez Haropa. Minimiser l’empreinte carbone de la logistique implique aussi d’autres mesures : « la robotique, l’intelligence artificielle, le big data, qui nous permettent de réduire le taux de no-livraison et d’optimiser l’équation environnementale des tournées », a énuméré Mathilde Goffard, vice-présidente opérations terrestres France de Fedex/TNT.
3 – Des villes moins énergivores
De l’énergie, les métropoles en consomment plus qu’elles n’en produisent. Mais, comme en matière alimentaire, la tendance est désormais à la production décentralisée. Toits photovoltaïques, incinération des déchets, géothermie, etc. se retrouvent de plus en plus souvent mis à contribution. « Cela oblige à repenser le dimensionnement et le fonctionnement de nos réseaux », a indiqué Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis. « Mais cela suppose également de disposer de données de production et de consommation en temps réel, pour équilibrer l’offre et la demande, dans un quartier, dans un territoire. » Benoît Quignon, directeur général de SNCF immobilier, se situe tout à fait dans cette démarche : « nous gérons 25 000 bâtiments d’une moyenne d’âge de 70 ans », a-t-il témoigné. Pour diminuer l’empreinte carbone de 20 %, tout est bon : rationaliser l’occupation, isoler, installer des toits solaires, multiplier les capteurs pour optimiser la fourniture d’énergie. Et bien sûr, analyser toutes les données d’occupation, de production et de consommation.

Jacques Paquier, rédacteur en chef du Journal du Grand Paris, Benoit Quignon, DG de SNCF Immobilier et Hervé Adam, directeur général, Vinci Energies France © JMH
Mouliner les données
Ce type d’informations, Hervé Adam, directeur général de Vinci Energies France, en nourrit ses « hyperviseurs ». A La Défense par exemple, cet outil permet de suivre en temps réel la circulation dans les tunnels, l’occupation des parkings, la ventilation, les caméras vidéo, la surveillance incendie, etc. « Ainsi, nous pouvons fluidifier les flux et optimiser les consommations énergétiques, en les adaptant aux réalités des usages », assure-t-il.
Construire des villes frugales
Verdir l’équation énergétique ne suffit pas. Construire des métropoles frugales constitue désormais l’objectif de tous les aménageurs. « La grande ville est le problème. Il faut donc qu’elle soit aussi la solution ! », a estimé Jacques Ferrier, architecte urbaniste. Un message appliqué sur les rives de l’Elbe. Jürgen Bruns-Berentelg, pdg de HafenCity, y réaménage depuis presque 20 ans le port de Hambourg. Avec une extrême exigence : « 70 % de nos critères de sélection pour choisir un développeur portent sur la qualité environnementale et sociale du projet, et non sur le prix », explique-t-il. L’attractivité du lieu, en plein centre-ville, convainc les plus récalcitrants. « A Oslo, le développement urbain doit se faire autour de hubs, situés à 5 minutes au plus d’une station d’autobus. Cela réduit le besoin énergétique », a de son côté expliqué Thor Thoeneie, pdg d’Oslo airport city.
Vertes, mais abordables
Mais comment lutter, ensuite, contre l’inflation des coûts et des prix ? Dans l’est parisien, Laurent Girometti, directeur général d’Epamarne/Epafrance, pousse les promoteurs à utiliser le bois comme matériau de construction. « Mais en contrôlant les coûts et les prix de sortie », assure-t-il. « Le bois est plus cher que le béton, mais la préfabrication, les moindres délais de construction, permettent de limiter le surcoût à 2 ou 3 %. En outre, les charges courantes peuvent être sensiblement inférieures », assure Julien Pemezec, président de Woodeum résidentiel.
