J. Baudrier :  « Il faut tripler la taxe sur les logements vides ou sous-occupés »

Jacques Baudrier, adjoint communiste de la maire de Paris en charge du logement et de la transition écologique du bâti, fait un lobbying intense en ce moment auprès du gouvernement et des parlementaires. Il a rédigé lui-même un amendement au projet de loi de finances (PLF) visant à tripler la fiscalité sur les logements vacants et sur les résidences secondaires dans la capitale et dans toutes les zones tendues. Une mesure « simple, efficace, indispensable » et indolore pour les finances publiques, fait-il valoir, dans un contexte de crise de l’immobilier.

Vous voulez taxer davantage – et de manière significative – les logements vides et les résidences secondaires à Paris. Pour quelles raisons ?

Les Parisiens ont du mal à se loger, tout le monde le sait. Or, près de 20 % des logements parisiens ne sont pas des résidences principales, c’est-à-dire qu’ils sont inoccupés ou sous-occupés, vides ou enregistrés comme résidences secondaires. Selon l’Insee, cela représentait 270 000 logements en 2021 et ce chiffre augmente de 7 000 par an. On devrait donc être à 290 000 en 2024, sur 1,4 million de logements au total dans la capitale. C’est énorme !

Constatez-vous des différences selon les arrondissements ?

Le centre de Paris – les arrondissements de 1 à 11 – est particulièrement touché. Une étude de l’Apur [Atelier parisien d’urbanisme] montre que le 8e affiche jusqu’à 38 % de logements inoccupés. Dans le 7e, le phénomène augmente à toute vitesse : on est passé de 20 % à 34 % en dix ans. En revanche, dans les 13e, 18e, 19e ou 20e, qui comptent beaucoup de logements sociaux – lesquels ne sont pas vides ! –, on est en-dessous de la moyenne parisienne.

Jacques Baudrier. © Jgp

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

À Paris, il y a énormément de multipropriétaires, des gens qui ont de gros moyens : 60 % des logements locatifs privés appartiennent à des personnes qui possèdent au moins cinq biens immobiliers, qui ont donc un patrimoine de plusieurs millions d’euros, et pour qui les recettes locatives ne sont pas vitales ; ils ne sont pas à 2 000 euros près. Certains ont des immeubles entiers inoccupés. Si on ne les pousse pas à louer, ils ne louent pas. Un appartement dans le centre de Paris, c’est un peu comme une Rolex ou une voiture de luxe : un bien de prestige, assez peu rentable. Quant aux résidences secondaires, on en dénombre 140 000 dans notre ville : 20 % appartiennent à des étrangers et 20 % appartiennent à des gens qui habitent Paris ! Comment est-ce possible ?

Existe-t-il un lien entre ces appartements vides et les travaux bientôt obligatoires pour les passoires thermiques ?

Pas vraiment. Les interdictions de louer une passoire thermique ne datent que de 2022 et ne seront effectives qu’en 2025. Alors que l’augmentation du nombre de logements inoccupés ou sous-occupés remonte à une quinzaine d’années. Mais peut-être que cette contrainte supplémentaire pour les propriétaires pourrait aggraver le phénomène.

Qu’en est-il de la peur des loyers impayés ?

La ville de Paris propose un service, « Louez solidaire et sans risque », qui garantit un loyer aux propriétaires et qui finance même les travaux de remise en état. Nous n’arrivons pas à dépasser la barre des 1 300 logements dans ce dispositif. Nous écrivons aux propriétaires de logements vides, ils ne nous répondent pas. On a essayé la carotte, il faut maintenant une fiscalité qui décourage.

L’encadrement des loyers peut-il être une explication ?

Non, l’encadrement des loyers n’est mis en œuvre pleinement que depuis 2023. En plus, malheureusement, 30 % des propriétaires parisiens ne respectent pas cette obligation.

À combien s’élèvent aujourd’hui les taxes sur les logements inoccupés ?

En France, 6,7 millions logements sont vides ou déclarés en résidences secondaires, dont environ un tiers en zones tendues : 2,3 millions, dont 290 000 à Paris. Dans ces zones tendues, la fiscalité est aujourd’hui de 0,4 % par an du prix du bien. La taxe sur le logement vacant ou la taxe d’habitation sur la résidence secondaire sont à peu près du même niveau.

