Pour les fondateurs de l’Alliance des professionnels de l’urbanisme et de l’immobilier du Grand Paris (APUI-GP), les enseignements de la crise sanitaire invitent à accélérer la concrétisation du Grand Paris en revisitant tant le modèle économique, écologique qu’institutionnel de la fabrique de la ville. A l’occasion d’une web-conférence du Journal du Grand Paris le 26 mai 2020, les notaires de Paris, les agents immobiliers, les architectes et les promoteurs d’Ile-de-France ont assuré vouloir contribuer au plan de relance économique qui doit aussi être « sociétale et écologique ».
Alors que la loi qui a fondé le Grand Paris fêtera ses dix ans le 3 juin, « personne ne sait définir le Grand Paris ni géographiquement, ni en matière de gouvernance, et pas davantage en terme de politique publique », a déploré Bertrand Savouré le 26 mai lors d’une rencontre organisée par Le journal du Grand Paris sur le thème « Quelle relance du Grand Paris en matière de logements, d’aménagement et de transition écologique ? ».
« Nous avons tous envie de passer à l’étape supérieure qui est de construire pour de vrai ce Grand Paris que nous souhaitons solidaire, environnemental, économique, attractif, ce qui nécessite un travail au quotidien de tous ses acteurs dont nous faisons partie, ainsi que les élus locaux », a poursuivi le président de la chambre des notaires de Paris qui présentait à cette occasion l’avancée des travaux de l’Alliance des professionnels de l’urbanisme et de l’immobilier du Grand Paris (APUI-GP) qu’il a créée début mai avec Olivier Princivalle, président adjoint de la Fnaim du Grand Paris, Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes d’Ile-de-France, et Marc Villand, président de la fédération des promoteurs immobiliers d’Ile-de-France.
« Mieux exploiter nos atouts et combler nos failles »
En plein confinement, ces acteurs voulaient par cette initiative réagir au blocage des transactions et du marché immobilier, mais également « envoyer un message positif », souligne Olivier Princivalle. Car l’ambition des fondateurs de l’APUI-GP consiste aussi à travailler sur la ville de demain, partager et voir plus loin pour construire un urbanisme raisonné à partir notamment des enseignements tirés du confinement et de la crise sanitaire, car il faut quasiment tout remettre à plat.
« Tous les professionnels de l’immobilier ont rencontré les mêmes difficultés : défaillance de la dématérialisation, télétravail de nos collaborateurs…, ajoute Bertrand Savouré, mais nous avons aussi réalisé l’interdépendance de nos professions. » Aussi, l’intérêt de se doter d’une instance de dialogue est « de structurer notre façon de travailler ensemble, de mieux exploiter nos atouts et combler nos failles ».
Les quatre présidents franciliens souhaitent d’ailleurs ouvrir l’alliance à tous les acteurs de la chaine de l’immobilier et de l’urbanisme « pour amorcer un dialogue à la fois dans l’immédiateté (dématérialisation des autorisations d’urbanisme) et à plus long terme sur les changements que nous allons devoir engager pour faire muter nos métiers et construire les opérations de demain », a détaillé Christine Leconte.
Bousculer certains codes
Etre responsable, s’engager, « sans attendre que les chose se fassent », bousculer certains codes et être force de propositions auprès des collectivités locales et de l’Etat … l’APUI-GP compte bien peser de tout le poids de ses membres dans le plan de relance économique « qui doit aussi être un plan de relance sociétale et écologique », a insisté Christine Leconte.
Les initiateurs de cette démarche peuvent déjà compter sur le soutien d’un élu. « Enfin, nous n’aurons plus qu’un interlocuteur et pas plusieurs dizaines dans les travaux que nous devons mener », a salué Karl Olive. « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », a ajouté le maire de Poissy réélu le 23 mai à l’issue d’un vote électronique mis en œuvre pour l’installation du conseil municipal.
Tout en reconnaissant qu’il fallait accélérer la digitalisation des procédures administratives, l’élu des Yvelines a refusé de « mettre sur le dos de la dématérialisation le ralentissement de ce qu’on constate aujourd’hui. Il y a aussi la période électorale », a-t-il rappelé. Cependant, le fonctionnement intercommunal complexifierait aussi la donne, « nous devons balayer devant notre porte pour gagner en efficacité et pragmatisme », a admis Karl Olive invitant à « façonner ensemble la ville de demain qui nécessite, sinon plus de matière grise, une matière grise de meilleure qualité ».
