Paris Haussmann, pari d’avenir

Avec Paris Haussmann, les agences Franck Boutté consultants et LAN ont fait le pari de démontrer que la ville conçue par le baron peut être un modèle urbain, répondant aux standards de la ville résiliente. L’exposition casse les codes comme les présupposés dans le but « d’ouvrir le débat », à l’heure où le Grand Paris se cherche une identité.

« Ici, le propos n’est pas historique ni politique, prévient Franck Boutté, il ne s’agit pas de faire l’apologie d’Haussmann, mais d’analyser le modèle de ville qu’il a laissé derrière lui », poursuit le cocommissaire de l’exposition. Et ce n’est pas un hasard si l’ingénieur architecte est, en compagnie de Benoit Jallon et Umberto Napolitano de l’agence LAN, aux commandes de cette exposition atypique.

L'exposition Paris Haussmann, au Pavillon de l'Arsenal est à visiter jusqu'au 7 mai. ©Jgp

L’exposition Paris Haussmann, au Pavillon de l’Arsenal est à visiter jusqu’au 7 mai. ©Jgp

De l’immeuble de rapport à la ville durable

Ce premier l’a toujours dit, ce ne sont pas les labels de certification qui garantissent le caractère durable d’une ville. Lors d’une opération commune sur la ZAC de Saussure (17e arr.), les agences Franck Boutté consultants et LAN se sont interrogées sur ce point. Il s’agissait alors de créer un immeuble îlot intégré dans un tissu haussmannien. Et en sont arrivées à la conclusion que le premier critère de durabilité d’un bâtiment est sa flexibilité. Cela suppose une certaine neutralité structurelle et des façades, de réfléchir au parcours de l’air et de la lumière, à la hauteur sous plafond… Les deux agences ont ainsi montré que leur immeuble de logements pourrait, par exemple, être reconverti en immeuble de bureaux.

« On a pour la première fois un exemple parfaitement réussi d’une production contemporaine de l’immeuble de rapport », s’est ainsi enthousiasmée Dominique Alba après la présentation du projet au jury dont elle était membre. La directrice de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) avait touché juste. Car c’est bien de l’immeuble de rapport, généralisé dans Paris par Haussmann, que se sont inspirées les deux équipes. Les immeubles de logement collectif qui ont essaimé sous l’impulsion du baron intègrent en effet aujourd’hui parfaitement des commerces, des bureaux et des équipements.

L'immeuble de rapport est "un modèle de résilience", explique Franck Boutté. ©Jgp

L’immeuble de rapport est « un modèle de résilience », explique Franck Boutté. ©Jgp

Voilà le point de départ de l’exposition du Pavillon de l’Arsenal. Si l’immeuble de rapport peut être considéré comme un modèle durable, la ville qui s’est construite autour de lui ne le serait-elle pas tout autant ?

Bousculer les présupposés

Un an après l’émergence de cette intuition, un travail d’arrache-pied faisant appel à de nouveaux outils de script pour analyser la foultitude de données réunies ainsi qu’au système d’information géographique (SIG) de l’Apur, le résultat est détonnant. Et vient bouleverser tous les présupposés qui pesaient sur le Paris actuel. Et qui, surtout, en portant haut la cité d’Haussmann, vient bousculer les dogmes dits « modernes » sur la ville durable. À l’heure du Grand Paris où, plus que jamais, l’idée de « faire ville » à l’échelle métropolitaine est dans toutes les têtes, la démarche se veut salvatrice.

Analyser, comprendre ce qui a été fait par Haussmann, sans gloser sur ses intentions, démontrer la cohérence d’un projet urbain à toutes les échelles, de l’immeuble à la ville en passant par le quartier, pour questionner sur les pratiques actuelles, telle est l’ambition de l’exposition.

La ville équilibrée

Ici, les documents historiques se comptent sur les doigts d’une main. On préfère exposer, dans un graphisme léché, les analyses opérées par ordinateur auxquelles répondent les photographies de Cyrille Weiner et leur atmosphère subtile. On donne à voir, mais surtout à comprendre. Le parcours est une démonstration de la cohérence multiscalaire du modèle urbain haussmannien. Avec, comme point de départ, la plus grosse échelle, celle de la ville. Les tracés sont d’abord analysés. Toutes les voies publiques recensées, mesurées et classifiées. « Cela permet de faire ressortir la richesse du maillage et les règles dimensionnelles à l’œuvre », détaille Franck Boutté.

Mieux que jamais, on peut peut voir l’organisation polycentrique de Paris et les liaisons rapides entre ses pôles. Un maillage dont l’efficacité ne ressort que par la comparaison. 15 villes ont ainsi été analysées, de Brasilia, au maillage le plus lâche, à Tolède, au maillage le plus fin. « Autant on savait que les percées favorisaient la circulation rapide, autant on aperçoit un très bon équilibre dans le maillage entre les longues et petites distances, entre connectivité et marchabilité », s’enthousiasme l’architecte cocommissaire. Et pour cause, Paris est une des villes où l’on marche le plus, un déplacement sur deux s’y effectue à pied.

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Franck Boutté, ingénieur et architecte, cocommissaire de l’exposition Paris Haussmann. ©Jgp

Vient ensuite l’analyse de l’îlot haussmannien. Surprise, « l’îlot fabrique une exceptionnelle densité et, quelles que soient sa taille et sa forme, la densité de l’îlot est toujours la même », révèle Franck Boutté. Pourtant, à l’heure où la compacité est le maître mot des architectes et des urbanistes afin de réduire l’emprise au sol des bâtiments, l’îlot haussmannien est mauvais élève en la matière. Comment, dès lors, expliquer que l’îlot soit porteur d’une densité telle que Paris se hisse dans le palmarès des villes les plus denses de la planète, alors que sa compacité est si faible ? Par la finesse de ses pans, tout simplement. Encore une leçon tirée. Et les planches de le démontrer : on voit Paris comme une dentelle.

Un immeuble modèle de résilience

Enfin dernière échelle, celle de l’immeuble. l’immeuble de rapport, avec ses invariants comme la façade quasi générique. « Il y a là l’idée de l’altérité et du don à l’espace public, analyse le cocommissaire de l’exposition. C’est aussi cela qui crée une identité, il suffit d’un plan sur 20 cm2 de façade dans un film pour comprendre que l’on est à Paris.» Invariant, également, le rez-de-chaussée capacitaire, c’est-à-dire capable d’accueillir a posteriori des commerces ou des équipements. Ventilation, isolation passive grâce à la mitoyenneté et autres caractéristiques font de cet immeuble « un modèle de résilience ». Bien qu’il ne soit pas HQE, l’immeuble haussmannien dispose de performances énergétiques bien supérieures aux autres constructions qui sont intervenues après cette époque et avant l’apparition des réglementations en la matière. Résilience renforcée par sa capacité à être transformé : hyperstatique, l’immeuble de rapport est plus solide que son usage primaire l’exige. On peut ainsi casser des cloisons, comme des plafonds, sans endommager la structure.

« Finalement, ce modèle urbain répond plutôt bien aux enjeux de la ville d’aujourd’hui », conclut Franck Boutté. Le succès de l’exposition est au rendez-vous et les professionnels saluent le travail accompli. « Ça marche auprès des spécialistes et nous avons de très bon échos », concède modestement l’architecte. Pari réussi.

 

Paris Haussmann – Pavillon de l’Arsenal, 21 boulevard Morland, Paris – Jusqu’au 7 mai 2017 – Entrée libre

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