M. Villand : « L’immobilier représente une énorme carte à jouer pour favoriser la reprise »

Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Ile-de-France et président-directeur général d’Interconstruction, décrit les modalités de la reprise des chantiers qui concerne aujourd’hui 50 % des projets, estime-t-il, en mode dégradé néanmoins. Il dévoile les principales mesures du plan de relance de l’immobilier que la Fédération des promoteurs appelle de ses vœux, et revient sur le rôle des collectivités territoriales dans la crise.

Comment vivez-vous cette crise sanitaire ?

Lorsque la crise est survenue, les fondamentaux du marché de la promotion immobilière en Ile-de-France étaient très bons. Nous avons eu l’impression d’être fauchés en plein vol. Les taux d’intérêt étaient très bas, nous avions une mise à l’offre en baisse compte tenu de la perspective des élections municipales, mais la situation globale se caractérisait par une très forte effervescence. Nous avons donc vécu la première phase de la crise avec une forme de stupeur.

Marc Villand. © NatachaGonzalez

Comment s’est déroulée la suspension des chantiers ?

Le gouvernement a bien géré certains aspects de la crise, moins bien d’autres. Je tiens d’abord à remercier l’Etat d’avoir pris des mesures de chômage partiel. Cela permet de conserver un appareil de production. Ce sont les entreprises qui, à plus de 80 %, ont décidé d’interrompre les chantiers en Ile-de-France (sondage interne à la FPI-IDF) suite à l’annonce des mesures de confinement par le président de la République. Nous avons ensuite commencé à réfléchir assez rapidement à la reprise de nos chantiers, des messages assez précis du gouvernement nous y incitant, tout en faisant preuve de toute la vigilance requise : un chantier reste une usine à ciel ouvert, au sein de laquelle il est très difficile d’éviter la promiscuité.

Quel regard portez-vous sur le guide de l’Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) ?

Il a été publié d’abord sans concertation préalable avec les maîtres d’ouvrage que nous sommes. Tout comme les premières ordonnances. Nous sommes donc montés au créneau sur ces deux sujets. Nous avons obtenu notamment, concernant les ordonnances, qu’elles se traduisent par une suspension de délai et non pas une prorogation. Il y a derrière tout cela une certaine intelligence. Le gouvernement a accepté de modifier son texte. Il faut lui en donner acte, même si certains éléments, tels que le retrait administratif, ont été oubliés. Mais nous avons gagné un mois sur les instructions de permis, obtenu des avancées sur les recours. Avec la présidente nationale, Alexandra François-Cuxac, nous avons beaucoup œuvré en ce sens. Nous avons été relativement écoutés. En Ile-de-France, je constate que le préfet montre une réelle envie que l’économie reprenne.

Les chantiers redémarrent ?

Aujourd’hui, j’estime que 50 % des chantiers ont repris, mais en mode dégradé. Là où il y avait trois équipes, il n’y en a plus qu’une. Certains maires ont pris des arrêtés de police pour s’opposer à la reprise des chantiers. C’est agaçant, même si je peux comprendre qu’ils veillent à l’acceptabilité de la reprise par leurs administrés, avec des populations parfois à cran après deux mois de confinement. Mais les chantiers que l’on reprend sont souvent proches de leur terme, et nécessitent moins d’interventions lourdes. Ce sont plutôt des travaux de finition.

Chantier à Paris. © Jgp

L’Etat a déféré ces arrêtés ?

Les préfets se sont montrés en effet extrêmement fermes sur cette question. Ils ont systématiquement déféré ces arrêtés. En Ile-de-France, on estime que la reprise de la construction de 1 500 logements est actuellement bloquée par ces arrêtés.

La reprise s’effectue néanmoins dans de bonnes conditions, quand les rapports avec les entreprises se font en bonne intelligence. Nous avons tous fourni un effort important, en doublant les bases-vies, en les nettoyant toutes les deux heures, avec des personnes en charge de la sécurité qui passent régulièrement sur les chantiers.

La Fédération française du bâtiment estime à 10 % en moyenne le montant des surcoûts liés notamment à la baisse de la productivité provoquée par les mesures de prévention. Vous êtes d’accord avec ce chiffre ?