« La ville abordable, c’est aussi celle où l’on anticipe l’avenir », estime quant à lui Jean-Michel Wilmotte, architecte. Celle, autrement dit, où l’on prépare dès la construction des immeubles la réversibilité des usages. Celle aussi où l’on construit du « coliving » avec de larges fonctions mutualisées, en économisant ainsi de précieux m2 sans rien céder à la convivialité. Et celle où l’on tire parti des multiples ressources énergétiques locales – biomasse ici, géothermie là –, a souligné Franck Bruel, directeur général adjoint en charge de la BU France d’Engie.
« L’Ile-de-France compte 1 250 000 logements sociaux ou intermédiaires, soit 40 % du logement social français, a souligné Arnaud de Cambiaire, directeur régional adjoint de la Banque des territoires. Malgré cela, la région fait face à un déficit de production important, puisque 700 000 personnes sont en attente. En outre, l’offre est inégalement répartie à l’échelle de la métropole. Il faut donc repenser la manière dont les espaces urbains sont organisés à l’échelle métropolitaine. »

le 14 et 15 février 2019, le global cities makers forum s’est déroumlé à Paris organisé par Paris île de france capitale économique.
4 – Les métropoles à l’heure de l’économie circulaire
Et si l’extension des mégalopoles favorisait… la dépollution ? Telle est la constatation de Daniel Baumgarten, directeur du développement durable du groupe Séché environnement : « les terrains pollués sont désormais rattrapés par l’urbanisation et prennent donc de la valeur. Ce qui permet leur dépollution ». De la même façon, les déchets de villes s’érigent en richesse. « Non seulement nous pouvons recycler de plus en plus de déchets. Mais nous sommes entrés dans l’ère de l’urban mining ! Nous récupérons par exemple, en nettoyant la voie publique, du palladium venant des pots catalytiques, et ce, à une densité aussi élevée que dans les mines ! », a ainsi témoigné Estelle Brachlianoff, directrice générale adjointe en charge des opérations du groupe Veolia. « Les déchets non recyclables peuvent quant à eux éclairer et chauffer les villes ! », a renchéri Jean-Luc Petithuguenin, pdg du groupe Paprec. De Suède, Joakim Karlsson, pdg d’Envac, propose quant à lui de débarrasser les métropoles des camions. « Avec notre système automatisé de collecte des déchets, les déchets sont aspirés, en souterrain et à 70 km/h, vers un terminal de collecte. »
5 – Revisiter l’équation des transports
Ils façonnent l’espace urbain. Mais comment imaginer, et financer, des transports publics plus efficaces, mieux adaptés aux attentes des citoyens ?
Thierry Dallard, président du directoire de la Société du Grand Paris, l’a rappelé : « l’ambition du Grand Paris express est de permettre, à cette zone située au-delà des murs de Paris, de devenir un véritable pôle métropolitain ». Mais si les transports façonnent l’espace urbain, comment les financer ? « A Hong Kong, le métro ne coûte rien à la collectivité », a témoigné Neil Walker, responsable du développement européen de MTR corporation. « Une part importante de nos revenus vient de la valorisation foncière que nous réalisons dans et autour de nos gares. Nous avons ainsi 90 000 logements en gestion. »
Assurer les financements
Mais tel n’est pas le modèle français, qui fonctionne par délégation de service public, a rappelé Jean-Pierre Farandou, président du groupe Keolis. « Le poids de financements publics est important, comme le versement transport des entreprises. Je suis personnellement peu favorable à ce qu’il augmente encore, via une gratuité des usages : elle pourrait mettre en danger le développement des services. » Dans ce contexte, la publicité a son rôle à jouer. « La meilleure façon de développer les mobilités douces est de leur trouver un modèle économique. C’est une société de publicité qui a mis (avec le Vélib’, NDLR) des millions de gens sur des vélos ! », a rappelé Jean-Charles Decaux, président du directoire et codirecteur général du groupe JCDecaux. Et les investisseurs privés ? « Le CDG express ne coûte sans doute pas plus cher qu’un immeuble de bureaux à La Défense. Mais l’obstacle principal pour que le privé intervienne dans ces grands projets est la visibilité sur les coûts et le timing », a souligné Nadra Moussalem, directeur général Europe, Colony Capital.
