Depuis quelques années, les collectivités territoriales ont intégré la transition écologique dans leurs projets politiques et administratifs. L’urgence environnementale a pressé des communes et des agglomérations à réorganiser leurs services et à opter pour un management plus transversal.
« Budget vert », « cours oasis », « îlot de fraîcheur », autant de concepts qui font désormais partie du langage utilisé au quotidien dans les administrations des collectivités territoriales comme celle de Cergy (Val d’Oise). « Il y a trois-quatre ans, ces mots-là n’existaient pas », relève Jean-Jacques Fréjaville, directeur général des services de la commune de 67 000 habitants et de 1 300 agents qui précise que ces notions sont toutes corrélées à des « actions ». Sous l’impulsion du maire Jean-Paul Jeandon et sa majorité socialiste, en 2020, la ville de Cergy a mis en place 91 actions pour rendre concrète la transition écologique et énergétique.
Si certaines d’entre elles ciblent les habitants au travers de politiques publiques, l’administration municipale est la première concernée. Une directrice de la transition écologique et énergétique a ainsi fait son entrée en 2021 dans l’organigramme. Les services ont aussi été dotés d’une direction de la maîtrise d’ouvrage « en charge de tous les projets de rénovation énergétique, des bâtiments et de transition en matière d’espace public ».
Transversalité de la transition écologique
Le choix opéré par la ville de Cergy est loin d’être isolé. Christine Cledassou-Goussard, directrice des services de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), se targue de travailler pour une commune disposant d’un service développement durable depuis 20 ans. « Il y a deux agents dans le service et au niveau des élus, le maire est président de l’association Les éco maires, nous avons un adjoint au développement durable, un conseiller dédié à la biodiversité et un conseiller aux actions citoyennes », détaille-t-elle. Pour la ville dirigée par le maire Les Républicains Guy Geoffroy depuis 1995, « ce n’est pas une démarche nouvelle », abonde celle qui a tenu à ce que « le développement durable » soit présent « dans l’ensemble de nos projets ».
Comme 23 communes, Combs-la-Ville figure sur la liste des membres de la communauté d’agglomération Grand Paris Sud, présidée par le socialiste Michel Bisson. L’intercommunalité créée en 2016 dispose, elle aussi, de sa direction dédiée à la transition écologique. « Depuis septembre 2023, nous avons, en plus, positionné un délégué général transition écologique et agricole. Il est rattaché à la direction générale des services et agit avec les services dans une dimension d’accélération de nos actions », explique Yann Bergot, directeur général des services de l’agglomération.
L’intérêt de se réorganiser pour les intercommunalités est partagé au-delà des frontières de l’Ile-de-France. « On a de plus en plus de sollicitations sur la question de la gouvernance de la transition écologique. Le constat étant qu’on ne peut pas avoir qu’un agent et un vice-président en charge de la transition », note Oriane Cébile, conseillère environnement et aménagement auprès d’Intercommunalités de France qui rassemble les métropoles, les agglomérations et les communautés urbaines du pays.
L’apparition de nouvelles directions, le recrutement de nouveaux directeurs et agents induisent des changements pour les collectivités. A Grand Paris Sud, Yann Bergot précise que le nouveau délégué général à la transition est issu de l’administration de l’Etat : « Cela peut provoquer quelques frottements. Il a vocation à être très libre dans son fonctionnement en étant en lien étroit avec les services. » L’arrivée de nouveaux fonctionnaires sur des postes qui n’existaient pas auparavant peut en effet heurter la culture administrative des collectivités. « Au début, ça a été très dur pour la directrice de la transition écologique, se souvient Jean-Jacques Fréjaville à Cergy. Dans une commune, les directeurs font fonctionner leurs services en silo et ils le font bien. Les faire évoluer sur les actions qu’ils mènent est très compliqué même quand il existe une ambition politique forte. » L’intégration de la nouvelle directrice a pris près de deux ans selon le chef de l’administration cergyssoise, « le temps de prouver que ces actions auront un impact et qu’on peut les intégrer dans son fonctionnement du quotidien ».
