T. Degos : « La sortie du confinement sera progressive et séquencée »

Ancien directeur général des services de la métropole du Grand Paris, le préfet Thomas Degos décrit les enjeux du Centre interministériel de crise, mis en place sous l’égide du Premier ministre, qu’il dirige aujourd’hui.

Une task force interministérielle (TFI) a précédé la mise en place du Centre interministériel de crise (CIC), dont vous êtes le directeur ?

Le 27 février dernier, le Premier ministre a considéré en effet que la crise sanitaire, qui était jusque-là gérée exclusivement par le ministère de la Santé, prenait une dimension interministérielle. Elle intégrait, en effet, des sujets de mobilité, de commerce, liés aux restrictions de circulation, relatifs à l’économie, à l’emploi, au travail, à l’international, etc. Édouard Philippe a souhaité, par conséquent, que s’installe alors une task force interministérielle (TFI), rattachée au Premier ministre, mais située matériellement au ministère de la Santé.

J’ai été chargé de la constituer et je l’ai mise en place, selon la doctrine de la gestion interministérielle de crise, autour de différentes cellules « situation », « anticipation », « décision », en m’appuyant notamment sur les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité de chaque ministère concerné, pour aborder la crise sous ses différents angles interministériels. C’était très pratique, parce que nous occupions le même étage que le centre de crise sanitaire.

Thomas Degos. © Jgp

Le 17 mars, constatant que la crise prenait une dimension plus interministérielle encore, et qu’elle atteignait un stade plus large, Edouard Philippe a voulu que cette Task force interministérielle se transforme en Centre interministériel de crise (CIC), et prenne ainsi plus d’ampleur. Toujours placé sous l’autorité du Premier ministre, il est logé dans des locaux dédiés, au sein du ministère de l’Intérieur, place Beauvau. Le ministre de l’Intérieur étant au centre de la crise, je travaille naturellement au quotidien avec son cabinet, et avec les différentes directions générales du ministère, et notamment celle chargée de la sécurité civile.

Quelle est votre activité au quotidien ?

Le Centre interministériel de crise a pour objet la définition, d’un point de vue interministériel, des décisions, des doctrines, des positions de l’Etat sur tous les aspects de la crise. En résumé, toutes les questions remontent jusqu’ici, par ce que l’on appelle la CIC « situation », qui effectue, heure par heure, minute par minute, la synthèse de l’ensemble des appels, des mails, des questions et donc des problématiques qui peuvent surgir sur n’importe quel sujet lié à la pandémie. Nous sommes par ailleurs dotés d’un pôle « anticipation », qui réfléchit à ce que la crise peut devenir, à ses prochaines étapes, mais également aux « chocs exogènes » qui pourraient s’y rajouter.

J’ai mis en place, en outre, des pôles thématiques qui, avec l’ensemble des départements ministériels, réfléchissent sur une série de sujets particuliers, avec un pôle « vie sociale », un pôle « ordre public », « économie, emploi, travail », « services publics de l’énergie et des déchets », etc. Tous les jours, en milieu de journée, une réunion permet de valider les positions que nous allons adopter, écrites avec l’ensemble des ministères, puis diffusées à l’ensemble des préfets ou des services déconcentrés, pour action. Ce point unique de définition de la réponse de l’Etat pour chaque aspect de la crise permet d’en accélérer le traitement. Et ce, sur tous les champs de la vie sociale : les départs en vacances, les contrôles, les transports, les rapatriements, les taxes sociales et fiscales, le travail, etc.

Vous traitez également les aspects strictement sanitaires ?

Non, les questions strictement médicales demeurent au centre de crise sanitaire. Ce n’est pas nous qui, par exemple, devons décider de la doctrine sur le port des masques ou opter pour tel ou tel traitement. Mais tout ce qui relève de plusieurs ministères passe par ici. Aucune décision ne peut être prise par l’Etat si elle n’est pas passée par le CIC. Nous mettons ainsi en œuvre une interministérialité directe, en temps réel.

Christophe Castaner et Laurent Nuñez, place Beauvau, sur le perron du ministère de l’Intérieur qui abrite le Centre interministériel de crise. © Jgp

C’est une organisation prévue de longue date ?

