D. Versini : « Paris coordonne un élan de solidarité assez extraordinaire »

Dominique Versini décrit les enjeux de la coordination de l’aide alimentaire mise en place par la Capitale. La maire adjointe de Paris chargée des solidarités, de la lutte contre l’exclusion, de l’accueil des réfugiés et de la protection de l’enfance, revient également sur les élans de solidarité qui se multiplient, à l’exemple des restaurateurs, et que la Ville accompagne.

Avec cette crise, de nouvelles populations ne parviennent plus à s’en sortir ?

Cette crise est très violente pour tout le monde. Outre les publics habituels, des personnes qui, en temps normal, arrivent à subvenir tant bien que mal à leurs besoins, bien qu’étant fragiles, qui ont des emplois précaires mais disposent d’un salaire et d’un logement, se retrouvent en grande difficulté. Il s’agit de foyers qui parviennent à vivre notamment grâce aux tarifs des cantines scolaires. Le repas, pour les tarifs les moins hauts, s’élève à 13 centimes d’euros.

Dominique Versini. © Jgp

On ne peut pas préparer un repas à ses enfants avec 13 centimes. Ce n’est pas la même chose de faire à manger matin, midi et soir, que de se limiter à un plat de pâtes le soir, parce que les enfants ont bénéficié d’un repas équilibré le midi. On a vu ces publics, qui sont suivis par nos services sociaux, qui bénéficient d’allocations mais ne vivent pas dans la rue, crier au secours pour leur alimentation, à cause de la fermeture des écoles notamment.

Quels dispositifs avez-vous mis en place pour venir en aide à ces personnes ?

La maire de Paris a décidé le versement d’une aide exceptionnelle d’urgence, qui va de 150 à 250 euros en fonction du nombre d’enfants. Cela concerne 52 000 enfants, soit 20 % des enfants parisiens, soit 28 579 familles, qui sont au coefficient 1, 2, et 3 pour parler le langage des CAF, et qui sont déstabilisées par la fermeture des cantines scolaires. Cette aide a été versée automatiquement par les Caisses d’allocations familiales, en plus des allocations habituelles. Cela représente une somme globale de 3,7 millions d’euros.

En 2014, j’ai réalisé pour Anne Hidalgo, alors en campagne, un rapport sur les enfants en situation de précarité, de vulnérabilité à Paris. Il attestait déjà du fait qu’à Paris, un enfant sur cinq vit dans une famille dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté et qui parvient à trouver un équilibre en temps normal grâce aux aides et dispositifs mis en place (outre les cantines, crèches, loisirs, transports, etc.).

Quelles sont les nouvelles personnes en difficulté à cause du Covid-19 ?

Il s’agit de personnes très diverses, cela concerne des gens qui ne bénéficient pas des plus forts coefficients familiaux mais qui, du fait de la crise, ont perdu leur emploi, ou se trouvent dans l’impossibilité de l’exercer. Je pense par exemple aux intermittents du spectacle, aux CDD en fin de contrat, aux femmes de ménage. Pour ces personnes, le centre d’action sociale de la ville de Paris (CASVP) attribue des aides exceptionnelles, inconditionnelles, sur demande. Cela peut être des aides immédiates. Six services sociaux de proximité, répartis dans tout Paris, sont actuellement ouverts. Et des équipes mobiles se rendent dans les quartiers sensibles pour informer la population sur ces aides.

Couple à la rue. Boulevard de la Madeleine. © Jgp

Vous accompagnez également les familles logées à l’hôtel par le Samu social ?

Le Centre d’action sociale de la ville de Paris accompagne également 1 200 familles logées à l’hôtel, au titre de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Ces foyers bénéficient par ailleurs d’une exonération totale de loyer pour leur chambre et sont aidées à hauteur de 150 euros pour 15 jours. L’Etat attribue de son côté des ticket service, qui sont des bons d’achat de 5 euros par personne et par jour, à l’ensemble des ménages logés dans des hôtels sociaux (plus de 7 300 personnes en famille). Parallèlement, la ville de Paris a mis en place une distribution de paniers repas. Et le produit de nombreux dons des Parisiens est distribué dans ces hôtels. Toutes les crèches de Paris ont donné leurs stocks de couches, de lait, etc.. De grandes marques de lait infantile ont également effectué des dons.

Vous avez mis en place une coordination de l’aide alimentaire ?