La FFB exagère. Selon moi, au vu des chantiers d’Interconstruction, on est plutôt sur des surcoûts compris entre 30 000 et 40 000 euros, liés par exemple à l’agrandissement des bases-vies. En réalité, les choses se passent nettement mieux sur le terrain que dans le cadre des négociations nationales, au niveau syndical. Face à l’immobilisation d’une grue, chacun prend un mois à sa charge, on discute, on trouve des accords.

La plupart des entrepreneurs de taille moyenne ont envie de reprendre le travail. Et les promoteurs sont également confrontés à des surcoûts, à l’exemple de l’allongement de leurs frais financiers, auxquels s’ajoute leur participation aux surcoûts des entreprises. Certains de nos clients vont nous demander la compensation des reports de livraison. L’arrêt des ventes va représenter sans doute plus de six mois de perte.

Vous allez commander des masques ?

J’en ai commandé, et reçu au titre d’Interconstruction. La chambre francilienne de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) en a commandé, et j’attends ceux de la FPI nationale, dont une quote-part nous revient. On n’aura jamais trop de masques. Nous allons devoir apprendre à vivre différemment. D’une façon globale, on ne peut pas dire que l’Etat était bien préparé sur cette question. Il y a quelques semaines, personne, du côté de la préfecture, ne semblait savoir ce qu’était un masque FFP2.

Comment envisagez-vous le marché de demain ?

Encore une fois, les fondamentaux d’avant la crise étaient très bons. Les grands travaux d’infrastructure ne vont pas s’arrêter là. Les banquiers ont légèrement augmenté les taux d’intérêt mais ils avaient déjà l’intention de le faire avant la crise sanitaire. Il faut mettre en place quelques mécanismes de dopage de la reprise, par exemple en doublant le prêt à taux zéro (PTZ), ce qui avait été fait en 2009 pour aider les primo-accédants. Ce sont eux qui vont souffrir le plus. Il faudra peut-être également élargir le périmètre des zones où la TVA est réduite à 5,5 %.

Nous sommes en train de travailler sur une plateforme de propositions pour dynamiser le secteur. Nous espérons pouvoir la présenter en fin de semaine au ministre du Logement. Elle devrait inclure aussi une baisse des charges sur les entreprises du bâtiment, ainsi que la prorogation du dispositif fiscal Pinel.

L’éco-campus Orange gardens de Châtillon, construit par Interconstruction. © Jgp

Demandez-vous aux collectivités, comme l’architecte Rudy Ricciotti, d’accélérer l’instruction et la délivrance des autorisations d’urbanisme ?

A part la ville de Paris, les collectivités d’Ile-de-France ne sont pas en ordre de marche pour instruire les permis de construire numériquement. Cela pour trois raisons. Il ne s’agit pas d’un investissement considéré comme prioritaire. Les fonctionnaires territoriaux ne disposent pas forcément du matériel requis. J’ajouterais que les mairies rechignent aussi parfois à dématérialiser l’instruction et la délivrance des documents d’urbanisme, car plus les procédures sont numériques, plus elles répondent à des standards précis. Autrement dit, aujourd’hui, avec le papier, on nous demande des tas de pièces qui ne sont pas obligatoires, et dont nous serions dispensés si nous passions en mode dématérialisé. Par surcroît, nous sommes en période électorale depuis un an, un an et demi. Et cela va durer. Ce qui n’est pas de nature à accélérer les choses, bien au contraire.

Vous redoutez des faillites ?

Les grands groupes sont très solides. Mais les petits promoteurs, dont le compte d’exploitation dépend d’une ou deux opérations peuvent se retrouver dès à présent en grande difficulté. Il peut y avoir de la casse.

Vous pensez que deux France vont s’affronter à la reprise ?

En effet. D’un côté, ceux qui vont mettre l’accent sur la reprise, pour éviter l’effondrement économique, en militant pour la prise de mesures rapides et efficaces. En l’occurrence, le bâtiment et l’immobilier en général représentent une énorme carte à jouer. Il s’agit d’une industrie non-délocalisable. Et face à cela, il y a la tolérance des populations aux travaux qui est de moins en moins importante, la perspective des élections, l’écologie et le « zéro artificialisation nette » mal comprises, parce qu’en réalité, l’Ile-de-France est très économe en artificialisation des sols. Il y a donc des affrontements en perspective, qui pourraient être évités si l’on se tenait à une stricte observation des faits.

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