« Inventer la métropole, c’est surtout coordonner un processus de transformation, nécessairement incrémental », estiment, dans une tribune au Journal du Grand Paris, Manon Loisel, urbaniste, et Nicolas Rio, politiste, consultants-chercheurs à la coopérative-conseil Acadie.
Après « Réinventer Paris » et « Réinventer la Seine », le succès des démarches promouvant « l’innovation dans toutes ses dimensions » (1) a franchi une nouvelle étape le 13 janvier avec le dépôt des candidatures pour les 59 sites d’ « Inventons la métropole ». La généralisation de ces appels à projet intervient en complément des grandes opérations d’aménagement. Elle concerne des sites plus ciblés, mais aussi plus complexes, avec la nécessité de mettre en place des montages inédits entre promoteurs, concepteurs et investisseurs.
Cependant, la nouveauté du dispositif ne se traduit pas automatiquement par l’innovation des projets qui en découlent. De nombreuses tribunes ont été publiées, vantant tantôt les apports d’une telle démarche ou décriant les évolutions dont elle est porteuse. Mais c’est surtout sa capacité à atteindre l’ambition poursuivie qui mérite d’être questionnée : comment faire pour que les réponses à cet appel à projets soient réellement en mesure d’inventer la métropole ?
La précipitation imposée par le calendrier de la démarche laisse craindre un décalage entre l’ambition affichée et les projets proposés. Au pire, « Inventons la métropole » pourrait se résumer à un inventaire des potentiels fonciers du Grand Paris. Dans ce cas, leur intégration au sein d’un même appel à projet viendra accentuer le différentiel entre les sites attractifs et ceux qui ne le sont pas. Au mieux (mais est-ce moins pire ?), la démarche risque de se limiter à un catalogue des derniers effets de mode en matière de conception urbaine : l’agriculture urbaine, les espaces de coworking, les fablabs, etc.
Mais c’est surtout sa capacité à atteindre l’ambition poursuivie qui mérite d’être questionnée : comment faire pour que les réponses à cet appel à projets soient réellement en mesure d’inventer la métropole ?
Dépasser ces deux travers suppose de repartir de la question suivante : comment faire métropole ? Dans une situation marquée par l’interdépendance généralisée entre les territoires et entre leurs occupants, l’enjeu consiste à penser les articulations. L’expérience « Réinventer Paris » a su relever le défi de l’articulation entre les acteurs, permettant de dépasser le cloisonnement entre les différents intervenants successifs (aménageurs, concepteurs, investisseurs). Elle a su démontrer la capacité des équipes à intégrer les différents maillons de la production urbaine en accordant une place centrale aux usagers finaux.
Mais pour inventer la métropole, les démarches à venir devront assurer trois autres types d’articulation. Articulation entre échelles d’abord. Sur ce point, la situation se complique, car les promoteurs ne sont pas des aménageurs. Par sa fragmentation, le mode de l’appel conduit en effet à concentrer la réflexion à l’intérieur du périmètre de chaque site, avec la conception de projets équilibrés (en termes financier et programmatique) mais souvent détachés de leur contexte. Alors que le succès de la démarche repose justement sur la capacité des équipes retenues à combiner l’inscription du site dans son environnement urbain immédiat et sa participation à la structuration de la métropole, sans nier les contradictions qu’elle suscite. C’est une responsabilité des élus, des porteurs de la démarche comme des équipes de ne pas se laisser enfermer dans la fragmentation des sites, pour porter un propos sur les systèmes territoriaux dans lesquels ils prennent place.
Le succès de la démarche repose justement sur la capacité des équipes retenues à combiner l’inscription du site dans son environnement urbain immédiat et sa participation à la structuration de la métropole, sans nier les contradictions qu’elle suscite.
Deux questions peuvent guider cette réflexion : en quoi chaque site constitue un levier pour impulser la transformation d’un territoire plus vaste? Quelle est la complémentarité du projet proposé avec l’offre existante, en termes de logements, d’équipements ou de locaux d’activité ? Articulation entre secteurs d’action publique ensuite. « Inventons la métropole » ne peut se limiter à un projet d’aménagement. Mettre l’accent sur les usages oblige à dépasser le périmètre de la production urbaine pour s’intéresser aux différentes dimensions du quotidien de ses occupants (liens avec l’habitat, le développement économique, la mobilité, l’action sociale…). La conception du projet doit alors être pensée dans une logique de contribution réciproque entre l’aménagement et les autres stratégies sectorielles poursuivies par les collectivités. En quoi la programmation du site vient-elle répondre aux orientations du programme local de l’habitat ou du plan de déplacement urbain et faciliter leur mise en œuvre ? Quelle est la contribution du site au fonctionnement économique de la métropole et aux axes de développement du territoire ?
Articulation entre temporalités enfin. Cette dernière dimension constitue pour l’instant le véritable impensé de l’appel à projet, toutes les parties prenantes ayant surtout tendance à se focaliser sur les échéances du concours proprement dit. Les inconvénients de ce fonctionnement par coup (ou par à-coups) sont triples. D’une part, l’enthousiasme collectif risque de retomber aussi vite qu’il était arrivé une fois les équipes sélectionnées. D’autre part, il pourrait conduire à mettre en péril le potentiel de mutation du Grand Paris en mobilisant l’ensemble des sites densifiables à court et moyen terme. Enfin, les effets de mode du moment pourraient rapidement apparaître obsolètes. Inventer la métropole, c’est surtout coordonner un processus de transformation, nécessairement incrémental. La métropole ne se construit pas en un jour, elle se déploie dans le temps avec une diversité de rythme selon les territoires et selon les enjeux. Les acteurs de l’appel à projet doivent donc veiller au bon enchainement des interventions et à leur synchronisation avec d’autres dynamiques de transformations, à commencer par la mise en service progressive du Grand Paris express.
La métropole ne se construit pas en un jour, elle se déploie dans le temps avec une diversité de rythme selon les territoires et selon les enjeux.
Pour ces trois enjeux d’articulation, l’exemple allemand des IBA constitue une expérience instructive. Menées sur de grands territoires (la vallée de l’Emscher dans la Ruhr, la métropole d’Hambourg, le territoire transfrontalier de Bâle) sur plus d’une décennie, leur succès s’explique par l’inscription des interventions ciblées sur une multitude de site à l’intérieur d’un cadre de convergence commun. Plus de quinze ans après la fin de l’IBA de la vallée de l’Emscher (1989-1999), les groupes de coordination associant les élus des différentes collectivités (les communes et le Land) et les porteurs de projets (entreprises, associations ou sociétés coopératives d’initiatives citoyennes) continuent à fonctionner. Par leur capacité à faire dialoguer les échelles et les temporalités, ces espaces de discussion permettent d’amplifier l’effet d’entrainement des opérations et de garantir leur cohérence. Mieux, ils contribuent à réinventer la planification en mettant les schémas stratégiques à l’épreuve de leurs traductions opérationnelles.
Avec cet appel à projet, la métropole du Grand Paris ne joue pas uniquement sa légitimité institutionnelle. Elle doit aussi démontrer son utilité par sa capacité à faire métropole en orientant les réponses à ces quatre défis. Au-delà de la qualité des projets proposés pour chaque site, le travail sur les articulations constitue une condition sine qua non pour permettre au Grand Paris de se mettre en mouvement !
(1) Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité.