Tribune – Antoine Valbon – « Central Park : Il faut faire entrer le parc dans la ville. Et non l’inverse »

Dans une tribune libre, Antoine Valbon, urbaniste de formation, estime que « sous couvert d’un discours protecteur, le projet de « Central Park » annoncé par le Premier ministre sur le parc Georges-Valbon à La Courneuve s’en prend à ce poumon unique en banlieue nord ».

Quelques artifices procéduriers, un jeu de bonneteau, et le tour pourrait sembler joué. Le projet d’urbanisation massive (45 000 logements) établi par Marc Rozenblat et ses collaborateurs autour de Roland Castro se fonde sur un postulat : les terrains du parc de La Courneuve ne valent rien, puisque classés Natura 2000, ils ne sont pas constructibles… On va donc les rendre constructibles, construire dessus 24 000 logements, et cela va rapporter de l’or, aux promoteurs immobiliers d’abord, mais aussi au conseil général puisqu’il est propriétaire du parc et qu’on lui propose d’en vendre une partie importante auxdits promoteurs. « Tout promoteur veut gagner du temps et de l’argent », nous dit-il sans fard. Alors, pourquoi ne pas le permettre, fût-ce au détriment des espaces verts acquis m2 par m2 par le conseil général de la Seine-Saint-Denis ?

Vue nocturne du projet de Central Park sur les franges du Parc Georges Valbon, à la Courneuve. ©CDU-AFTRP

Vue nocturne du projet de Central Park sur les franges du Parc Georges Valbon, à la Courneuve. ©CDU-AFTRP

80 hectares, soit 20 % de la surface du parc départemental Georges-Valbon, seraient urbanisés.

Un « Central Park », qui serait « l’un des plus grands projets du monde » nous dit l’architecte des années Mitterrand, Roland Castro. C’est « la friche la plus géniale de toute la région parisienne », « tous les terrains sont maitrisés ». « Ce qui serait mangé en espaces verts serait restitué au double grâce à des espaces de compensation et des corridors verts ». Ce Central Park « contribuera au bonheur de ses habitants autant qu’au prestige de notre pays, il serait un élément visible et sensible de rêve français ». Pensez-donc, il y aura même, suprême bonheur, une passerelle qui permettra l’accès direct aux locataires de la cité des 4 000 à La Courneuve !

Arrêtons-nous un instant sur l’histoire du parc Georges-Valbon. 400 ha sont acquis par le département de la Seine en 1924. Les terrains marécageux sont loués à des maraichers. Avec les années 50-60, on assiste à l’urbanisation du pourtour : les 4 000 à La Courneuve, le Clos-Saint-Lazare à Stains, Victor-Hugo au Blanc-Mesnil, les Francs-Moisins à Saint-Denis. Près de 2 000 personnes vivent dans des bidonvilles. La puissance publique tient bon. Elle veut un parc de proximité dans une région industrielle et populaire, défavorisée en espaces verts publics. Avec la réduction du temps de travail apparait la notion de week-end et de loisirs. Les citadins ont besoin d’air pur et de campagne, de contact avec la nature. Une première tranche simple de 136 ha est engagée.

Donner un nouveau souffle au parc

Le département de la Seine-Saint-Denis, qui vient d’être créé en 1967, et que préside le communiste Georges Valbon, décide de poursuivre les acquisitions foncières. Mais surtout, en 1970, le nouveau département lance un concours d’idées auprès de paysagistes. Ce seront les buttes, les belvédères, les remblais, les collines, les lacs, des ponts, des sculptures… En 30 ans, la Seine-Saint-Denis passe de 1 m2 d’espace vert par habitants à 11 m2.  L’âge et la taille des arbres permettent aux promeneurs de remonter l’histoire du parc. Aujourd’hui, 2 millions de Séquanodionysiens fréquentent annuellement le parc, qui vient au 3e rang des espaces verts de la région parisienne, avec une superficie de 417 ha, après le bois de Boulogne (1 000 ha) et le bois de Vincennes (850 ha).

Aujourd’hui, il est plus qu’opportun de donner un nouveau souffle au parc dans ses articulations territoriales. Les grandes cités qui entourent le parc font ou doivent faire l’objet d’opérations de rénovation urbaine. La part de logements sociaux y est dans ces quartiers des plus élevées. Les modes de transport ont changé. Le métro du Grand Paris Express va arriver. Le rapport à la nature a évolué. La ville et le parc doivent se pénétrer. C’est de la haute couture. Car les espaces sont morcelés, et traversés par de grands réseaux de circulation. Il faut faire entrer le parc dans la ville. Et non l’inverse. Cela passe par une meilleure imbrication, au niveau paysager, urbain et architectural, entre les projets d’aménagement et ce poumon, afin qu’il irrigue complétement ce territoire, dans les opérations de rénovation urbaine, en lien avec les nouveaux transports, en portant y compris des projets d’agriculture urbaine au cœur des cités.

