En 2022, l’augmentation du prix de l’énergie avait poussé les collectivités à trouver, dans l’urgence, des solutions d’économies. Désormais, c’est l’adaptation au changement climatique qui dicte une refonte des modes de consommation. La rénovation du bâti et des installations énergétiques apparaît comme un axe d’action privilégié
En octobre 2022, le gouvernement mettait sur pied un plan de sobriété, bientôt décliné par les collectivités. « Un élan a été donné », se félicite Marie-Laure Falque Masset, chargée d’études stratégie énergétique à l’agence régionale énergie climat (Arec Ile-de-France). Deux ans et demi après, l’enjeu est de pérenniser et d’amplifier la tendance. Car les échéances se rapprochent. Dans son plan climat air énergie métropolitain (PCAEM), la métropole du Grand Paris s’engage à réduire d’un tiers les consommations énergétiques d’ici à 2030. La sobriété énergétique est aussi l’un des sujets à l’ordre du jour des COP (conférences des parties) régionales et départementales que le gouvernement a lancées en 2024 en Ile-de-France.

Très énergivore, le gymnase René-Duvauchelle à Melun a fait l’objet d’une rénovation lourde qui s’est achevée en 2022. © Ville de Melun
La rénovation du patrimoine bâti et des installations énergétiques demeure le principal levier pour l’action publique locale. Selon le ministère de l’Écologie, les bâtiments représentent 66 % des consommations d’énergie finale dans la région Capitale. Or le patrimoine immobilier des collectivités représente 27 % du parc tertiaire national. En outre, pour les constructions de plus de 1 000 m², les collectivités sont désormais soumises à la réglementation Éco énergie tertiaire (EET), issue du décret tertiaire : les baisses de consommation d’énergie doivent atteindre 60 % en 2050 par rapport à 2010.
Des accompagnements multiples
Depuis 2022, note Marie-Laure Falque Masset, « des collectivités ont travaillé sur des plans de long terme. Pour certaines, c’était nouveau. Pour faire perdurer une démarche de sobriété énergétique, il faut un accompagnement ». A cette fin, la métropole du Grand Paris a édité fin 2023 un guide dédié. L’Arec Ile-de-France anime quant à elle depuis 2019 « La fabrique des sobriétés », un dispositif comprenant un site ressource, un cycle d’ateliers collectifs et des accompagnements individuels. L’Ademe propose également un accompagnement intitulé « Territoire engagé transition écologique ».

Atelier de design fiction dans le cadre du cycle « Imaginairgy » développé par l’Arec Ile-de-France à l’intention des collectivités. © Arec Ile-de-France
Financièrement, les collectivités peuvent aussi être épaulées dans le cadre du programme Actee (Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique), porté par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), se tourner vers la Banque des territoires ou bien vers l’Ademe. Les plus petites communes franciliennes peuvent, quant à elles, faire appel à un service dédié délivré par le syndicat d’énergie Sigeif.
Des travaux et de la sensibilisation
Souvent, un premier gisement d’économies d’énergie réside dans la supervision automatisée de la consommation des bâtiments. Paris a fait partie des premières villes à offrir à ses agents la possibilité d’effectuer des réglages directement depuis un smartphone. Jacques Baudrier, maire adjoint chargé de la transition écologique du bâti, est conquis : « avant, quand une chaudière consommait trop, on ne s’en apercevait qu’à la réception de la facture. Maintenant, on a l’information en temps réel. Un réglage est effectué rapidement à distance ». L’élu parisien évalue le gain d’économies d’énergie à 10 %. Conformément au décret Bacs (Building automation & control systems), ce type de dispositif doit être généralisé à partir de 2025.

Projet de rénovation énergétique du collège Pierre Mendès France à Paris (20e arr.) © Gaia architecture / Ville de Paris
Un deuxième niveau d’intervention consiste à optimiser les bâtiments et les installations énergétiques existantes sans suspendre les activités qui s’y déroulent. La modernisation de chaudières ou bien le remplacement des fenêtres d’une école peuvent ainsi être effectués pendant les vacances. Pour réaliser ces travaux, plusieurs options de montages juridiques et financiers sont envisageables, dont le contrat de performance énergétique (CPE). Dans ce cas, l’opérateur retenu est soumis à un objectif de baisse de consommation préalablement fixé, de l’ordre de 30 % en moyenne.
Mais la sobriété énergétique implique également de faire évoluer les usages. Le concours Cube ville, organisé par l’Etat, joue à cet égard un rôle indéniable : pendant une année, des élus et des agents territoriaux de toute la France sont en lice pour faire apparaître un bâtiment municipal sur le podium des économies d’énergie.
200 millions d’euros d’investissements
Certaines villes, à l’instar de Paris, sont particulièrement volontaristes. Ainsi, après la mise en œuvre de trois générations successives de CPE, la Capitale s’est lancée dans une campagne de rénovation globale de ses bâtiments. L’ensemble du parc sera rénové d’ici à 2050. Pour ce faire, Jacques Baudrier annonce un doublement des investissements pour atteindre 200 millions d’euros annuels sur dix ans.
Gagner en impact grâce au Sdie
Le schéma directeur immobilier énergétique (Sdie) est un outil de gestion et de planification qui permet aux collectivités de monter en puissance en matière de sobriété énergétique.
Gagner en efficacité énergétique et rénover les bâtiments publics constitue souvent l’un des premiers leviers d’action des collectivités en matière de sobriété. Mais encore faut-il connaître finement son patrimoine bâti, ce qui n’est pas toujours le cas. Tel est l’objet du schéma directeur immobilier énergétique (Sdie) qui permet une gestion globale des performances énergétiques des bâtiments publics. Depuis 2023, l’Ademe aide sept villes franciliennes à élaborer le leur. La démarche débute par un diagnostic du parc bâti municipal. Cette étude centralise les données permettant une analyse multi-enjeux des bâtiments : état, usages, performances énergétiques, coûts… A l’aide de ce tableau de bord, des scénarios stratégiques sont modélisés puis un plan d’actions est dressé. Ce dernier peut comprendre des opérations plus ou moins lourdes, de la mise en place d’une supervision automatisée des consommations à des évolutions architecturales, en passant par le remplacement de chaudières. Après quoi, le Sdie entre en phase chantier. Un suivi est assuré à partir d’indicateurs identifiés au préalable.