Un aspect qui interroge les collectivités, c’est d’arriver à porter des projets de transition avec les acteurs des territoires. Cela peut être des projets de
production photovoltaïque avec des entreprises sur des zones
d’activités économiques ou des coopératives d’énergies renouvelables avec des habitants ou des associations. Cela se développe en Ile-de-France et c’est peut-être une manière de répondre en partie aux difficultés de financement rencontrées par les collectivités.Oriane Cébile, conseillère environnement et aménagement auprès d’Intercommunalités de France
Former les agents et les directeurs
Pour emmener tous les agents, directeurs ou non, les collectivités misent sur la formation. Ainsi, les quelque 400 fonctionnaires de Combs-la-Ville ont tous été sensibilisés à la transition écologique en 2020. La directrice générale des services ajoute que l’ensemble des élus ont participé à la fresque du climat pour comprendre les enjeux liés au changement climatique. Les directeurs et les chefs de service ont, eux, pris part à la fresque de la renaissance écologique. Les 1 500 agents de Grand Paris Sud seront aussi passés par les ateliers fresque du climat d’ici à fin 2024. A Cergy, les agents reçoivent régulièrement des formations. En 2023, ils ont, entre autres, été formés sur la consommation de papier. Résultat, moins 11 % d’utilisation du papier à l’hôtel de ville et moins 25 % dans les écoles à la fin de l’année. Les photocopies ont, elles, diminué de 15 % en mairie et dans les groupes scolaires. On a économisé 10 000 euros, indique Jean-Jacques Fréjaville. C’est important qu’on le sache car ça permet de réunir les agents et de leur montrer quel est le gain grâce à eux ».
Le pilotage de la transition écologique au sein des administrations se retrouve jusqu’aux parkings. A l’instar de Cergy, Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), menée par le maire divers gauche Jean-Louis Marsac, a réduit d’une dizaine de voitures son parc automobile en deux ans. Sur les 90 véhicules restants, 32 % sont électriques. « On a fait le choix de réduire le parc tout en changeant la motorisation des véhicules », rappelle Pierre Blazy, directeur général des services de la commune qui a adopté un agenda 2030 sur la transition écologique le 2 février dernier. Le responsable des 600 fonctionnaires de l’administration souligne à quel point « les agents évoluent avec leur temps », en prenant l’exemple des cantines scolaires. « La question du bio à la cantine, il y a dix ans, ça aurait été perçu différemment », considère-t-il.
Outils de mesures
Concernées par le décret tertiaire qui oblige les propriétaires de bâtiments tertiaires à réduire de 60 % la consommation d’énergie de leur parc immobilier en 2050, les collectivités agissent aussi sur la transition énergétique de leurs bâtiments. Ainsi à Villiers-le-Bel, les bâtiments passent progressivement à l’éclairage LED. « On espère être à 70 % d’ici trois ans », avance Pierre Blazy. A Combs-la-Ville, les LED équipent les éclairages de la commune depuis plusieurs années. Seul bémol pour la ville de Seine-et-Marne : elle ne sait pas calculer les réductions de consommation induites par ce dispositif. « Pour nous, il serait intéressant de mesurer les économies qu’on a pu faire avec un contrôleur de gestion qui peut nous mettre à disposition des outils. On est précurseur dans l’action mais dans la mesure de l’action on n’est pas encore bon », reconnaît Christine Cledassou-Goussard.
Les lacunes dans la mesure des actions concernent également de nombreuses agglomérations. « Au début de la crise énergétique, beaucoup d’adhérents ne savaient pas combien ils consommaient », témoigne Oriane Cébile d’Intercommunalités de France. Des outils existent néanmoins pour mieux maîtriser cet aspect. A Cergy, où depuis la crise énergétique des tableaux de bords permettent de suivre la consommation des bâtiments, l’efficience des actions menées s’est ressentie sur la facture d’électricité. « Sans économie, on aurait payé 5 millions d’euros et là on arrive à 4,2 millions », indique Jean-Jacques Fréjaville. Du côté de l’agglomération Grand Paris Sud, l’administration utilise la méthode Quanti-GES proposée par l’Ademe sur l’éclairage public, pour, « en amont des choix, mesurer les effets de nos décisions ».
