« Logement, vous avez dit choc d’offre ? » Tel était le thème du Forum économique du Grand Paris organisé par Le journal du Grand Paris et La Tribune, en partenariat avec Tagerim et BNP Paribas, le 27 octobre 2017 à la Maison des travaux publics. Acteurs du foncier, de l’immobilier, du logement social ou du monde associatif ont apporté leurs témoignages et leurs pistes de réflexion.
Pour lutter contre le manque de logements, Emmanuel Macron avait vanté, au cours de la campagne présidentielle, l’intérêt d’un choc d’offre à travers une libération massive du foncier pour accélérer la construction de logements. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la stratégie logement présentée le 20 septembre dernier par Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, et Julien Denormandie, secrétaire d’Etat auprès de ce dernier, contienne une série de mesures visant à provoquer ce choc.
Des mesures fiscales, d’une part, exonérant notamment de taxe sur plus-values les cessions de foncier réalisées avant 2020, mais aussi la concentration de mesures fiscales incitatives (dispositif Pinel) dans les zones tendues, conjuguées avec l’annonce d’allègements normatifs, relatifs aux obligations d’accessibilité notamment. Sans oublier une baisse des aides personnalisées au logement (APL), qui n’en finit pas de provoquer des remous et qui fit l’objet d’une table ronde dédiée.
En ouverture des débats, Robin Rivaton, directeur général de Paris région entreprises (PRE) et auteur de « L’immobilier de demain », a notamment mis en garde contre les « étiquettes » que l’on pourrait apposer au secteur de l’immobilier, notamment « celle de l’immobilisme, touchant l’inconscient des pouvoirs publics, qui seraient tentés d’y voir de la rente ».
Plutôt qu’un choc d’offre, Robin Rivaton, inventeur du « real estech », appelle à « un choc de l’innovation ». « Le secteur de l’immobilier connaît depuis plusieurs années de multiples ruptures dues à des innovations trop souvent méconnues », considère-t-il en substance.
Choc d’innovation
A l’image des innovations présentées lors de ce Forum par plusieurs start-uppers. Benjamin Delaux a, par exemple, présenté Habx, qu’il a fondée et préside aujourd’hui. Le concept, une plateforme biface qui « permet de façon dynamique de mettre en perspective la capacité des opérateurs et la demande des particuliers en matière de logement ». Habx donne au futur propriétaire le « pouvoir d’influer sur le programme des opérateurs, en amont de leur réalisation ». Cela avec un prix garanti inférieur au marché classique de la promotion, compte tenu notamment des économies réalisées sur les coûts de publicité.
Pierre-François Gouiffès, auteur du livre « Le logement en France », a insisté de son côté sur la double dimension du logement à travers ses dynamiques économique et sociétale. Sociétale, dans le sens où le logement constitue « une base dans une société qui s’est sédentarisée », l’élément d’une « dynamique statutaire » et une preuve de « dignité sociale ». Tous ces besoins souvent marqués par l’urgence, se confrontent à un « secteur à cycle très lent « , a rappelé le maître de conférences à l’IEP de Paris. Ce dernier a notamment fustigé « un tombereau de normes dans tous les sens, une loi logement qui change quasiment tous les deux ans […] un secteur HLM totalement administré, représentant un logement sur cinq en France ».
Alléger les normes
Différents acteurs de l’immobilier ont ensuite décrit leur regard face à la stratégie logement du gouvernement. A commencer par Olivier Bokobza, directeur général de BNP immobilier résidentiel, qui a déploré la surincidence d’opérations retoquées, rappelant que « de 30 à 40 % » des demandes de permis de construire font l’objet d’un recours.
Parmi les contraintes, les acteurs de l’immobilier ont été nombreux à pointer notamment l’aboutissement tardif de la délivrance des permis de construire, quand ces demandes ne sont pas tout simplement refusées lors de commissions plus ou moins formelles organisées en amont de leur dépôt. Ce qu’atteste Hervé Puybouffat, président de Tagerim : « On peut disposer d’un grand nombre de terrains, mais s’ils ne donnent pas lieu à des permis de construire, on ne pourra pas créer de choc d’offre ».
Le directeur général d’Icade, Olivier Wigniolle, a estimé également qu’une simplification des normes « permettra de réduire quelque peu les coûts, mais n’aura pas forcément d’impact sur l’offre ». En référence au précédent gouvernement, où se sont succédé Cécile Duflot, Sylvia Pinel et Emmanuelle Cosse au ministère du Logement, il espère avec le gouvernement d’Edouard Philippe « passer d’une méthode coercitive à une méthode de négociation Etat-collectivités ».
Projet partenarial d’aménagement
Si le choc d’offre paraît encore lointain pour certains, plusieurs intervenants semblant attendre davantage un choc de la demande, Marc Villand, à la tête d’Interconstruction, s’est montré plus optimiste. Pour lui, « ce choc a déjà commencé il y a deux ans. En Ile-de-France, 80 000 logements ont été mis en chantier, 400 000 à l’échelle nationale, nous avons retrouvé des niveaux de production que nous n’avions plus depuis presque dix ans ». Même s’il admet, « qu’il y a des maires malthusiens », il faut cependant « une gouvernance régalienne de l’Etat si l’on veut faire de l’immobilier ».
Plusieurs intervenants ont évoqué la naissance du projet partenarial d’aménagement (PPA), dont les modalités d’usage devraient être prochainement précisées. Le PPA, rappelait-on, constitue une des mesures de la stratégie logement du gouvernement. Il s’agit d’un contrat de partenariat entre personnes publiques, entre l’Etat, un établissement public de l’Etat et les collectivités intéressées, définissant les objectifs, les modalités, la gouvernance d’une grande opération d’aménagement, soutenue par les incitations financières, les investissements privés, voire de la fiscalité au profit des collectivités.
« Si l’on veut libérer du foncier, il y a une priorité massive que le gouvernement semble avoir prise en compte dans ce qui nous est connu du projet de loi logement, c’est l’exonération des plus-values en cas de vente de terrains par les particuliers comme par les entreprises pour les cessions de terrains effectuées dans un but de construire, a rappelé Me Pascal Chassaing, président de la chambre des notaires d’Ile-de-France. Cette exonération temporaire doit être très significative quel que soit l’objet social ou non social de la construction, qu’il est d’ailleurs très difficile de déterminer « , a-t-il poursuivi.
Pascal Chassaing a évoqué également le droit de partage « qui a été très fortement accru en 2011 puisqu’il représente depuis cette période 2 % de la valeur des biens « . « Le partage intervient principalement en cas de divorce ou de succession. Les redevables sont dans l’impossibilité très souvent de le payer, ou en tous cas ne le supporterait pas. Cela entraîne la multiplication des indivisions et également un phénomène de rétention des terrains, a-t-il exposé. Je suis persuadé, nous l’avons écrit à de nombreuses reprises, que le retour des droits de partage à un niveau acceptable – par exemple 1 % -, n’entraînerait aucune dépense fiscale car beaucoup d’indivisions valorisées se dénoueraient, mais au contraire libérerait beaucoup de propriétés à l’avenir « , considère le président de la chambre des notaires d’Ile-de-France.
Guillaume Pasquier (La Française) a décrit notamment les propositions récemment formulées par Paris-Ile de France Capitale Economique en vue d’une incitation à la transformation de bureaux en logements.
Les membres du groupe de travail de Paris-Ile de France Capitale Economique (PCE), animé par Xavier Lépine ont voulu en effet s’attaquer à la question en levant les blocages techniques, réglementaires et économiques qui freinent ou empêchent ces mutations. » Les mesures préconisées permettraient d’injecter rapidement sur le marché plusieurs millions de mètres carrés de logements « , a notamment fait valoir Guillaume Pasquier.
Les bailleurs sociaux remontés
Avec la baisse de cinq euros par mois des APL, et la demande d’Emmanuel Macron aux bailleurs sociaux d’effectuer une réduction de 60 euros sur les loyers, les bailleurs sociaux s’inquiètent quant à leur avenir, et leur capacité à faire perdurer le modèle français du logement social né dans les années 1970. Un recours déposé devant le Conseil d’Etat pour obtenir le suspension du décret de réduction des APL, a été rejeté le jour même du Forum.
Jean-Luc Vidon, président de l’Union sociale pour l’habitat d’Ile-de-France (Aorif), dit ne pas comprendre « pourquoi on fait peser sur les bailleurs sociaux, donc sur les locataires, la compensation d’une aide qui relève de la solidarité nationale, dans un but de réaliser des économies sur le déficit public ». Il l’assure, « le mouvement HLM n’est pas opposé à la réduction des dépenses publiques, mais pas de cette façon ». Et le président de l’Aorif de regretter « une décision prise unilatéralement, sans consultation préalable, avec un impact dès 2018 sur les bailleurs sociaux, dans la gestion de leur patrimoine et du maintien de l’entretien et de la qualité des services ».
Lors de sa récente interview télévisée, Emmanuel Macron ne s’était pas montré tendre envers des organismes de logements sociaux, qui seraient trop nombreux sur le territoire national, et dont certains, disposeraient d’une trésorerie opulente. « On ne peut pas prétendre que le mouvement HLM serait riche parce qu’il est bien géré. Certes, nous disposons de ressources, mais nous sommes aussi très endettés, et nous empruntons sur le long terme », se défend Jean-Luc Vidon.
Mal-logement
Cette réduction des allocations logement, Abraham Johnson, le président du groupe Valophis, « la vit mal ». De ses premiers calculs, il estime un manque à gagner de « dix millions d’euros par an » et craint, à terme, « la disparition du logement social » qui tombera « dans les bras du marché ».
« Si nous dégradons nos prestations auprès des locataires, les pouvoirs publics en la personne des maires et des présidents de département nous tiendront pour responsables d’un modèle qui s’effrite », craint-il notamment. Le gouvernement a proposé à ces acteurs une compensation financière par plusieurs pistes, notamment un accès facilité au crédit. « Ces mesures sont prises en compte et étudiées sérieusement, nous ne les rejetons pas […] mais elles sont insuffisantes car l’impact immédiat de la baisse des APL aura raison des offices HLM avant même qu’ils ne tirent profit de ces mesures de compensation », prévient le président de Valophis.
Enfin Eric Constantin, directeur de l’Agence régionale Ile-de-France de la Fondation Abbé Pierre, a regretté une vision gouvernementale lui paraissant à l’opposé des besoins en construction de logements, notamment très sociaux, rappelant les chiffres insupportables du mal-logement dans la région la plus riche d’Europe.