Stéphane Beaudet : « On est en train de tuer les communes »

Le nouveau président de l’Amif, Stéphane Beaudet (1), redoute que la construction du Grand Paris accentue une priorisation de l’action publique en petite couronne. Il livre ses convictions sur la nécessité d’une spécialisation des territoires et des niveaux d’administration dans le domaine du développement économique.

Quelle est votre vision du Grand Paris ?

Stéphane Beaudet©Moïse Fournier

Stéphane Beaudet©Moïse Fournier

En grande couronne, le Grand Paris demeure aujourd’hui très anxiogène. Il y a d’abord la version de Nicolas Sarkozy : une vaste réseau de transport qui va tout de même, il faut le dire, sanctuariser énormément de crédits en petite couronne, ce qui, forcement, pour les élus que nous sommes, pose un premier problème : celui de la non-réhabilitation réelle des lignes existantes. On nous promet, par exemple, que 500 millions d’euros sont prévus pour améliorer le RER D. Mais il s’agit de 500 millions sur 10 ans, alors que l’on sait que 4 milliards d’euros seraient nécessaires pour cette seule ligne ! Voilà pourquoi le Grand Paris peut être anxiogène, pour les élus comme  pour nos habitants. Parlons justement de cette ligne D. Elle souffre d’une surdensité telle qu’aux heures de pointe, matin et soir, vous ne pouvez vous asseoir pendant les trois quarts d’heure du trajet qui vous conduit jusqu’à Paris. C’est un sujet dont on ne parle hélas pas beaucoup. Que va-t-il se passer si l’on construit entre 60 et 100 000 nouveaux logements sur cette ligne, comme cela est prévu ? Certes, le Grand Paris express va décongestionner un certain nombre de lignes. Mais cela ne suffira pas.

Par ailleurs, je considère, comme beaucoup, que le bon périmètre pour la métropole est celui de l’Ile-de-France, qui est quand même la 4° ou la 5° puissance économique régionale au monde. Lors de la prochaine campagne des régionales, nous allons clairement indiquer, avec Valérie Pecresse, que pour nous, la métropole, c’est la région, qu’il s’agisse de développement économique ou du logement.

Selon vous, la grande couronne est le parent pauvre du Grand Paris ?

Lorsque un problème se pose sur la ligne 14, le Stif débloque un milliard en deux ans. Quand vous avez un problème sur le RER D, on dépense 500 millions sur dix voire quinze ans. Voilà la réalité. Le francilien, c’est celui qui, n’ayant pas les moyens pour vivre en petite couronne, s’éloigne de Paris.  C’est donc celui dont les temps de transport sont les plus longs, celui qui paye le plus cher, pour des conditions de voyage déplorables…. Manuel Valls, avec lequel j’en ai souvent discuté, en est parfaitement conscient. Il y a 40 ans, on mettait 20 minutes en voiture pour aller à Paris. Aujourd’hui, le bouchon vers la capitale s’étend sur 6 à 7 heures, soit quasiment toute la journée. Ce que l’on appelait les heures de pointes n’existent quasiment plus… Il faut environ une heure, de Courcouronnes, pour atteindre le périphérique. Je ne parle même pas de rentrer dans Paris. Même chose avec le train ! En 1975, on mettait 29 minutes pour aller à la gare de Lyon avec le train. Aujourd’hui, cela prend en moyenne 40 minutes… Cela provient d’une densité accrue, cumulée avec des problèmes techniques et l’ajout de nouvelles gares… Résultat, la grande couronne s’éloigne de Paris !

Et vous craignez que cette tendance se renforce ?

Oui, car vous avez d’un côté l’annonce du Grand Paris avec des moyens colossaux, qui, évidemment, vont encore renforcer l’attractivité de la petite couronne. Et se crée  en même temps une quatrième couronne dont on ne parle jamais et qui constitue pourtant un enjeu d’aménagement du territoire majeur : nos habitants sont de plus en plus nombreux à aller habiter à Reims, Vendôme, Orléans, le Mans ou Lille. C’est-à-dire dans des endroits où le foncier est moins cher, où il y a moins de problèmes à l’école, et d’où l’on peut disposer d’un TGV qui vous amène en une heure au cœur de Paris… En grande couronne, nous nous retrouvons au milieu, entre Paris et cette 4° couronne, et subissons actuellement une réelle perte d’attractivité.

La cause est perdue ?