Rendre les transports publics plus séduisants

Hiba Farès, directrice en charge de l’expérience clients, des services et du marketing à la RATP.© Jgp
Comment inciter les habitants à délaisser leur voiture ? « Nous devons travailler tout le parcours client, digital et physique : la sécurité, la propreté, la fluidité de la billetterie, la ponctualité et la fréquence, mais aussi la capacité à casser la monotonie du voyage », a reconnu Hiba Farès, directrice en charge de l’expérience clients, des services et du marketing à la RATP. Directeur général du Transilien à la SNCF, Alain Krakovitch s’efforce, lui, d’inventer de nouveaux services pour toutes les gares – petites ou grandes – du réseau. « L’idée est que nos clients trouvent en gare les services qui leur évitent de faire des détours, à l’aller ou au retour, sur leur trajet. »
Imaginer la mobilité du futur
Si certains, comme Virgin Hyperloop one (projet de train à sustentation magnétique), entendent révolutionner les transports, chacun en convient : les déplacements de demain seront multimodaux, mêlant usage de transports publics et de transports privés partagés. De la route au taxi ou VTC, chacun aura donc son rôle à jouer. Directeur général du groupe Sanef, Arnaud Quémard s’y prépare : « nous devons investir pour faciliter le transfert vers des moyens de transport collectifs et faciliter les usages vertueux de l’automobile (voies dédiées aux bus express, au covoiturage, etc.) ». Chez Transdev, Thierry Mallet, pdg, mise sur les nouvelles motorisations (électricité, gaz, hydrogène) ; l’introduction de véhicules autonomes, mais aussi sur le Maas (mobility as a service) : « l’introduction de comptes mobilités permettra de voyager sans couture d’un point A à un point B, en utilisant indistinctement transports publics, vélo en location, taxi ou covoiturage ». Isabel Montelescaut, responsable de la mobilité électrique à EDF, l’a promis : « notre système électrique est tout à fait dimensionné pour faire face au développement de la mobilité électrique ! »
6 – Travailler dans les métropoles
Télétravail, micro-entrepreneuriat, multiplication des start-up… : les métropoles voient se développer de nouvelles formes – et attentes – de travail. Comment les anticiper, les accompagner ?
« 3,5 millions de Français sont des « slashers », autrement dit, cumulent plusieurs activités. Nous passons d’une ère du vivre-ensemble dans l’entreprise, à celle du faire-ensemble », estime ainsi Patrick Levy-Waitz, pdg du groupe Freeland et président de la fondation Travailler autrement. Philippe Dumont, directeur général France de Cisco, en sait quelque chose : « aujourd’hui, les réseaux numériques doivent permettre le télétravail, le travail avec des équipes distantes, la collaboration avec les clients et partenaires. Et tous ces services doivent être transparents ». Les entreprises doivent également réapprendre à intégrer, former, accepter des compétences atypiques. « Elles ont perdu ce savoir-faire », témoigne Thibaut Guilluy, directeur général du groupe d’insertion Ares. Celui-ci, du reste, a formé des coentreprises, avec Vinci et Accenture, pour les aider dans cette démarche.
Une nouvelle génération de quartiers d’affaires
Ces nouvelles formes de travail ont des conséquences immobilières : « les lieux deviennent de plus en plus importants », assure Karine Bidart, codirectrice générale de Paris&Co, qui incube et accompagne de nombreuses entreprises. Pourtant, les jeunes continuent d’apprécier La Défense, assure Marc Lhermitte, partenaire chez EY, qui classe le quartier parisien au 4e rang des quartiers d’affaires internationaux. Directrice générale de Paris La Défense, Marie-Célie Guillaume en est cependant consciente : « il faut redonner de l’horizontalité au quartier ».
