Développement autour de la blockchain d’un pass Navigo pour migrants, soutenabilité énergétique, accès des femmes aux services médicaux, le directeur général de Paris-Ile de France Capitale économique Alexandre Missoffe décrit les innovations découvertes à Istanbul. Il souligne aussi l’intérêt des Stambouliotes pour le Grand Paris, notamment la démarche des appels à projets tels qu’ »Inventons la métropole du Grand Paris ».
Vous êtes en ce moment à Istanbul où vient de s’achever le séminaire de coopération entre la Métropole d’Istanbul (IMM) et Paris-Ile de France Capitale Economique. Comment ce projet est-il né ?
Comme souvent, c’est un enchaînement de petits pas qui nous a fait cheminer vers un but que nous ne pressentions même pas au commencement. Une conférence en ligne que nous a proposé Business France Turquie en a amené une autre, puis a abouti à un séminaire en visio sur le Grand Paris. Le contact était établi. Avec nos interlocuteurs côté Istanbul nous avons ainsi continué à échanger jusqu’au moment où l’intérêt de dialogues et d’échanges « pour de vrai » est devenu une évidence.
Pourquoi avez-vous choisi Istanbul ?
Istanbul est une ville qu’on connaît, bien sûr, par son histoire et son patrimoine exceptionnel, mais c’est aussi une capitale économique qui représente 30 % du PIB du pays (soit exactement la même proportion que le Grand Paris pour la France !) une métropole jeune et dynamique, une place d’échanges essentielle dans les circuits économiques mondiaux et un territoire de 15 millions d’habitants confronté à des défis urbains considérables !

Alexandre Missoffe. © Jgp
Quelles sont les différences les plus notables ?
Nous n’avons, ni la même géographie, ni la même économie et nos structures de gouvernance sont différentes. Mais c’est justement ce qui fait l’intérêt du dialogue et du partage ! Les projets de transport stambouliotes, leur évaluation socio-économique et leur financement éclairent différemment les lignes du Grand Paris express ; et les actions d’Istanbul pour développer une image attractive nous conduisent à réfléchir à notre propre « récit ». Et puis, Istanbul se retrouve « en première ligne » sur un certain nombre de sujets pour lesquels nous serions bien inspirés d’analyser son expérience.
Lesquels ?
Je pense en particulier au transport public fluvial, passionnant dans son interopérabilité, mais aussi aux funiculaires et aux téléphériques urbains et leur intégration dans les schémas de transport globaux. Je pense à la soutenabilité énergétique des métropoles et à leur approvisionnement dont nous avons beaucoup discuté. Je pense à l’initiative de la ville d’Istanbul pour les services médicaux aux femmes, initiative autour de laquelle le Cercle des Femmes du Grand Paris pourrait s’impliquer…
Mais l’exemple le plus évident serait sans doute lié à la question des migrants. Par sa position géographique, le territoire d’Istanbul accueille aujourd’hui environ deux millions de migrants. Cet afflux incroyable a conduit la métropole à innover. Par exemple en développant, autour de la blockchain, un système de carte personnalisée qui serait un peu l’équivalent de notre Navigo, mais qui permet à son détenteur d’avoir accès aux transports, mais aussi à des systèmes de soins et d’aides alimentaires… ils n’ont pas encore de papiers d’identité, mais ils ont déjà une carte d’identification avec des services de la ville liés.

