Les plateformes (Uber, Deliveroo, Getir, etc.), leurs conséquences sur le marché du travail et sur la ville ont animé une des plénières de l’université de rentrée de la gauche parisienne, samedi 3 septembre à Paris. A propos des dark stores, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, s’est dit confiant dans l’issue du conflit qui oppose les grandes métropoles françaises au gouvernement.
« Nous défendons l’innovation, mais pas sa non-régulation », a distingué Emmanuel Grégoire lors d’un débat intitulé : « Plateformes et dark stores : quelle vie et quelle ville voulons-nous ? », organisé dans le cadre de l’université de rentrée de la gauche parisienne, samedi 3 septembre 2022, au Centre international d’accueil et d’échanges des Récollets (10e arr.). Le premier adjoint à la maire de Paris a décrit les trois éléments communs à l’ensemble de ces nouveaux commerces : l’usage de puissants outils numériques algorithmiques « qui cassent la chaine de valeur habituelle », la disponibilité massive de liquidités offerte par la mondialisation de l’économie et l’affranchissement par ces opérateurs des règles du droit commun, du droit du travail et de celles régissant l’espace public ou l’urbanisme.

Barbara Gomes, élu (PCF) du 18e arr. de Paris, et Olivia Polski, maire adjointe au commerce, animatrice de ce débat. © Jgp
« Pourquoi ces groupes échapperaient-ils aux acquis permis par des décennies de lutte, au mépris de notre pacte social ? », a martelé l’élu. Ce dernier a décrit le paradoxe qui veut qu’à quelques exceptions près, aucun de ces acteurs ne réalise des bénéfices, la plupart perdant même des sommes abyssales. « Le modèle économique de ces sociétés n’est pas assis sur la rentabilité de leur activité, mais sur la revente de leurs parts par leurs actionnaires. Dès lors, le dumping est au cœur de leur modèle, sur l’emploi comme sur les prix de vente de leurs produits ou services ».
Sous-locations de licences en cascade
L’élu a décrit les licences ou les vélos sous-loués en cascade et la précarité inédite des livreurs. Après les VTC, puis les meublés touristiques et le free-floating (trottinettes, vélos en libre-service), Paris affronte avec les dark stores et autres dark kitchens une quatrième vague de « plateformisation ». Pour les socialistes parisiens, le « quick commerce » pose un débat sur les modes de consommation et l’intérêt de livraisons express lorsque l’immense majorité des habitants de la Capitale réside à moins de 300 m d’un commerce ouvert jusqu’à 23 h. Emmanuel Grégoire a regretté, en l’espèce, que la France, trop centralisée, soit moins efficace dans la régulation de ces activités que certains de nos voisins, ceux organisés en régime fédéral notamment, qui laissent ce pouvoir aux collectivités territoriales, beaucoup plus réactives que l’Etat. « Il s’est passé quatre ou cinq ans entre l’apparition des trottinettes et l’adoption de la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) », a-t-il illustré.
Le premier adjoint d’Anne Hidalgo s’est dit confiant, concernant les dark stores, d’obtenir du gouvernement qu’il renonce à céder au lobbying de ces opérateurs, qui tentent de faire en sorte que l’ouverture d’un point de collecte suffise à requalifier leurs entrepôts en commerces. Nombre d’entre eux, en effet, installés dans d’anciennes boutiques, n’ont pas demandé à la ville de Paris le changement de destination requis par le plan local d’urbanisme (PLU) dans les zones réservées pour transformer un entrepôt en commerce. Cela offre à la ville une fenêtre de tir pour les verbaliser que le texte préparé par le gouvernement, qui modifierait les règles en la matière, saperait. « Les représentants du gouvernement ont d’abord dit qu’ils étaient d’accord avec nous, puis pas d’accord, puis de nouveau d’accord. Qu’importe. Je suis très confiant dans l’issue de ce dossier, face au lobbying grossier des dirigeants de ces plateformes », a conclu le 1er adjoint.
Un cheval de Troie contre les acquis sociaux
Pour Barbara Gomes, élue (PCF) du 18e arr. de Paris, les entreprises de VTC constituent « un cheval de Troie contre le principe selon lequel le travail donne accès à un statut et à des droits, aux congés payés, à la protection sociale ou à la retraite ». L’élue a dénoncé un « statut toxique », estimant qu’une solution passe par des mesures législatives aboutissant à conférer de droit aux employés des plateformes concernées le statut de salariés. La récente condamnation de Deliveroo à verser 9,7 millions d’euros à l’Urssaf, pour avoir dissimulé 2 286 emplois de livreurs en Ile-de-France entre le 1er avril 2015 et le 30 septembre 2016 a été saluée à plusieurs reprises lors de ce débat. Pour Barbara Gomes, la constance des décisions de la justice française, qui a, à plusieurs reprises, estimé que ces travailleurs étaient des salariés de fait, a permis d’éviter que la France adopte une loi validant au contraire la possibilité de ne pas les considérer comme des salariés, comme l’a fait récemment le Portugal.
Barbara Gomes s’est félicitée de la création par la Ville d’une maison des coursiers à Barbès. Gérée par CoopCycle, une fédération de coopératives de livraison à vélo, elle offre aux livreurs un lieu de repos, mais aussi un accompagnement à la recherche d’emploi. « 50 % des coursiers que nous accueillons sont des sans-papiers », a-t-elle indiqué.
Pour la représentante de la CFDT, ce débat pose la question de savoir si la protection sociale doit être attachée au travail ou bien plutôt à la citoyenneté, « afin de permettre d’autres modèles, qui répondent en effet à une aspiration des consommateurs ». Hocine Yousfi, représentant des chauffeurs de taxi, directeur d’une école de formation, a indiqué que de nombreux chauffeurs de VTC suivaient les formations de son école, désireux d’améliorer leurs revenus. « Uber les écrase », a-t-il affirmé.