Ivanhoé Cambridge, Caisse de dépôt et de placement du Québec, conçoit désormais les immeubles de bureau qu’elle construit comme une totalité : « notre investissement ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise : nous créons aussi des jardins publics et même des arrêts de bus. Car le bien-être est au centre des espaces de travail », a témoigné Karim Habra, son directeur général Europe.
Eric Donnet, directeur général de Groupama immobilier, chargé de construire The Link, le futur siège de Total à La Défense, mise lui sur l’agilité : « 50 % des surfaces de the Link seront reconvertibles dans un autre objet ».
7 – La recette des clusters
Pas de ville attractive sans cluster d’excellence. Mais y a-t-il une recette pour en constituer ? A Saclay, Philippe Van de Maele, directeur général de EPA Paris-Saclay, travaille pas à pas pour transformer l’accumulation locale des talents – le lieu concentre 15 % de la recherche publique et privée française – en véritable cluster identifiable au niveau mondial. A Singapour et à Skolkovo, dans la banlieue de Moscou, les clusters fleurissent à une vitesse impressionnante. « Quand nous décidons de nous spécialiser dans un domaine, nous y mettons tous les moyens, de l’Etat aux agences publiques en passant par l’université », a expliqué Tim White, vice-président associé de l’université technologique de Nanyang. C’est à coups d’exemptions fiscales et sociales que Kirill Kaem séduit, de son côté, entreprises et start-up pour les attirer à Skolkovo. « Un cluster construit sur des champs de pommes de terre », sourit le vice-président innovation de la fondation Skolkovo. Qu’importe : les travaux ont commencé en 2011 et le lieu compte déjà une université et 12 000 personnes viennent chaque jour y travailler !
8 – Accueillir le monde
La concurrence entre métropoles mondiales n’est pas uniquement technologique ou financière : toutes se battent également pour accueillir touristes et voyageurs d’affaires.
« Certes, l’année 2018 a vu l’Ile-de-France accueillir un nombre record de touristes », a constaté Christophe Decloux, directeur général du comité régional du tourisme (CRT) Ile-de-France. « Mais il est important de les faire revenir ! » Pour ce faire, le CRT mise de plus en plus sur la création de parcours ciblés, assurant une fluidité de l’expérience du début à la fin. Ainsi, les touristes chinois peuvent expérimenter des parcours « sans cash », afin de se rassurer quant à d’éventuels vols.
Mais le tourisme d’affaires constitue également une manne économique. « Il génère 5,5 milliards d’euros de retombées économiques en Ile-de-France, et 80 000 emplois », a rappelé Bernard Michel, président du conseil d’administration de Viparis, gestionnaire de sites de congrès et d’expositions. Et là encore, il faut en permanence innover dans la configuration des lieux et les thèmes d’expositions, pour conserver l’attractivité. « Tout ce que le visiteur expérimente, dans et en dehors du congrès, nous est imputé », a rappelé Ronan Vaspart, directeur du Mipim, qui a choisi Paris pour l’édition européenne du Mipim PropTech.
« De la ville de l’offre à la ville de la demande »
« Nous étions dans une ville de l’offre, il faut passer à une ville à la demande », estime Thierry Lajoie, directeur général de Grand Paris aménagement. « La smart city est celle où chacun peut trouver ce dont il a besoin au moment où il en a besoin, sans nécessairement le posséder », a complété Méka Brunel, directrice générale de Gecina. Dans ces villes, quelle place pour le commerce physique ? Directrice de la programmation commerciale et culturelle d’EuropaCity, Morgane Scoarnec le voit prospérer à une condition : être capable d’offrir une expérience unique, un événement. « Dans ce monde immersif, l’évènement partagé avec des amis est le seul à même de contrebalancer la pression digitale. » Quant à l’acte de paiement, « il devient totalement transparent. Bientôt, nous paierons en parlant à nos assistants vocaux », assure Michel Léger, vice-président innovation d’Ingenico (paiements électroniques).
« Les métropoles doivent être le vecteur de l’inclusion »

« Il faut développer la ville-monde en archipel »