Absolument pas. Lorsque l’on défend un dossier comme le grand stade de rugby par exemple, c’est précisément pour tenter de contrer ce phénomène. C’est pour pouvoir tirer tous les bénéfices d’un projet de 5 à 6000 hectares, si l’on cumule le site du grand stade et la base aérienne. Aujourd’hui, nous avons 550.000 usagers chaque jour sur le RER D pour lequel le Stif n’investit pas. Avec le grand stade de rugby, il faudra un réseau capable d’absorber de très fortes pointes de trafic. Tout le monde en profitera, les entreprises en particulier, qui pourront de nouveau recruter des personnels dans de bonnes conditions. J’insiste : mis à part le T7, au nord de l’Essonne, de Villejuif à Athis-Mons, nous n’avons bénéficié d’aucun investissement lourd de transport depuis les années 70. Aucun. En 1975, sous Valéry Giscard d’Estaing, l’État s’était engagé à construire une liaison ferrée entre la Seine-et-Marne et les Yvelines, entre Évry et Massy : la mise en service du TTME est prévue en 2019…

On pourrait multiplier les exemples : il était prévu, dans les années 80, de réaliser ce que l’on appelait alors la tangentielle ferrée, qui devait faire le tour de l’Ile-de-France. Hélas, elle n’a jamais vu le jour.

Etiez favorable au pass unique ?

Non, parce qu’il n’est pas financé. Et parce que, les Français l’ignorent, nous sommes déjà un pays où le coût pour l’usager des transports publics est très faible. Or ce n’est pas par la baisse des tarifs que l’on réussira à améliorer les réseaux. La question doit plutôt consister à se demander à quoi doit servir une augmentation du tarif ! Le ticket de métro est une fois et demie plus cher à Londres qu’à Paris. Deux fois plus cher en Allemagne. A New York, les transports publics sont extrêmement coûteux également. Or les transports se sont nettement améliorés dans le Grand Londres. Le péage urbain  y rapporte 800 millions de Livres par an réinvestis directement dans le réseau de transport. Evidemment, si vous dites à un habitant d’Évry qu’il va payer son pass Navigo deux fois moins cher, il va applaudir.  Mais est-ce de la démagogie dont on a besoin aujourd’hui ? Il faudrait plutôt que les élus fassent preuve d’honnêteté. La vérité, c’est que la France et les Français vivent, depuis longtemps, au-dessus de leurs moyens.

Quel regard portez vous sur la recomposition territoriale en cours ?

Stéphane Beaudet©Moïse Fournier

Stéphane Beaudet©Moïse Fournier

C’est un deuxième sujet d’anxiété pour notre territoire, et croyez-moi, je suis plutôt d’un naturel combatif. La loi Maptam (2), cela non plus on ne le dit pas, génère trois sous-territoires en Île de France : la métropole du grand Paris, le reste de l’aire urbaine, dont nous sommes, nous devons à ce titre former un territoire de 200.000 habitants au 1er janvier 2016, et il existe enfin une troisième couronne, soumise à une obligation de constituer des agglomérations d’au moins 20.000 habitants… Tout cela semble quand même très compliqué. Il faudrait parler d’une Ile-de-France à trois vitesses et non pas à deux… Cela pose évidemment la question du positionnement de la région. Pour ce qui concerne mon territoire, je suis partagé entre la nécessité de bâtir un périmètre suffisamment vaste pour peser, notamment face à Paris, et la volonté de bâtir des structures qui permettent une réelle gestion de proximité. Face à une métropole qui comptera 6 millions d’habitants, il sera difficile d’exister si l’on ne pèse pas au moins 10% de ce nombre. Par ailleurs, il n’est pas aisé de marier des agglos qui ont des cultures  et des histoires très différentes… Certaines ont été avant tout des aménageurs, d’autres se sont bâtis sur la mutualisation de compétences techniques, ce n’est pas la même chose. Ce qui m’inquiète aujourd’hui dans le processus de recomposition territoriale, c’est qu’il s’effectue sous la contrainte. On nous dit que nous sommes en retard sur la province en matière d’intercommunalité. Mais l’on ne peut être comparé au reste de la France. Prenons l’exemple du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) : il y a une commission sur la tarification, une sur les transports en commun en site propre, ou sur le stationnement, et une commission dédiée à l’Ile-de-France, tant les problèmes y sont spécifiques…

Quel impact ont ces évolutions sur le développement économique ?