À quelle hauteur souhaiteriez-vous les augmenter ?

Pour qu’elles soient efficaces, il faudrait passer de 0,4 % à au moins 1,5 %, c’est-à-dire les multiplier par trois. Cette hausse de fiscalité ne concernerait que les zones tendues, pas la Creuse ou le Cantal.

À combien estimez-vous les recettes ?

La taxe sur les logements vacants va dans les caisses de l’État. Une multiplication par trois rapporterait 300 à 400 millions d’euros par an. À un moment où le gouvernement cherche de l’argent, ce serait dommage de s’en priver. Quant à la surtaxe sur les résidences secondaires, il faudrait la multiplier par cinq afin que le produit global de la taxe elle-même soit multiplié par trois ; les recettes s’élèveraient ainsi à plusieurs centaines de millions d’euros pour la ville de Paris et à plusieurs milliards pour les collectivités en zones tendues. Je précise que le but n’est pas d’accroitre les recettes mais de remettre des logements sur le marché locatif privé.

On va vous prêter des intentions confiscatoires…

Le Canada ou la Belgique sont des pays trotskistes bien connus ! À Vancouver, cette fiscalité est de 4 %, soit 10 fois plus importante qu’en France ! À Bruxelles, il existe trois taxes différentes : une sur les résidences secondaires – déjà plus élevés qu’à Paris –, une surtaxe d’habitation et une surtaxe sur le droit de mutation. Résultat : à Vancouver, il n’y a que 6 % de logements sous-occupés ; à Bruxelles, 4 %. À comparer avec nos 20 % à Paris. Je pourrais aussi citer la Grande-Bretagne ou l’Italie. La France est très en retard sur ce sujet. J’ajoute que la valeur totale du patrimoine immobilier des propriétaires parisiens s’élève à environ 570 milliards ; leurs biens ont fait une plus-value de 300 milliards en 20 ans. Ils se sont considérablement enrichis. À tel point que certains multi-propriétaires n’ont même pas besoin de revenus locatifs et laissent leurs appartements vides. C’est un capital qui dort !

Comment comptez-vous convaincre les élus de droite et du centre, rétifs aux hausses d’impôts ?

Le phénomène d’accroissement du nombre de logements sous-occupés touche toutes les grandes zones touristiques du pays : Paris, mais aussi la Côte-d’Azur, les côtes basque et bretonne, les stations de ski dans les Alpes… Ces territoires représentent 8 à 10 millions d’habitants. Si l’amendement communiste – que j’ai rédigé – était adopté, on pourrait trouver 100 000 logements à reconquérir dans les trois ans à Paris. Dans l’Hexagone, c’est 1 million de logements qu’on pourrait retrouver en zones tendues. Les parlementaires de ces territoires, comme beaucoup d’élus parisiens, y compris de droite et du centre, ne sont pas hostiles à cette proposition, car ils ont conscience du problème. Le gouvernement veut résoudre la crise du logement dans notre pays ? Cette mesure, simple, efficace, indispensable, ne coûterait pas un sou aux finances publiques. J’ai eu un rendez-vous le 21 octobre avec le cabinet du ministre des Comptes publics, et je vois celui du Logement début novembre.

Est-ce une réponse au départ des Parisiens et à la baisse de la population ?

Contrairement aux idées reçues, les Parisiens ne fuient pas leur ville. L’envie de vivre à Paris n’a même jamais été aussi élevée ; on le voit avec les demandes dans le parc social. En réalité, le nombre de départs est stable depuis des décennies. En revanche, le nombre de personnes qui emménagent diminue. Parce qu’ils ne trouvent pas de toit, à cause des logements vides, ils renoncent à s’installer. Chaque année, on perd environ 5 000 résidences principales à Paris : si l’on gagne 3 000 logements sociaux, le marché locatif privé, lui, perd 8 000 logements par an. On dénombre aujourd’hui 350 000 logements à louer dans le privé, contre plus de 600 000 dans les années 1980. Donc, logiquement, la population diminue. Mais personne ne fait fuir les Parisiens !

Sur le même sujet

Top