Quelle métropole nous prépare la crise du logement ?

Emmanuelle Wargon est revenue, lors du colloque organisé mardi 7 décembre 2021 par l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France, sur le pack Etat pour « ne pas rater l’occasion unique de rééquilibrage » offerte par l’aménagement des gares du Grand Paris express. Les différents intervenants ont dialogué, entre consensus sur la crise de la construction et divergences sur les solutions à y apporter.

Les différents intervenants au colloque « Quelle métropole nous prépare la crise du logement ? », organisé le 7 décembre 2021 par l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif), en partenariat avec Le Parisien et Les Échos, au théâtre de l’Alliance française, ont partagé la même inquiétude, assortie d’une vision pessimiste de l’avenir : la situation du logement en général et singulièrement du logement social n’est pas bonne en Ile-de-France, avec des chiffres très en-dessous des objectifs et inférieurs aux moyennes enregistrées les années antérieures.

Et aucun signal d’un redémarrage. C’est sans doute le plus préoccupant : ni la sortie – certes toute relative – de la crise sanitaire, ni l’effet du cycle électoral, qui veut que des grands projets sortent des cartons et soient mis en œuvre à l’issue des élections municipales, ne se font sentir.

Fouad Awada, directeur général de l’Institut Paris Region, entouré de Rémi Babut, The Shift project, auteur du rapport « Habiter la ville bas carbone » (sept. 2021), Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement, et Jean Claude Driant, professeur à l’École d’urbanisme de Paris. © Jgp

Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement. © Jgp

Fouad Awada a indiqué que l’objectif de construction de 37 000 logements sociaux en Ile-de-France n’était pas atteint, rappelant que la région accueille 50 000 nouveaux habitants chaque année. « Nous sommes en droit de nous inquiéter », a déclaré le directeur général de l’Institut Paris Region, évoquant la réduction de l’offre de logements anciens, dont une part est désormais destinée aux locations touristiques de courte durée, tandis que les dispositions « anti-ghetto » de la Région, visant à ne plus soutenir la construction de logements sociaux dans les communes où leur part dépasse déjà les 30 %, contribue à réduire la construction de nouvelles unités. « Pour trouver des fonciers, il y a eu les villes nouvelles, puis les plaques liées à la désindustrialisation. Aujourd’hui, les friches se cherchent à la loupe et certaines sont appelées à retourner à l’état sauvage pour préserver la biodiversité », a résumé Fouad Awada.

« Certains estiment qu’il faut taxer davantage la vacance ou renforcer la police sur les meublés, mais il n’existe qu’une solution pour sortir de la crise : financer davantage de logements sociaux », a-t-il estimé. Fouad Awada a ajouté que, globalement, compte tenu des retards pris, il faudrait construire 80 000 logements par an pour respecter les objectifs fixés par le schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif) en 2013. On est loin du compte.

Jean-Luc Vidon, président de l’Association des bailleurs sociaux d’Ile-de-France, a jugé à son tour la situation « très alarmante », indiquant que le nombre de demandeurs de logements sociaux allait passer de 750 000 aujourd’hui à un million dans trois à cinq ans. « Le manque de logements sociaux a des conséquences négatives sur l’économie, des entreprises ne parviennent pas à recruter faute de logements abordables disponibles pour leurs salariés », a-t-il souligné.

Pas de rebond de la construction en 2021

Alors que l’on a construit 36 000 logements sociaux en Ile-de-France en 2016, soit quasiment les objectifs fixés, on est passé à 30 000 en 2018-2019, 20 000 en 2020, année marquée par le confinement, et « nous ne constatons pas de rebond en 2021, avec 23 000 ou 24 000 agréments », a déploré Jean-Luc Vidon.