Un marketing « intolérable »

La réponse proposée n’est pas acceptable. Elle ne repose sur aucun diagnostic. La question urbaine et l’urgence de production de logements sont convoquées pour faire du business, hors de tout processus sérieux. Aucune étude urbaine et sociale à toutes les échelles, et notamment celles des villes, n’est produite.

Un épais et splendide « book » de 112 pages est publié, « Le Central Park du Grand Paris », ou « Comment bâtir un rêve ». De luxueuses feuilles sur le crapaud calamite, le blogios nain, le butor étoilé, le martin-pêcheur, la bondrée apivore, la pie-grièche écorcheur, le hibou des marais, le pic noir, la sterne pierregarin, la gorgebleue à miroir. Un copier-coller des plus belles pages de l’encyclopédie naturaliste. Grace à l’urbanisation de 20 % du parc, la biodiversité se développerait ! Dans une interview à « La Tribune », Marc Rozenblat explique : Le parc est classé Natura 2000 ; qu’importe, dans les années 1970, l’État avait acheté les terrains pour créer une autoroute qui traversait le parc et relierait la Francilienne au nord de la forêt de Montmorency ; le projet a été abandonné ; « mais les terrains sont toujours là, une superbe coulée verte que l’on va pouvoir utiliser pour compenser la construction du Central Park ». Ainsi les 80 ha bétonnés sur le parc seront compensés par une bande large comme une autoroute reliant le parc à La Plaine de France. « Nous sommes tombés sur « LE » miracle : tous ces terrains, les 417 ha, n’ont en fait qu’un seul propriétaire, le conseil général de la Seine-Saint-Denis ! Et dans ses comptes, ils sont inscrits pour zéro ! Ce sont des terrains sans valeur puisque classés en Natura 2000 ! Expliquer à un conseil général qu’il va gagner des centaines de millions d’euros en vendant ses terrains, qu’il va créer des dizaines de milliers de logements et des dizaines de milliers d’emplois, sans dépenser un euro, cela facilite bien évidemment la discussion. Je ne sais pas pourquoi d’autres ne se sont pas donnés la peine de regarder, mais oui tout est possible. »

Pour qui fabrique-t-on la ville ?

Cette démarche assumée de marketing, mêlant à l’envi dans une confusion chose publique et intérêts privés, est intolérable. Le poids médiatique de ce projet est inversement proportionnel à l’intérêt que ses initiateurs portent aux habitants de ces quartiers populaires. À coups de communication, de gigantisme architectural et de mots d’ordre sur la compétitivité mondiale, Roland Castro et Marc Rozenblat ne posent pas la question qui fâche : pour qui fabrique-t-on la ville ?

Partir des préoccupations et des besoins exprimés des habitants, de leurs difficultés quotidiennes, comprendre la manière dont ils vivent, perçoivent leur espace, s’interroger sur les sentiments d’appartenances affichés et la façon dont ils structurent les représentations, est moins vendeur. Ni profit ni postérité. Pourtant, c’est la seule méthode permettant de construire un territoire en adéquation avec les attentes des classes populaires qui y vivent, afin que la ville ne soit pas seulement subie et l’objet de frustration, d’oppression et de dégoût mais un espace à taille humaine réapproprié dans tous les aspects de la vie quotidienne.

Central Park au Bois de Boulogne

La métropole du Grand Paris est justifiée par nos gouvernements successifs pour produire les logements qui font cruellement défaut aux franciliens. Elle est justifiée pour les produire de manière équilibrée sur le territoire.  Alors, permettez-moi deux idées : la première serait de réaliser ce magnifique projet de « Central Park » sur le bois de Boulogne, avec bien évidemment une part prédominante de logements sociaux pour rééquilibrer la métropole et donner le meilleur aux couches populaires. La deuxième idée serait de concentrer les crédits publics pour les réhabilitations dont ont besoin les habitants des quartiers sensibles qui jouxtent le parc Georges-Valbon et pour une rénovation urbaine qui permette de faire entrer le parc dans la ville.

Sur le même sujet

Top