« L’insuffisante « complicité » entre les habitants ou plus globalement la société civile locale et les municipalités, qu’exprime le fait que cette dernière n’a été choisie que par un habitant sur dix, n’est pas propice à la mise en œuvre des politiques publiques locales », estime Dominique Giry, président du conseil de développement du Val-de-Marne, dans une tribune.
On a souligné, et c’était une évidence éclatante, le taux d’abstention lors de ce scrutin municipal : 58,4 %. Il est en effet considérable et il n’est pas que la conséquence des circonstances exceptionnelles qui ont marqué ces élections. C’est malheureusement une tendance lourde, que l’on regrette un peu plus chaque nouveau dimanche électoral. Il traduit notamment le sentiment chez beaucoup que l’action des élus ne peut pas (plus) – ou ne veut pas – apporter les réponses aux défis de notre temps, notamment dans un contexte comme celui de l’agglomération parisienne et de la globalisation, où les espaces de vie et ceux de l’action publique locale ne se recoupent plus, ou guère.
Mais je voudrais m’arrêter sur un autre chiffre : le pourcentage des inscrits qui a fait l’élection des maires élus ou réélus : autour de 15 ou 20 % dans le meilleur des cas, parfois moins en cas de triangulaire ou de quadrangulaire. De façon remarquable, on retrouve ce même pourcentage quel que soit le résultat obtenu par le vainqueur de l’élection, qu’il soit juste (une victoire avec tout juste 50 % des votants) ou large (à 60 ou 70 %).
En fait, c’est à peine plus d’un habitant sur dix qui est allé voter pour le maire, si on intègre tous ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Ils sont nombreux dans notre agglomération parisienne où les inscriptions sur les listes ne suivent pas toujours le rythme des déménagements qui ont lieu au fur et à mesure des étapes des parcours de vie. Nombreux aussi, dans notre ville-monde, sont les habitants qui n’ont pas encore le droit de vote.
Un sur dix, ce n’est vraiment pas beaucoup.
Ce n’est pas qu’un désamour regrettable entre les citoyens et les institutions de notre République, c’est une problématique majeure pour les territoires et un danger pour notre démocratie.
« La légitimité des élus n’est pas en cause »
Bien entendu, la légitimité des élus n’est pas en cause, cependant cette faible participation a deux conséquences lourdes.
L’insuffisante « complicité » entre les habitants ou plus globalement la société civile locale et les municipalités, qu’exprime le fait que cette dernière n’a été choisie que par un habitant sur dix, n’est pas propice à la mise en œuvre des politiques publiques locales, surtout dans le contexte de l’indispensable et exigeante transition écologique, environnementale et sociale. Les politiques de transition, pour faire face aux principaux défis planétaires, nécessitent pourtant la compréhension partagée des enjeux ainsi que la mobilisation conjointe des citoyens, des associations, des entreprises et des institutions élues. Cette mobilisation collective est la condition pour innover, pour permettre le changement de certaines pratiques, pour envisager autrement le développement territorial… En dépit des meilleures intentions, ces politiques de transition ne pourront être mises en place sans l’implication et l’adhésion du plus grand nombre. Nous sommes devant le risque d’une incapacité à avancer sur les grands défis que nous devons relever.
Cette faible participation crée aussi de l’instabilité dans nos institutions locales et rend possible des « prises de pouvoir » par des regroupements hétéroclites et de circonstance ou par des phénomènes communautaires. C’est une vraie menace pour notre démocratie locale.
Nous devons ainsi mettre au tout premier rang de notre agenda cet enjeu de la participation. A mon sens, cela passera par tout ce que nous pourrons entreprendre pour rendre nos concitoyens plus et mieux parties prenantes de leur Ville. Favoriser une « citoyenneté active » est certainement le meilleur chemin pour favoriser le retour aux urnes. Il impliquera une révolution copernicienne dans nos façons de penser la fabrique des territoires. La « démocratie participative », les formes multiples et variées d’association et de consultation des citoyens, sont nécessaires et doivent être améliorées. Mais cela ne suffit plus.
« Revivifions la citoyenneté »
Reconnaissons un fait : les mutations du « territoire » sont de plus en plus le produit des projets des acteurs économiques et sociaux et de leurs interactions, avant d’être le résultat des politiques publiques conduites par les collectivités. Cela va du rôle joué par de grands opérateurs économiques (comme les entreprises du numérique, du e-commerce…) à celui exercé au plan local par de nouveaux entrepreneurs (souvent innovants), par le tissu associatif ou encore par des collectifs d’habitants, réunis pour un jardin partagé, une accorderie locale, un projet coopératif d’énergie solaire…. Ils sont de plus en plus les initiateurs ou les moteurs des transformations des territoires, indépendamment des impulsions données par les collectivités publiques.
Revivifions la citoyenneté à partir de ces réalités et de ces engagements ; repensons le rôle et les modalités d’intervention des collectivités autour de ces dynamiques ; trouvons collectivement les formes qui permettront à tous ces citoyens et à tous ces acteurs non seulement de poursuivre leur engagement mais de se considérer pleinement et à nouveau parties prenantes de la cité. Je crois que c’est ainsi que nous réduirons le fossé entre les citoyens et les élus et ce désamour démocratique.
Dans cette quête, le Codev du Val-de-Marne est une expérience. C’était un pari fou. Avec quelques autres, chefs d’entreprises, responsables de l’Université Paris Est Créteil, partenaires sociaux, acteurs culturels…, nous avons dit : « nous voulons être parties prenantes ». Je salue la hauteur de vue des Préfets successifs et de tous les élus – de toutes tendances politiques -, en premier lieu desquels le président du Conseil départemental, qui ont accueilli avec bienveillance cette initiative. Ainsi, depuis 20 ans, nous coconstruisons avec les élus et cela a contribué à renforcer notre lien à tous avec notre Département. Cela a produit, à notre échelle, des résultats tangibles et reconnus.
Nous devons poursuivre et réinventer sans cesse nos modes de faire pour amplifier encore cette expérience mais aussi la démultiplier dans toutes les villes. Nous nous saisirons de cet enjeu et nous ferons collectivement des propositions lors de la prochaine convention annuelle du Conseil de développement du Val-de-Marne, à l’automne 2020. La démocratie est trop précieuse. La société civile avec les élus ne peut rester sans agir.
Il y va de notre capacité à faire vivre les territoires et notre démocratie.