Des PLUI « trop importants »
Dans un large consensus, les intervenants se sont montré plutôt favorable à une prise de décision au niveau communal plutôt qu’intercommunal en matière d’urbanisme et d’immobilier, déplorant des PLUI (plan local d’urbanisme intercommunal) devenus « trop importants » et engageant la ville à trop long terme. « Ils devraient être bâtis avec les professionnels, a préconisé Marc Villand. Je ne suis pas sûr qu’ils soient adaptés à la résilience de la ville et à la transition écologique. »
« Le pouvoir aux maires est essentiel tout comme la construction locale pour correspondre aux attentes des habitants », a fait valoir Olivier Princivalle, rejoint par Karl Olive qui vante la proximité et la nécessité de « façonner la ville en adéquation avec ceux qui y vivent », tandis que Marc Villand a assuré que « les maires sont au centre du dispositif. Si nous n’avez pas un maire porteur de projet, vous ne faites rien ».
Sauf que dans l’organisation institutionnelle actuelle, le maire ne dispose pas de tous les pouvoirs définitifs de décision, pour autant « à la fin, il est le seul responsable, a constaté le président de la FPI d’Ile-de-France. La responsabilité politique du maire ne peut pas être transférée à une techno structure. Ce schéma doit être amélioré, réformé et rénové. »
Encore un écueil à la construction du Grand Paris ? « Sans retirer aux maires leur pouvoir de donner des autorisations de construire, le Grand Paris doit être une organisation de coordination, convient Bertrand Savouré. Il me semble difficile qu’un maire porte une politique en opposition avec celle dictée par le Grand Paris. »
Revoir le modèle économique de la fabrique de la ville
Le confinement a généré une envie des gens de vivre différemment. « Il faut s’attendre à des mouvements migratoires assez surprenant probablement dès les prochains mois », prévient Olivier Princivalle, « on sent une tendance à bouger ». L’occasion aussi de repenser une autre façon de concevoir la ville car « la société se construit autour de la ville, rappelle Christine Leconte. Si la distanciation physique peut être nécessaire, la distanciation sociale n’est pas souhaitable. »
La présidente de l’ordre des architectes d’Ile-de-France invite à être attentif sur la manière dont on va gérer la relation avec les nouveaux biens immobiliers que les gens vont rechercher. Le désir de maison ne doit pas nous faire lâcher des objectifs environnementaux. « Hors de question de faire demi-tour sur la zéro artificialisation nette », assène-t-elle, préconisant d’arrêter l’étalement urbain et donc travailler encore davantage sur l’existant et les dents creuses.
La construction de cette nouvelle ville ne peut se faire, selon Marc Villand, sans une certaine déréglementation pour par exemple construire plus large. « Quand le balcon compte systématiquement dans l’emprise au sol des bâtiments, vous vous pénalisez dans l’équation économique », explique-t-il. Justement, c’est tout le modèle économique actuel qui doit être revu. « La crise nous montre qu’il faut travailler beaucoup plus sur la qualité de ce qu’on réalise, mais il ne faut ne pas se leurrer : on est dans un marché qui réalise du produit économique », constate Christine Leconte qui pointe du doigt les marges demandées par les banques pour fabriquer des opérations immobilières.
Marc Villand déplore de son côté le problème de la maîtrise du foncier. « Le coût de construction n’est pas le vrai problème, assure le président de la FPI d’Ile-de-France, « le foncier représente en Ile-de-France entre 25 et 45 % du coût du bâtiment ». Aussi, Christine Leconte propose des états généraux sur la manière dont on construit pour positionner le coût économique d’un bâtiment à un autre stade : le coût environnemental et social. « En changeant de curseur on aurait l’intérêt public des constructions que l’on pose sur notre territoire », argue l’architecte. Bertrand Savouré propose de son côté de travailler en ingénierie juridique à d’autres modes de propriété que celle à vie (temporaire, du sol et pas du foncier…) qui permettent de décompresser le marché immobilier.