Le siège de Carrefour est parti à Massy, Kleenex à Paris… Certes nous avons encore de nombreuses firmes ici, mais alors que nombre d’entreprises sont venus s’installer pour bénéficier d’un foncier moins cher et pour la qualité de vie, beaucoup ont tendance aujourd’hui à partir pour se rapprocher de Paris. Pour une raison très simple : elles peinent à recruter des employés, compte tenu de la mauvaise qualité du réseau de transport. Plus globalement, je crois au cluster. A condition que l’on ne soit pas fermé et capables d’évoluer, de s’adapter. Un des échecs de la ville nouvelle d’Evry, c’est d’avoir été le territoire des NTIC, de l’informatique, de l’électronique dans les  années 80, sans avoir conscience de la nécessité de se renouveler. Tout ce qui faisait la force de notre image il y a 30 ans a disparu subitement. On ne s’y était pas suffisamment préparé. Mais cela dit, une certaine dose de spécialisation est nécessaire. Tout le dossier du développement économique autour du Grand stade de rugby doit, par exemple, graviter autour de l’industrie du sport…Ici, nous avons plus d’emplois à disposition que d’habitants actifs. Sauf qu’en réalité, les actifs qui vivent ici ne travaillent pas sur l’agglo, qui abrite essentiellement des activités tertiaires et des sièges sociaux, alors que les habitants, peu qualifiés sont agents de surface ou de sécurité, et doivent majoritairement allés travailler ailleurs… C’est ce qui explique l’importance des bouchons dans les deux sens, matin et soir ! Entre les Parisiens qui viennent travailler ici et les Essonniens qui vont travailler à Paris.

Il faut que les pouvoirs publics se spécialisent également en matière de développement économique. Compte tenu de la situation budgétaire de l’Etat, on ne peut pas continuer avec la clause de compétence générale. Aujourd’hui, les villes, les agglos, les départements, les régions investissent toutes dans le développement économique alors qu’elles n’en ont pas toutes la compétence, qu’elles ne le font pas de façon concertée. Tout cela ne rime à rien. L’idée d’avoir un vrai chef de file en la matière, qui serait en l’occurrence la région, avec des têtes de pont qui seraient les agglomérations est bonne.

Que voulez-vous faire de l’association des maires d’Ile-de-France que vous présidez ?

Un de mes principaux challenges va consister précisément à favoriser les échanges et le travail entre les maires de petite et de grande couronne. L’Amif, c’est 1.109 maires adhérents, sur 1281 de la région, c’est donc l’association la plus représentative de l’Île de France, et c’est la seule instance dans laquelle les élus de petite et de grande couronne peuvent se réunir pour aborder ces questions. Nous allons notamment travailler sur la répartition des compétences entre la région et la métropole.  J’ai rencontré récemment un chef d’entreprises essonnien, qui me dit qu’il avait un mal fou à recruter des informaticiens, qu’il allait chercher à Paris, alors que 70% des informaticiens de la région sont formés à Evry, à deux kilomètres de son siège social. C’est le rôle des agglos de mettre les gens en relation. L’aménagement, la voirie, la formation, tout cela relève également de l’agglomération. Ensuite, peut-on aller plus loin, notamment en matière d’attractivité internationale ? Je n’en suis pas convaincu. Il y a aussi le débat financier, évidemment. La question de la Dotation globale de fonctionnement (DGF) notamment, ainsi que celle de la péréquation. Se pose également la question de savoir comment seront traitées les dettes respectives des agglomérations fusionnées. Les dettes seront-elles également fusionnées ? Chacun continuera-t-il de les payer ? Ce n’est pas neutre. Enfin, j’entends bien défendre avec l’Amif la place des communes, que l’Etat cherche visiblement à étrangler. On est en train de nous transformer en maires d’arrondissement. Dans 10 ans, si l’on ne réagit pas, notre rôle se résumera à louer des salles et célébrer des mariages. Et, le summum va être le transfert du plan local d’urbanisme au niveau intercommunal, conformément à la loi Alur, en 2017. C’est une compétence phare, fondamentale des maires qui va être ainsi transférée à l’agglo. Cela signifie, à Courcouronnes, que nous serons trois élus sur 103 pour défendre nos programmes d’aménagement. «On est en train de tuer les communes. Les maires doivent en prendre conscience. La baisse de la DGF en est à la fois le symbole et l’instrument.

 

1 : Stéphane Beaudet est président de l’Association des maires d’Ile-de-France, conseiller régional, premier vice président de l’agglomération d’Évry en charge du développement économique.

2 : Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

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