Urgence sociale : une solidarité protéiforme, des besoins durables

La distribution alimentaire constitue l’urgence actuelle, pour des foyers à court de ressources, dont le nombre augmente proportionnellement à la durée du confinement. La solidarité, protéiforme, s’organise. Mais élus locaux, responsables et bénévoles associatifs s’inquiètent pour la suite.

« Nous nous inquiétions déjà avant la crise sanitaire », indique Eric Constantin. Le directeur Ile-de-France de la Fondation Abbé Pierre cite les mauvais chiffres de la construction de logements sociaux dans la région, bien en dessous des objectifs planifiés. « Alors que la loi égalité citoyenneté fixait à 25 % la part des attributions de logements sociaux réservés aux ménages les plus modestes, elle ne s’élève aujourd’hui qu’à 9 % », ajoute-t-il.

Eric Constantin, directeur Ile-de-France de la Fondation Abbé Pierre. © DR

Le confinement pénalise au premier chef les nombreux foyers qui vivent avec leurs enfants dans des logements insalubres, parfois dangereux pour leur santé et leur sécurité, rappelle-t-il également.

Urgence alimentaire

En Ile-de-France, 43 000 personnes sont logées par le Samu social dans des hôtels. Nombreux sont sans ressources. Et les associations qui assuraient, avant la crise sanitaire, une distribution de repas en leur faveur, avec des personnels largement composés de retraités, ont pour la plupart suspendu leurs tournées. L’urgence alimentaire constitue donc la priorité actuelle des pouvoirs publics (Etat et collectivités) et des associations.

Gaspard Tiné, un des fondateurs de la Pépinière, une coopérative d’Aubervilliers, implantée dans la ferme Mazier. © Jgp

« Des familles monoparentales, avec plusieurs enfants, se sont retrouvées rapidement à court de ressources, constate Gaspard Tiné, un des fondateurs de la Pépinière, une coopérative d’Aubervilliers, implantée dans la ferme Mazier, qui assure des distributions alimentaires 2.0, avec un collectif d’associations locales (voir ci-dessous). Ce n’est pas pareil de devoir cuisiner pour toute la famille ou de bénéficier d’un repas par jour à la cantine pour 60 centimes », résume-t-il.

Perte soudaine de ressources

L’explosion des besoins d’aide alimentaire provient de la perte soudaine de ressources de toute une partie de la population. Celle tirant habituellement ses revenus de travaux d’intérim ou de petits boulots non déclarés, sur les marchés alimentaires par exemple, ou de la mendicité, qui ne fait plus recette quand les rues sont désertes. Au Carreau du Temple, à deux pas de la place de la République à Paris, Nicolas Hue, directeur d’activités centre sud-est de Paris chez Aurore, en charge de ce site, indique que des étudiants pauvres ou des retraités, par exemple parce qu’ils ne peuvent plus se rendre en hypermarchés, figurent également parmi les bénéficiaires de l’aide alimentaire mise en place.

Préparation de sacs-repas par l’association Aurore au Carreau du temple. © Jgp

Aurore, mais aussi le Samu social ou la Fondation Abbé Pierre, ces structures, traditionnellement centrées sur l’aide à l’hébergement, se sont mises à l’aide alimentaire dès les premiers jours du confinement. « En plus d’une évaluation sociale et sanitaire, nos équipes de maraude distribuent désormais aux personnes sans solution d’hébergement des paniers-repas confectionnés par des restaurants solidaires du centre d’action sociale de la ville de Paris », explique-t-on au Samu social de la Capitale.

Ticket service

Après quelques jours de flottement, les pouvoirs publics ont également rapidement compris l’urgence. A l’instar de l’Etat, qui a distribué des centaines de milliers d’euros en ticket service, bons d’achat attribués sur le terrain par les associations. Le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a rouvert l’une de ses cuisines centrales, pour préparer chaque jour désormais près de 5 000 repas, livrés à une quinzaine d’associations, telles que la Pépinière à Aubervilliers ou la Croix-Rouge française à Saint-Denis. Younès Gasmili, bénévole au sein de l’antenne dionysienne de la Croix-Rouge, constate des demandes exponentielles de colis alimentaires, avec un bouche-à-oreille qui aboutit à ce que toutes les demandes ne puissent être satisfaites certains jours.

Younès Gasmili, bénévole au sein de l’antenne dionysienne de la Croix-Rouge. © Jgp

A Clichy-sous-Bois, Olivier Klein salue la mobilisation des préfectures, au niveau départemental et régional. Il note que les aides accordées aux plus fragiles, les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) notamment, vont dans le bon sens. « Mais il faudra aller plus loin », estime le maire clichois. Pour lui, la suspension des loyers et la prolongation de la trêve hivernale jusqu’à fin mai est une bonne chose, mais elle doit être prorogée d’un an. Le président de l’Anru estime par ailleurs que c’est le moment de financer de nouveau des emplois aidés.

Un sursaut collectif attendu

Si, aujourd’hui, la suspension de l’activité des tribunaux évite à certains locataires de se retrouver à la rue, la difficulté rencontrée pour trouver un interlocuteur disponible dans de nombreux guichets administratifs laisse aussi de nombreuses personnes démunies. A la Fondation Abbé Pierre, Eric Constantin espère également un sursaut collectif pour davantage de solidarité. Il cite les difficultés rencontrées là où le maillage associatif se distend, à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains.

Il évoque aussi le cas des prostituées, privées de toute ressource, confinées souvent dans leurs chambres de misère. Il évoque le plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement qui n’a jamais vu le jour, et une construction métropolitaine qui n’a pas permis d’atteindre les objectifs de la loi du 3 avril 2010, relative au Grand Paris, qui fixait le rééquilibrage et une solidarité territoriale accrue comme un de ses objectifs cardinaux.

L’Etat en soutien aux campements, squats et bidonvilles

Afin d’assurer la protection sanitaire et de fournir des moyens de subsistance élémentaire des populations les plus précaires et les plus démunies face à l’épidémie, les services de l’Etat en Ile-de-France, en partenariat avec les collectivités locales et plusieurs associations, se sont mobilisés à l’égard des populations vivant à la rue, et notamment dans les bidonvilles, campements illicites et squats.

En application des instructions gouvernementales, le préfet de région coordonne avec les préfets de département l’action de l’Etat en lien avec les opérateurs et les associations sur le terrain, notamment son opérateur Acina. Ces associations signalent aux services de l’Etat et aux mairies les situations les plus vulnérables.

L’action porte sur trois axes :

  • garantir l’accès à l’eau potable et pour l’hygiène sur tous les sites ;
  • fournir des moyens de subsistance alimentaire et d’hygiène de base aux occupants ;
  • assurer une surveillance sanitaire et une prise en charge des personnes touchées par le Covid-19.

Pour assurer l’aide alimentaire des familles dans les 120 campements identifiés en Ile-de-France en période de confinement, la préfecture de région a mobilisé 1,7 million d’euros en ticket service, distribués par la Croix-Rouge directement à 38 000 personnes vulnérables. Initialement réservés aux personnes hébergées à l’hôtel ne pouvant se rendre dans un lieu de distribution alimentaire, ce dispositif a été élargi aux occupants des bidonvilles et squats, qui n’avaient plus aucun moyen de subsistance. En complément de ces mesures, un nouvel effort financier permettant à 20 000 personnes de bénéficier de ticket service a été décidé, indique également la préfecture.

Sur le même sujet

Top