Remplacement des canalisations de chauffage de l’école
Danielle Casanova à Argenteuil. © Nicolas Laveroux / Ville d’Argenteuil
Exercice de concertation
La mise en place de cette démarche s’étale sur plusieurs années et nécessite la mobilisation d’un coordinateur en interne. Les services des bâtiments et des fluides peuvent être pilotes, mais la démarche est collective et transversale. Le processus a plus de chances d’aboutir lorsqu’il associe les élus, la direction des finances ainsi que les responsables de bâtiments publics ou subventionnés (direction de l’éducation, association sportive, etc.).
Cette logique partenariale est mise au service d’une politique de sobriété plus globale et plus rationnelle. « Entre spécialistes, notre patrimoine, on le connaît déjà », témoigne Alexis Gelenne, responsable ressources et fluides à la mairie de Melun (Seine-et-Marne). « Le Sdie permet de présenter nos résultats plus largement, dans un document unique. C’est un outil d’aide à la décision et qui permet de chiffrer des actions. » Le Sdie vient éclairer les plans pluriannuels d’investissements. Pour l’ingénieur melunais, « on va au-delà d’une approche intuitive pour encore mieux planifier les besoins ».
En 2023, sept villes de 20 000 à 112 000 habitants (Argenteuil, Chevilly-Larue, Melun, Montfermeil, Neuilly-sur-Marne, Rambouillet et Romainville) ont été retenues dans le cadre d’un appel à candidatures régional. Pendant quatre ans, elles vont bénéficier de l’expertise de l’Ademe dans la mise en place d’un Sdie. Les agents référents se retrouvent pour des points d’avancement mensuels et des ateliers thématiques. Ce format collectif permet d’échanger sur des problématiques similaires. Un suivi individuel est proposé en parallèle. Outre un appui-conseil, l’Ademe et ses partenaires, tbmaestro, Inddigo et l’Institut négaWatt, fournissent des modèles d’outils.
Le CPE : testé et approuvé
Le contrat de performance énergétique (CPE) permet de lier la gestion d’installations énergétiques à un objectif d’économies. Jugé efficace par les maîtrises d’ouvrage publiques, cet outil ne permet cependant pas, à lui seul, d’atteindre les objectifs réglementaires de sobriété énergétique.
Créé en 2009 dans le cadre de la loi Grenelle 1, le CPE s’est imposé comme un outil au service de la sobriété énergétique des bâtiments. Son principe ? Un CPE est conclu entre un acteur public ou privé et un énergéticien, dans le but d’améliorer la performance énergétique d’un parc immobilier. Après avoir défini une situation de référence, l’opérateur calcule une hypothèse d’économies d’énergie à réaliser avant la fin du contrat. Selon l’Observatoire national des CPE, en 2022, 29,7 % d’économies d’énergie étaient visés en moyenne. Pour réaliser l’objectif fixé, l’entreprise propose une série de travaux qui seront financés par le maître d’ouvrage ou un tiers-investisseur. Il peut s’agir de la modernisation de chaudières, du remplacement de fenêtres, ou encore d’isolation par l’extérieur. Des actions de sensibilisation auprès des agents comme du grand public sont aussi possibles.