Nous avons souhaité, en effet, faire en sorte de ne passer à côté d’aucun public. Au sein de cette coordination figurent l’Etat, la direction régionale et interdépartementale de l’habitat et du logement (Drihl), le Samu social, les services de la ville ainsi que tous les acteurs de la distribution alimentaire : le Secours populaire, le diocèse de Paris, les Restos du cœur, la Chorba, l’Armée du salut, la protection civile, le centre d’action social de la Ville. Nous voulons être sûrs qu’en face de chaque hôtel social, des paniers-repas arrivent. Parallèlement, le Samu social procède à un phoning des familles identifiées comme les plus vulnérables. Et les Restos du cœur ont rouvert leurs six centres dédiés aux familles avec enfants et distribuent 30 000 paniers-repas par semaine, contre 60 000 habituellement.

Préparation des paniers-repas, au Carreau du temple. © Jgp

Au début du confinement, de nombreuses associations de solidarité, souvent composées de personnes âgées, ont temporairement suspendu leurs activités ?

C’est la raison pour laquelle nous avons ouvert des lieux de distribution alimentaire, au Carreau du temple dans le 10°, aux Grands voisins dans le 14° et boulevard Barbès dans le 18°. L’association Aurore y distribue 5 000 paniers-repas par jour. Le diocèse distribue également les paniers-repas que nous lui remettons, dans 26 paroisses qui viennent de rouvrir. C’est très important, car le diocèse apporte une aide de micro-proximité. L’Armée du salut distribue également des paniers-repas dans le nord-est de Paris, en lien avec les collectifs, des associations qui vont dans les campements, les squats, les bidonvilles. Le Centre israélite de Montmartre, la Table ouverte et bien d’autres associations encore distribuent également chaque jour des paniers-repas. Au total, ce sont 17 000 repas qui sont ainsi distribués chaque jour, contre 11 000 en temps normal.

Vous travaillez aussi avec Refettorio ?

Cette association, située dans la crypte de l’église de la Madeleine, prépare actuellement 2 500 repas par jour, et va monter jusqu’à 5 000. Ses bénévoles récupèrent les invendus de Rungis. Intermarché leur a donné l’ensemble des produits de base nécessaires, farine, pâtes, féculents. Et ils ont trouvé quelque 80 restaurateurs, dont les établissements sont fermés, mais dont les chefs préparent, bénévolement, grâce aux aliments livrés chaque jour par l’association, des repas distribués ensuite aux bénéficiaires par le Secours populaire, qui les redispatchent dans les hôtels du Samu social. Le principe est que le restaurateur fait un repas avec ce qu’il trouve dans le panier qui lui a été livré. Refettorio a été créée par Jean-François Rial, qui est le fondateur de Voyageurs du monde, avec l’artiste JR. En temps normal, il s’agit d’un restaurant, situé sous la Madeleine, qui accueille des clients traditionnels le midi et prépare chaque soir 80 repas pour des sans-abri. Comme le restaurant est fermé, ils sont venus me voir pour me proposer de donner 80 repas par jour aux associations. Je leur ai dit merci, et leur ai indiqué aussi que nous avions des milliers de personnes dépourvues de revenus, dans les hôtels. Ils se sont donc fixé comme objectif d’aller jusqu’à 5 000. C’est assez extraordinaire.

Vous lancez également l’opération « paniers essentiels » ? 

Olivia Polski, adjointe à la maire au commerce, à l’artisanat, aux professions libérales et indépendantes, et Colombe Brossel, adjointe à la maire chargée notamment des quartiers populaires, pilotent une autre action. Elle est destinée à des familles qui ne sont pas habituellement dans nos radars, et qui souffrent notamment de la fermeture des marchés alimentaires, dont certains offrent des prix défiant toute concurrence. Les gens pourront ainsi recevoir un panier de fruits et légumes frais, à 20 euros pour 10 kg, soit des prix encore plus bas que ce qu’elles pouvaient trouver au marché. Les familles de coefficient 2 et 3 sont plus particulièrement visées.

Chaque semaine de confinement supplémentaire accentue les difficultés pour les plus fragiles ?

Ce que l’on voit, en effet, c’est que chaque semaine qui passe fait apparaître des personnes qui n’étaient pas, jusqu’à présent, suivies par les services sociaux, qui ne venaient pas dans les distributions alimentaires. Qui s’en sortaient. La fermeture des écoles a été terrible pour les familles. Il va falloir voir comment on avance maintenant, car cette crise va durer.

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