« La crise du Covid ne questionne pas tant notre capacité d’anticipation que notre faculté d’adaptation », estime Alexandre Missoffe. Le directeur général de Paris-Ile de France Capitale Economique décrit le rapprochement qu’il a initié pour, parmi les métropoles partenaires et le Grand Paris, recenser les initiatives fertiles qui seront au cœur de la 3e édition du Global Cities makers forum, organisé au printemps prochain.
En quoi la crise du Covid impacte l’action de Paris-Ile de France Capitale Economique ?
De toute évidence, la période est à la prudence dans les implantations et le développement des entreprises à l’international. L’incertitude sur l’environnement économique, ou plutôt l’attentisme qu’elle engendre, en est la cause bien davantage que les mesures de précautions sanitaires et les limites sur les déplacements. Si la plupart des projets préalablement lancés se poursuivent tant bien que mal, le flux des nouveaux est évidemment ralenti et sans doute faudra-t-il attendre au moins 2022 pour que l’attractivité retrouve ses niveaux des dernières années.
Que faut-il faire alors ? Attendre ?
Au contraire ! Ce grand chamboule-tout, en ouvrant le jeu, libère de nouvelles opportunités. « Mon centre cède, ma droite recule. Situation excellente, j’attaque », disait le Maréchal Foch. Nous appuyant sur les atouts de la région capitale, nous menions jusqu’à lors une guerre de position. Les circonstances nous poussent à évoluer vers une guerre de mouvement et à multiplier les fronts. C’est-à-dire en la circonstance les angles de communication et en premier la perspective des échelles de territoires.
Qu’est-ce à dire ?
La compétition entre les métropoles européennes ne doit pas masquer la solidarité de fait qui nous lie dans l’attractivité. Le premier atout de Paris c’est sa position de plateforme européenne. Si l’Europe baisse, l’attrait de sa plateforme descend en proportion. Et inversement, le Grand Paris sera d’autant plus attractif que les métropoles européennes le seront. Or justement, dans le monde tel qu’il s’organisera au sortir de la crise, nous avons une image commune à défendre et un discours commun à porter. Une marque « Métropoles européennes » à construire.
Laquelle ?
Celle des territoires de la vieille Europe qui, en ces temps d’incertitude absolue, créent la confiance sur des destinations d’investissements éprouvées. La diversité des activités et la robustesse d’un tissu économique, tissé par 2 000 ans d’échanges européens y participent évidemment. Mais intervient aussi « une certaine idée » de la qualité de vivre qui fond, dans un même creuset, travail, loisirs, culture, sport, etc. Le nouveau défi de l’attractivité pourrait être d’ancrer un branding commun des métropoles européennes et d’associer à cette image ces valeurs, qui certes ne sont pas singulières à l’Europe, mais que l’Europe a singulièrement développées !
Comment y parvenir ?
Dès le mois d’avril, Paris-Ile de France Capitale Economique s’est rapproché de ses interlocuteurs dans les grandes métropoles européennes pour élaborer un message commun face à la crise. Nous avons travaillé sur un rapport qui recense et présente les réponses de nos territoires respectifs en trois temps : amortir le choc, relancer l’économie, mais aussi – et surtout – nous préparer aux crises futures. Car il y aura d’autres crises mêmes si nous ne savons ni lesquelles, ni quand. N’en déplaise à l’esprit cartésien français, l’imprévisible, cette forme suprême de l’inattendu, fait partie de la vie. Il « diffère le destin », disait Malraux, ce que le philosophe américain Forrest Gump résume en une formule limpide, « shit happens ». En ce sens, la crise du Covid ne questionne pas tant notre capacité d’anticipation que notre faculté d’adaptation.
Justement, avons-nous vraiment de quoi communiquer sur notre faculté d’adaptation ?
Bien sûr ! C’est même là que nous révélons notre meilleur visage. Souvenons-nous que le Premier ministre annonce le confinement un samedi soir et dans la semaine qui suit, l’administration, dont d’aucuns avaient déploré qu’il soit impossible de faire bouger « le mammouth », avait révolutionné son fonctionnement et ses services. Il y a eu des loupés, inévitablement, mais reconnaissons la prouesse des agents qui ont mis en place le nouveau dispositif de chômage partiel en quelques jours, avec ce que cela suppose comme ingénierie technique, budgétaire et réglementaire. Ou encore l’Education nationale : quelle entreprise d’un million d’employés et de 16 millions de clients aurait pu basculer dans un système totalement différent et nouveau en quelques jours ? Le secteur privé n’est pas en reste et les exemples fourmillent d’initiatives, petites et grandes, décidées rapidement, mises en place tout aussi rapidement au milieu de difficultés inouïes, et qui ont permis, vaille que vaille, au pays de fonctionner, même au ralenti.