Afin d’aller plus loin dans leurs projets de transition écologique, les DGS demandent un soutien accru de l’Etat. « Il faudrait une logique de financement différente avec l’Etat : moins de coup par coup et plus de visibilité avant les appels à projet. Mais surtout : de l’argent parce qu’on ne peut pas financer un reste à charge important », soulève Pierre Blazy. En plus des fonds, les collectivités ont besoin de bras. « Il nous manque des moyens humains pour pouvoir travailler plus encore sur l’ingénierie des projets de transition écologique », plaide Yann Bergot. Oriane Cébile d’Intercommunalité de France l’affirme aussi : « Il y a besoin de soutenir l’investissement mais il n’y en aura pas sans dépenses de fonctionnement », rappelle-t-elle. « Ce qui manque, c’est aussi un discours fort de l’Etat, des régions et des départements pour promouvoir l’éco-financement de nos projets », enjoint Jean-Jacques Fréjaville pour atteindre l’objectif de réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
Bruno Partaix (CNFPT) : « Si on ne fait pas cette transition écologique, le coût sera considérable »
La délégation francilienne du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) organise avec l’Ademe un séminaire le 7 mars prochain (*) autour du management de la transition écologique pour les collectivités. Son directeur régional Bruno Partaix revient sur les ambitions de ce colloque.
Vous organisez le 7 mars prochain un séminaire concernant le management de la transition écologique. Pourquoi le CNFPT Ile-de-France se saisit-il de cette question ?
Cela faisait partie des dix engagements en faveur de la transition écologique que nous avions pris lors du colloque du CNFPT à Bordeaux sur cette thématique l’année dernière. Chaque délégation régionale doit mettre en place un événement et, en Ile-de-France, nous organisons un séminaire à destination des dirigeants territoriaux. Nous partons du constat que tout le monde est d’accord sur la transition écologique. La question, c’est comment on y va très concrètement et comment cette transition peut imprégner l’ensemble des politiques publiques des collectivités territoriales. Evidemment, il faut prendre en compte des situations extrêmement contrastées entre de très grandes collectivités qui ont vraiment des équipes dédiées et d’autres de tailles plus modestes, pour lesquelles cela est plus difficile parce qu’ils n’ont pas nécessairement des ressources adaptées à la situation.
Qu’allez-vous proposer lors de votre séminaire du 7 mars ?
L’idée n’est pas de faire un énième séminaire avec un sachant qui explique les problèmes soulevés par la transition écologique mais d’avoir un échange entre pairs et avec des projets qui ont réussi. Il y aura une table ronde avec des témoignages de directeurs généraux des services (DGS) de différents types de collectivités : des petites et des grosses communes urbaines, rurales, de la petite couronne, de la grande couronne, des agglomérations et des établissements publics territoriaux. Nous présenterons aussi les formations du CNFPT en matière de transition écologique. L’Ademe précisera également comment elle appuie techniquement les collectivités territoriales.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux DGS qui assisteront à ce colloque ?
C’est un séminaire spécifique. L’après-midi, on leur propose de co-construire avec nous, dans le cadre d’un parcours que l’on va animer, les dix éléments clés du management de la transition écologique. Nous allons engager la réflexion à partir de quatre thèmes : acceptabilité sociale, financement, partenariat et tout ce qui concerne les outils et les ressources. L’idée est de mettre en exergue les éléments à prendre en compte absolument pour pouvoir basculer vers la transition écologique. Il y a des aspects contraignants de cette transition écologique, mais si on ne la fait pas, le coût sera considérable.
(*) De 9h30 à 17h30, CNFPT, 78 rue de Reuilly, Paris (12e), programme complet en ligne sur le site du CNFPT.