« Le CPE fonctionne. On investit de l’argent et on diminue nos consommations de l’ordre 30 %, ce qui n’est pas négligeable », souligne Jacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique du bâti. © Brian Blactot
Essais-erreurs
Une fois ces opérations effectuées, deux scénarios sont possibles. Si les économies escomptées sont réalisées rapidement, l’opérateur s’en tient à de la maintenance. En revanche, si l’écart avec la situation de référence persiste, l’entreprise verse des indemnités à la ville. Des travaux supplémentaires peuvent ainsi être financés. « L’entreprise est contrainte de continuer à chercher des améliorations pour arriver au pourcentage contractuel », précise Julien Vitré, directeur délégué aux bâtiments à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Pour optimiser l’efficacité d’un CPE, l’ingénieur diplômé de l’Ecole des ponts et chaussées recommande que le contrat soit relu par un opérateur tiers. Il faut aussi dégager du temps pour des réunions techniques. Ces conditions mises à part, pour l’agent neuilléen, la formule reste vertueuse : « avec un contrat classique, dans le cas d’une panne de chauffage, l’opérateur achetait la paix avec l’usager. Il désactivait le mode automatique et laissait le chauffage à fond. Si les gens avaient chaud, ils ouvraient les fenêtres. Une contrainte financière permet d’éviter les dérives ».

Chantier de rénovation énergétique du collège Pierre Mendès France à Paris (20e arr.). Neuf collèges parisiens sont concernés par un CPE pour la période 2024-2036 © Cyril Abbas / Ville de Paris
Avec une troisième génération de CPE en cours, la ville de Paris a aussi trouvé des avantages à l’outil. Depuis 2012, 260 écoles, sur les 745 que compte la ville, ont fait l’objet d’interventions. Pour Jacques Baudrier, adjoint à la maire de Paris chargé de la transition écologique du bâti, le bilan est positif jusque dans une certaine limite : « ça fonctionne, on investit de l’argent et on diminue nos consommations de l’ordre 30 %, ce qui n’est pas négligeable. Mais les opérateurs réalisent les économies les plus faciles. Si on vise des transformations architecturales lourdes pour atteindre les 60 % d’économies de la réglementation Éco énergie tertiaire d’ici à 2050, le CPE ne suffit plus. »
« En Ile-de-France, nous sommes plus contraints, mais nous faisons quand même ! »
Chargée de la stratégie énergétique à l’agence régionale énergie climat (Arec Ile-de-France), Marie-Laure Falque Masset revient sur la dynamique francilienne en matière de sobriété énergétique. Elle présente la Fabrique des sobriétés, un dispositif qui s’adresse aux collectivités qui souhaiteraient structurer leur action dans ce domaine.

Marie-Laure Falque Masset. © Christophe Bertolin
En ce qui concerne la sobriété énergétique, comment qualifieriez-vous la période actuelle ?
Le moment est intéressant et joyeux. La sobriété passe par une évolution des modes de vie. Ces changements exigent non seulement des innovations, mais aussi que ces dernières soient acceptables et pérennes. A cet égard, les collectivités sont vraiment parties prenantes de la réflexion. Pourtant, le contexte francilien est complexe. Le national et le régional se mêlent et les réseaux sont plus denses. Nous sommes plus contraints, mais nous faisons quand même !
En quoi consiste la Fabrique des sobriétés ?
Ce cycle d’ateliers propose de réfléchir à une sobriété choisie, innovante et collective. L’objectif est de travailler sur les définitions, les freins et les leviers. Près de 30 ateliers ont déjà eu lieu et ils vont continuer. J’ai aussi lancé l’année dernière un accompagnement de sept collectivités. A Argenteuil (Val d’Oise), le projet consiste à formuler un récit autour de ce qui serait à conserver ou non, voire ce qui serait à recréer, comme une place plus importante accordée aux piétons. A Chaville (Hauts-de-Seine), une marche sensible a été organisée dans l’espace public. Un carnet pratique de restitution de ces outils est en projet. Les agences locales de l’énergie et du climat (Alec) sont aussi inventives. Elles expérimentent la gamification à destination des habitants, avec les défis Déclics.

Matériel de l’escape game mobile « Mission climat 2050 » proposé par Energie solidaire, un exemple d’action de sensibilisation ludique à destination du grand public. © Arec Ile-de-France
Quels conseils donneriez-vous à une collectivité qui souhaiterait mettre en place une politique cohérente de sobriété énergétique ?
Il faut avoir la foi et mobiliser en interne. La direction des finances est une super alliée pour réaliser des économies d’énergie, car les considérations financières et environnementales vont de pair. Les pilotes de la démarche doivent travailler avec tous les services, en transversalité. La sobriété énergétique est souvent réduite au chauffage des bâtiments, or elle concerne aussi l’éclairage public, le numérique, les mobilités ou l’alimentation. Le processus se poursuit avec un état des lieux. Cette phase est encourageante, car elle permet de voir qu’on ne part pas de rien.
A quelles échelles travailler ?
Je suis persuadée que le local est le bon niveau pour agir. Chaque terrain est différent et les relations humaines jouent. Lorsque l’État ou une grande entreprise détiennent un bâtiment sur le territoire, ils doivent être embarqués dans une concertation locale. L’État doit se montrer exemplaire. La directive européenne relative à l’efficacité énergétique demande la rénovation tous les ans de 3 % de la surface au sol des bâtiments publics. Quant aux collectivités, elles sont prescriptrices. Lorsqu’un promoteur prévoit un ensemble de bureaux, elles peuvent par exemple proposer des alternatives aux parkings.