Comme plusieurs intervenants, dont Pierre-René Lemas, l’ancien directeur de la Caisse des dépôts et consignations, le président de l’Aorif a regretté l’absence d’une mécanique d’ensemble, que ni la métropole du Grand Paris ni la Région n’ont su mettre en place. « Tant que la question ne se réglera pas à l’échelon régional, on n’en sortira pas », a-t-il déclaré, annonçant que les multiples projets de rénovation urbaine en cours et à venir en Ile-de-France allaient conduire à la destruction d’un nombre élevé de logements sociaux, notamment en Seine-Saint-Denis.

« La Métropole ne parviendra pas seule à résoudre la crise du logement », a également fait valoir Jean-Luc Vidon, appelant de ses vœux une réelle politique d’aménagement du territoire. Le président de l’Aorif s’est inquiété, par ailleurs, d’une qualité moindre des logements sociaux acquis par les bailleurs sociaux auprès des promoteurs, en vefa (vente en l’état futur d’achèvement), par rapport aux bâtiments réalisés par les bailleurs sociaux eux-mêmes. Des propos vis-à-vis desquels Laurent Dumas, président d’Emerige, s’inscrira en faux.

Pierre René Lemas, ancien directeur général de la Caisse des dépôts, auteur du rapport sur la qualité des logements sociaux. © Jgp

Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, Sophie Ricard, architecte urbaniste (La preuve par 7), Jacques Lévy, géographe et directeur de la chaire Intelligence spatiale de l’Université polytechnique Hauts-de-France, Xavier Desjardins, urbaniste et économiste, et Dominique Alba, directrice générale de l’Apur. © Jgp

Jean-Luc Porcedo, président de Nexity Villes et projets. © Jgp

Jean Claude Driant, professeur à l’École d’urbanisme de Paris, a appelé à raisonner en termes de parcours résidentiel, l’absence de logements accessibles à la classe moyenne rendant ses membres prisonniers du parc social, au détriment des plus défavorisés. « Entre des prix de six ou sept euros le m2 dans les logements sociaux et des prix trois fois plus élevés pour les logements libres, on ne trouve rien », a regretté Jean-Luc Vidon.

Catherine Sabbah, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal), est revenue sur une récente étude de son organisme tendant à montrer une dégradation constante, au cours des 20 dernières années, de la qualité des logements neufs, « de plus en plus mal conçus, mono-orientés, où les cuisines ont disparu ». « Les logements sont conçus davantage pour enrichir les promoteurs ou les propriétaires investisseurs que pour leurs futurs occupants », a-t-elle également estimé. L’ancienne journaliste des Échos s’est inquiétée d’un phénomène récent « d’accaparement foncier » en zone rurale, fruit de l’acquisition de biens par des propriétaires recherchant une base arrière pour télétravailler.

La déléguée générale d’Idheal a par ailleurs pointé le caractère à ses yeux indu des plus-values que réaliseront les propriétaires de fonciers situés à proximité des gares du Grand Paris express, regrettant que la puissance publique ait renoncé à en capter une part.

« J’ai été confronté moi-même, en tant qu’aménageur du plateau de Saclay, au pouvoir absolu des maires, extrêmement problématique », a déclaré Pierre Veltz. Un problème qui est, pour le grand prix de l’Urbanisme 2017, inversement proportionnel à la taille des villes. « Il faut laisser le dernier mot aux maires », a estimé en revanche Laurent Dumas, le président d’Emerige plaidant pour un dialogue entre les parties prenantes pour aboutir à une bonne acceptabilité des projets, dialogue dont les architectes sont, selon le promoteur, la clé du succès.

« J’ai tendance à penser que les lois de décentralisation de 1983 à la rédaction desquelles j’ai été mêlé, tout comme la création des plan locaux d’urbanisme (PLU) ou des schémas de cohérence territoriale (Scot) à laquelle j’ai également contribué, demeurent parfaitement pertinents », a déclaré Pierre-René Dumas, s’inscrivant à son tour en faux contre le procès fait à la décentralisation. Laurent Dumas a également estimé qu’en matière de transformation de bureaux en logements, dont Emerige est un spécialiste depuis plusieurs décennies, le prix d’acquisition du foncier déterminait l’équilibre du montage financier.