« Les projets de transport stambouliotes, leur évaluation socio-économique et leur financement éclairent différemment les lignes du Grand Paris express », indique Alexandre Missoffe. © DR
Et du côté du Grand Paris, quels étaient les points les plus pertinents pour les stambouliotes ?
L’apprivoisement du rapport au temps dans les projets urbains a été source d’échanges particulièrement intéressants. Le Grand Paris est un modèle exceptionnel en cela. Dès la loi de 2010, nous avons érigé en principe d’action la maxime qui veut qu’on se fixe des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue tandis qu’on marche vers eux. La création d’un « special purpose vehicule » pour conduire le chantier transport, la mise en place d’un modèle de financement dédié, des compétences spécifiques ont préservé jusqu’à présent le Grand Paris de la maladie fatale à tant de grands projets urbains : la langueur. Mais il ne faut jamais baisser la garde. A l’heure ou Istanbul prépare son projet Istanbul 2050, cette question de la dynamique sur le temps long est primordiale.
Quelles actions concrètes a le plus retenu l’attention de Stambouliotes ?
Le modèle des appels à projets « Inventons la métropole du Grand Paris » a, en particulier, suscité beaucoup d’intérêt, par l’originalité et l’ampleur des résultats obtenus grâce à l’initiative de la métropole du Grand Paris. C’est de l’ingénierie de projet mais c’est très concret. Celui de la valorisation des déblais de chantier et de l’exigence de performance environnementale également. La présentation faite à ce sujet par Guillaume Pasquier, directeur du développement de ECT, a été très commentée. De même que celle de Xavier Lépine sur le logement abordable pour tous ou l’intervention de Bertrand Lemoine sur l’originalité du modèle de l’Atelier international du Grand Paris. Ils ont pu revenir en détail sur les mécanismes de maîtrise du coût du foncier et des enchevêtrements de domaines de compétence. Le haut niveau de technicité des chantiers du Grand Paris express, de leur insertion dans des environnements urbains denses et complexes ont, aussi, été beaucoup discutés.

La délégation de Paris-Ile de France économique au complet. © DR
Istanbul, plus particulièrement, est confronté à ces enjeux ?
Mais non, Istanbul n’est pas une exception ! Loin de là ! Dans presque toutes les grandes métropoles du monde, les équipes opérationnelles sont ou seraient intéressées par avoir une plateforme de dialogue sur le Grand Paris ! C’est dans ce sens que nous avions transformé dès 2018 notre Forum Grand Paris en Forum des global city makers ouvrant sur chaque thème un dialogue avec des métropoles étrangères. Le Grand Paris doit être La vitrine des savoir-faire de la France pour la ville durable. Point. Nous avons des leaders mondiaux et une tradition reconnue dans les travaux publics, le ferroviaire, l’énergie, l’architecture, le bâtiment, les réseaux, les matériaux, la santé… Saisissons résolument l’occasion du Grand Paris (le genre d’occasion qui ne se présente qu’une fois par siècle) pour leur permettre d’exprimer le meilleur.
Qu’est-ce qui nous manque pour y parvenir, est-ce que ce n’est pas cette difficulté qu’on évoque souvent, des Français qui ne savent pas « chasser en meute » ?
Je ne crois pas que ce soit cela le problème. Sur ce cas précis, le consul général a été d’un soutien et d’un appui précieux, la direction du trésor, Business France, l’Agence française de développement aussi se sont mobilisés dans un parfait « esprit d’équipe ». Du côté de la délégation Grand Paris, tant les entreprises que les établissements publics et les collectivités se sont fortement impliqués pour assurer le succès de cette mission.
Ceci dit, il est vrai que nous, Français, sommes parfois desservis par notre esprit volontiers critique. Mais le phénomène n’est pas nouveau. Dans un très beau texte sur le Grand Paris que nous avons republié récemment dans nos « Cahiers de l’Attractivité », Voltaire lui-même, il y a 280 ans de ça, disait déjà « le préjugé, qui s’effarouche de tout, la contradiction, qui combat tout, diront que tant de projets sont trop vastes et d’une exécution trop difficile, trop longue. On se décourage quand on songe à ce qu’il en coûtera pour faire ces grands travaux, dont la plupart deviennent chaque jour indispensables, et qu’il faudra bien faire à la fin, quoi qu’il en coûte ».
Y aura-t-il une suite à ce projet ?
Bien sûr… et très prochainement ! Nous travaillons déjà avec nos amis de l’Istanbul Investment agency, sur la visite prochaine à Paris des différents départements techniques et des représentants de la métropole des rives du Bosphore. Il faudra leur montrer, non pas sur plan mais sur le terrain, ce que nous sommes en train d’accomplir et de préparer à cette occasion établir des coopérations solides et durables.