Le philosophe essayiste Gaspard Koenig et l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, inventeur du bilan carbone, ont donné leur définition lundi 13 mai 2024 au soir au théâtre des Variétés de la liberté face au défi climatique.
Jean-Marc Jancovici a ouvert cette controverse intitulée : « Faut-il limiter nos libertés pour sauver la planète ? » organisée au Théâtre des variétés par Opinion square, en rappelant que la notion de liberté n’était plus la même dans un monde aux ressources limitées que lorsqu’on les croyait infinies. Les modes de consommation des uns impactent et limitent ceux des autres, dans l’espace et le temps, a-t-il indiqué. « Je fais partie des gens qui considèrent qu’il est légitime de demander à la puissance publique de tenir compte des limites physiques de nos ressources, et de réfléchir à la façon dont ces dernières peuvent être gérées de la façon la plus harmonieuse possible pour être distribuées de la façon la plus pertinente possible », a-t-il poursuivi, justifiant la planification écologique en cours de mise en œuvre. L’inventeur du bilan carbone a souligné ensuite la nécessité de conjuguer une impulsion étatique et une décentralisation de ces questions, dénonçant au passage une inflation normative proportionnelle à ses yeux à la puissance de traitement de l’information permise par l’informatique, et donc largement encore devant nous avec l’accélération de l’intelligence artificielle.
Gaspard Koenig a rappelé pour sa part en préambule de son intervention l’évolution de la définition de la liberté au fil des siècles. « Si l’on avait dit à Aristote que la liberté, c’était de faire ce qu’on voulait. Il ne l’aurait pas du tout compris. Pour lui, la liberté, c’était le fait d’arriver à un point médian, un point d’équilibre où notre personnalité pouvait s’exprimer pleinement. Ce n’était pas l’idée de s’hystériser avec des besoins qui n’existent pas. On pourrait dire pareil des théologiens du Moyen âge ».
« On tue véritablement la vie »
Gaspard Koenig estime que la question n’est pas de savoir si l’on doit réduire une liberté qui consisterait à faire ce que l’on veut à chaque instant, mais à repenser entièrement la notion même de liberté. Il a évoqué la destruction de la biodiversité (disparition au cours des dernières décennies de 75 % des insectes, de 25 % des oiseaux). « On tue véritablement la vie et je ne vois pas quel système philosophique peut l’accepter », a indiqué le philosophe, qui place le combat pour la préservation de la biodiversité avant celui de la décarbonation. « Si par des techniques de géo-ingénierie miraculeuses, on éliminait tout le carbone que nous avons en trop dans l’espace intersidéral demain, est-ce que pour autant nous aurions résolu le problème ? Pas du tout, puisque nous continuerions à imperméabiliser les sols et à détruire les espèces qui mettent ensuite des millions d’années à se reconstituer », a-t-il illustré.
« Tous les grands textes qui fondent nos contrats sociaux, qu’on soit plutôt socialiste côté Jean-Jacques Rousseau, plutôt libéral, côté John Locke, gèrent les relations des êtres humains entre eux, estime Gaspard Koenig. Faut-il être plus ou moins égoïstes, plus ou moins solidaires, plus ou moins redistributifs, plus ou moins, etc. ? Mais aucun ne prend en compte l’environnement dans lequel ces contrats sociaux s’inscrivent. Ce qui fait que toutes ces pensées sont au fond depuis dix ans totalement obsolètes. C’est pour les jeunes générations de philosophes l’éclate totale parce qu’il y a tout d’un coup une espèce d’énorme vide qui s’est créé et qui doit accueillir forcément une pensée nouvelle », a-t-il également souligné. Gaspard Koenig a conjugué sa démonstration avec une ode aux bienfaits de la nature.
« Si l’on n’a pas cette expérience, ce sentiment intuitif de la nature, et bien finalement, on n’arrive pas à décrocher des normes et des conventions qui nous enserrent », a-t-il estimé, citant le géographe et militant anarchiste français Elisée Reclus : « les conventions de la vie ont réussi à faire de la plupart d’entre nous des êtres guindés et bizarres, humiliés de se sentir heureux d’un rien ».