Haro sur des règles uniformes

Comme d’autres intervenants, l’ancien président de l’établissement public d’aménagement de Paris-Saclay (Epaps) a affirmé sa conviction de la nécessité de ne pas adopter, y compris en matière de transition écologique, de règles uniformes sur le territoire, sans prise en compte des spécificités locales. Des propos repris à son compte par le président de Plaine Commune, Mathieu Hanotin, estimant qu’il est nécessaire de ne pas traiter à l’identique des territoires sans prendre en compte leur histoire et leurs besoins. Le maire (PS) de Saint-Denis a regretté de s’être vu imposer une étude faune et flore ayant retardé d’un an une opération de réhabilitation dans le quartier des Francs Moisins. « Il faut que l’écologie puisse s’incarner dans des projets économiquement viables », a estimé l’élu, appelant à une plus grande maîtrise du foncier, permettant un investissement plus élevé dans l’écologie. Mathieu Hanotin a attiré l’attention de l’auditoire sur la nécessité de s’occuper davantage du logement insalubre ou dégradé.

Pierre Veltz, tout comme Catherine Sabbah, ont fustigé également une condamnation univoque de l’étalement urbain, indiquant que ce phénomène ne posait réellement problème que dans la mesure où, sans desserte en transports en commun, il renforçait l’usage de la voiture individuelle. Jean-Luc Porcedo, président de Nexity Villes et projets a invité l’assistance à ne pas tout miser sur des réglementations plus contraignantes, rappelant que toutes les lois, y compris dans le domaine de l’habitat, ne sont pas suivies d’effet, à l’instar de la loi SRU.

Le président de Plaine Commune Mathieu Hanotin. © Jgp

Dominique Alba, directrice générale de l’Apur. © Jgp

Dominique Alba a rappelé que la vacance de longue durée (plus de deux ans d’inoccupation) dans Paris représentait 10 ans de production de logements, appelant à s’intéresser davantage au « déjà-là ». La directrice générale de l’Apur a annoncé la publication d’une étude sur le périmètre de la Métropole, recensant 424 opérations prochainement lancées, soit 27 millions de m2 de construction à venir, dont 50 % consacrés au logement, 25 % aux bureaux, le reste à des équipements divers. « Est-il raisonnable de construire autant de bureaux, on peut s’interroger », a-t-elle indiqué.

Dominique Alba a évoqué par ailleurs les travaux menés avec l’étude notariale Cheuvreux pour étudier l’adaptation des textes aux ambitions du PLU bioclimatique que prépare Paris. « Les PLU ne permettent pas l’usage chronotopique, qui consiste à prévoir qu’un immeuble aura des usages variés selon l’heure de la journée. A l’image de la loi SRU, un des rares textes qui ait réellement fait bouger les lignes, l’avènement du zéro artificialisation nette va profondément changer la donne », a-t-elle anticipé.

« Les questions abordées ce matin ne sont pas propres à l’Ile-de-France, a estimé pour sa part Jean-Philippe Dugoin-Clément. La question de l’hyper-métropolisation, de l’hypercentralisation est commune à tous les pays de monde a poursuivi le président de l’Epfif. On va avoir une chance extraordinaire en France, dans un pays dont on critique parfois les effets du millefeuille territorial. Entre 2022 et 2026, il y aura quatre ans sans élections autres que les sénatoriales et les européennes, et donc quatre ans pour faire ». « L’échelon régional, en Ile-de-France comme en province, permet d’avoir des équilibres, des solidarités territoriales plus efficientes que sur un périmètre restreint », a également estimé le vice-président de la Région. L’élu a annoncé une vaste concertation préalable à la rédaction du schéma directeur de la région Ile-de-France écologique (Sdrif-E), notamment en direction des jeunes.

Visionnez le replay du colloque sur le site de l’EPF Ile-de-France.

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