Comment allez-vous valoriser toute cette énergie dans un argument d’attractivité ?
Dans le Grand Paris, et parmi les métropoles partenaires, nous recensons les initiatives fertiles pour en faire un recueil au niveau européen. De ce recueil nous tirons le fil d’un récit sur l’agilité des acteurs métropolitains qui s’incarne dans la marque « métropoles d’Europe ». Quelque chose de l’ordre du « syndrome d’Astérix », dans lequel ce n’est pas les légions nombreuses et cuirassées qui l’emportent mais le petit, agile, inventif et dégourdi.
Astérix l’emporte surtout grâce à la potion magique. Quelle est la nôtre ?
L’ingrédient secret c’est qu’il n’y a pas d’ingrédient secret. C’est la confiance qui emporte la conviction.
Les acteurs du Grand Paris agiles face à la crise
Le remède face à l’imprévisible ce n’est pas la divination mais l’agilité et la réactivité. De nombreuses entreprises montrent l’exemple dans le Grand Paris et chez nos voisins européens. Par Alexandre Missoffe.
En bousculant presque, du jour au lendemain, les normes, les processus, l’organisation de la production, les transports et la logistique, etc. la pandémie a jeté un défi aux entreprises qui font tourner le Grand Paris. Grâce à l’ingéniosité et à la réactivité de ces entreprises, le défi a été relevé. Et, chacun à sa manière et selon ses usages, la même capacité de réaction est remontée par nos amis européens. Dans le cadre de la coopération entre les métropoles européennes, nous travaillons maintenant à faire de ces éléments des facteurs d’attractivité pour nos territoires. Bien mieux qu’on ne pourrait le faire avec des chiffres et des statistiques, ces « belles histoires » racontent le dynamisme, la combativité et la souplesse des acteurs du Grand Paris.
L’entreprise Tekyn, spécialisée dans la fabrication de textiles, est parvenu à modifier rapidement son système de production pour s’adapter à la demande de masques. Par un large recrutement temporaire de main d’œuvre, l’augmentation de la capacité de production par l’acquisition de nouvelles machines, et l’installation dans un nouveau local de 1 000 m2 à la Plaine Saint-Denis.
Engie, présent sur beaucoup de métiers essentiels à l’activité, s’est adapté très rapidement à la fois sur la maintenance et les équipements des centres de soins : installations de chauffage, ventilation et climatisation, notamment à l’Hôpital de Tenon à Paris, équipement des extensions de l’hôpital Henri Mondor de Créteil ou encore mise en place d’un dispositif opérationnel d’urgence pour l’utilisation des locaux vides.
Désinfection dans les transports
Tout aussi essentiels à l’activité du pays, les métiers de la RATP ont dû s’adapter extrêmement rapidement à un environnement complètement différent. Afin de pouvoir démultiplier le nombre quotidien de lavages et de désinfections du matériel roulant, la régie s’est doté de procédés de nébulisation et a installé sa propre chaîne de fabrication de liquides bactéricides, fongicides et virucides. L’intérieur des bus a été immédiate- ment réaménagé notamment avec les plaques en plexiglas au niveau des cabines conducteurs pour garantir davantage de sécurité, mais aussi par l’accélération du déploiement des paiements sans contacts, et la reprise complète de tous les protocoles, que ce soit sur la montée dans les bus par l’arrière ou les changements de sens des couloirs du métro pour éviter que les fluxs ne se croisent lorsque cela est possible. Une appli- cation de crowdsourcing est actuellement en développement et sera lancée dans les semaines à venir pour signaler les situations d’affluence.
Chambres pour les sans-abris
Dans d’autres domaines, parfois moins visibles, les entreprises du Grand Paris ont aussi su faire preuve d’adaptabilité. Des entreprises comme Unibail-Rodamco-Westfield, analysant que du fait de confinement le moment des courses était le seul échappatoire possible pour les victimes de conjoints violents, a mis en place des centres de soutien et d’accueil d’urgence à l’intérieur même de ses espaces commerciaux. Le groupe Accor, dès le lendemain du confinement a travaillé à la mise à disposition de chambres pour les sans-abris mais aussi pour le personnel en première ligne qui pouvaient ainsi limiter les longs trajets. Moins d’une semaine après le confinement, une plateforme dédiée fonctionnait pour assurer les réservations, le dispatching des capacités et assurer le service dans les hôtels
Ces quelques histoires parmi bien d’autres, forment le début d’un récit. Celui d’un Grand Paris, avec les autres métropoles européennes, qui n’est jamais aussi dynamique, inven- tif et audacieux, que lorsque des circonstances exceptionnelles l’y contraignent. Dans un projet d’attractivité, plus que la litanie des inventaires, c’est la force des histoires qui construit le rayonnement.