Absolument. Mais elle a été fortement adaptée, en particulier par le biais de la création de cellules thématiques, qui s’est ajoutée aux cellules « situation », « décision » et « anticipation ». Nous formons une petite ruche, mobilisant une centaine de fonctionnaires, occupant diverses salles du ministère de l’Intérieur, dont la salle des fêtes, entièrement occupée par nos services. Si les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur en constituent le noyau dur, tous les ministères concernés sont représentés. Nous jouons donc un rôle de chef d’orchestre.

Quels sont les sujets du jour ?

Par exemple aujourd’hui, parmi bien d’autres sujets, nous travaillons sur l’augmentation du nombre de bureaux de poste ouverts. On en dénombre 1 700 sur l’ensemble du territoire national, sur les 8 000 que compte le pays. Nous mobilisons donc la réserve de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des services civiques pour assurer une plus grande ouverture, rendue notamment nécessaire par le versement, en début de chaque mois, des prestations sociales. Quels sont les besoins précis en personnels supplémentaires ? Où sont situés les bureaux de poste qu’il faut rouvrir en priorité ? Voilà le type de questions sur lesquelles on peut obtenir des réponses en quelques heures, alors qu’elles prendraient des jours, voire des semaines, en temps normal.

Quels sont les sujets propres à l’Ile-de-France ?

Une des spécificités de l’Ile-de-France tient à l’extrême sensibilité des transports en commun. Nous n’avons jamais souhaité les fermer, ce qui aurait interdit par exemple aux personnels soignants de se rendre sur leur lieu de travail, tout en ayant conscience qu’il s’agissait des vecteurs importants de contamination. L’Ile-de-France, et singulièrement la métropole, constitue le premier centre de production de richesse du pays. Elle revêt donc une importance particulière sur le plan économique. La densité de la population francilienne, et surtout métropolitaine, sur le plan sanitaire, confère en outre à cet espace un caractère particulier. Nous avons heureusement réussi, grâce au respect par la population des gestes-barrière à contenir autant que faire se peut la propagation de la maladie et à faire en sorte que les capacités d’accueil hospitalières en réanimation ne soient pas dépassées. Mais cela a nécessité néanmoins le transfert de malades vers des régions moins touchées.

Combien de patients ont nécessité d’être placés en réanimation simultanément ?

Nous avons dépassé la semaine dernière les 2 600 patients en réanimation en Ile-de-France, soit nettement plus que les capacités d’accueil des hôpitaux dont la région dispose habituellement. C’est d’ailleurs sur le périmètre de la métropole que ces enjeux ont été les plus aigus. L’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France a pleinement joué son rôle. Et l’AP-HP, dont le périmètre coïncide avec celui de la zone dense, constitue déjà une métropole sanitaire. Au moment du retour d’expérience (Retex), nous devrons cependant nous poser la question de la capacité de notre système hospitalier à tenir bon face à ce type de crise.

Vous réfléchissez déjà aux modalités de sortie du confinement ?

Nous y travaillons en effet. Comme le Premier ministre l’a annoncé, il s’agira sans doute d’une fin graduelle, soit par secteurs d’activité, soit par tranches d’âge, soit par zones géographiques. Nous organisons un parangonnage avec les autres pays touchés. Les régions les plus touchées au début de la crise seront peut-être les moins touchées à la fin, et pourront donc être déconfinées plus tôt.

Jean Castex, délégué interministériel pour les Jeux olympiques, que nous connaissons bien dans la métropole du Grand Paris, vient d’être désigné pour réfléchir spécifiquement à cette question. Il travaillera naturellement avec nous, de même qu’avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dirigé par Claire Landais. Nous allons ainsi réfléchir aux mois et peut-être aux années qui viennent. Car le déconfinement ne va pas s’effectuer aussi facilement. Il aura lieu de façon très progressive et séquencée.

En toute hypothèse, et cela est vrai également pour la reprise de l’école ou les élections municipales, ce n’est pas un décret qui s’imposera à l’évolution de l’épidémie, mais l’inverse. Il n’y a pas de date totem. Nous nous adapterons, avec la préservation de la santé publique comme priorité l’emportant sur les autres considérations.

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