Le prochain retrait, prévu cet automne, d’une partie des grilles qui entourent les quatre squares des boulevards Jules Ferry et Richard Lenoir, à l’est de Paris, prémices de la transformation de l’axe Bastille-Stalingrad en coulée verte, provoque l’opposition de certains riverains. François Vauglin, maire du 11e, y répond point par point.
C’est le principal projet d’urbanisme de cette mandature pour la mairie du 11e arrondissement. La transformation des boulevards Jules Ferry et Richard Lenoir, entre la rue du Faubourg du Temple et la place de la Bastille, en une « promenade apaisée », dans le cadre d’un projet plus vaste de coulée verte reliant Bastille à Stalingrad, suscite des oppositions. Sur cet axe aujourd’hui très passant, la mairie de Paris souhaite proscrire l’automobile, réduire la place d’une voirie transformée en vélorue et accroître proportionnellement celle des surfaces végétalisées et piétonnes. Demain, seuls les véhicules assurant une desserte locale, circulant à vitesse modérée, y seront autorisés.
Dans cette « promenade de l’est parisien », qui accueille deux marchés alimentaires (Popincourt le mardi et le vendredi et Bastille le jeudi et le dimanche), la largeur de la voirie passera de 12 à 5 m, tandis que les parterres végétalisés augmenteront de 3 m de part et d’autre du terre-plein central. Il s’agit, pour la municipalité, de « répondre au défi que représente l’urgence climatique, d’adapter les rues et avenues pour des mobilités plus douces et un espace public davantage végétalisé », comme l’indique le document présenté lors d’une première réunion de concertation à ce sujet organisée le 11 mai dernier.
« Sauvons Jules et Richard »
Mais des riverains, réunis au sein de l’association « Sauvons Jules et Richard », affichent une vigoureuse opposition à ce projet. Ils viennent d’adresser une lettre ouverte à la maire de Paris Anne Hidalgo (en date du 31 juillet) et de lancer une pétition sur Change.org pour demander un moratoire. « Les bras nous en tombent », résume Sylvie Bonnet, la présidente de l’association, pour qualifier un réaménagement honni. Les opposants redoutent la perspective de voir les deux avenues se transformer en « ramblas » parisiennes, à l’image de l’axe hyper-touristique qui rassemble jour et nuit à Barcelone, des hordes de badauds en goguette. Rien en réalité, dans ce programme, ne trouve grâce aux yeux des membres de « Sauvons Jules et Richard ».
La transformation des rues en vélorues et l’interdiction de la circulation des voitures va faire disparaître la grande diversité de commerces existant sur cet axe, les échoppes dédiées à l’équipement des habitations (plomberie, carrelage), par exemple, estiment-ils. Ces riverains redoutent la perspective de leur remplacement rapide par une offre commerciale uniquement composée de bars et de restaurants, provoquant des nuisances sonores, y compris nocturnes, et rompant avec la mixité sociale qui caractérise aujourd’hui ces avenues. « Sauvons Jules et Richard » déplore « une absence totale de concertation » : « Nous avons compris, lors de la réunion du 11 mai, que tout partirait d’en haut », résume Sylvie Bonnet.
L’association ne croit pas davantage aux bénéfices qui résulteraient de ces travaux en matière de biodiversité. Bien au contraire. Selon ses membres, la dépose des grilles qui entourent les quatre squares qui se succèdent entre la rue du Faubourg du Temple et la Bastille (*) va dégrader la végétation existante. « Du gazon, degré zéro de la biodiversité, va remplacer à terme les fourrés, arbustes et autres végétations protégés par ces grilles », redoute Sylvie Bonnet. Cette dernière regrette en outre la destruction d’un aménagement patrimonial conçu en 1994 par David Mangin architecte & Alain Payeur designer (Seura arch.) et Jacqueline Osty, paysagiste, lauréats du concours lancé à l’époque, et comprenant les grilles et les fontaines qui font l’identité des lieux.
« Plutôt que de dépenser 20 millions d’euros pour transformer ces boulevards, la mairie serait plus inspirée de les entretenir correctement », ajoute Sylvie Bonnet, déplorant des bancs publics et des fontaines dans un état de dégradation souvent avancé.
Paul Cordina, auteur d’une pétition signée aujourd’hui par plus de 3000 personnes, s’oppose également au retrait des grilles. « Il est effectivement essentiel de garder ces squares protégés par des grilles pour que les enfants et les familles s’y retrouvent sans contrainte d’espace (notamment les enfants qui courent / jouent), et sans être importunés par des vélos et des trottinettes. En les retirant, les enfants ne pourront être en sécurité que dans les zones restreintes d’aires de jeu, où ils seront parqués et privés du reste des espaces dans lesquels ils peuvent aujourd’hui jouer en toute sécurité, sans risque de s’échapper sur les voies de circulation », estime-t-il.
« Par ailleurs, si ces squares deviennent ouverts, ils favoriseront les personnes venant squatter, écouter de la musique, fumer et boire toute la nuit, créant des dommages pour les jardins, mais également les riverains qui ne pourront plus dormir les fenêtres ouvertes la nuit, comme cela a été le cas jusqu’en 2020 pour le Square Jules Ferry, squatté à l’époque par des personnes droguées / alcoolisées, et redevenu tranquille la nuit depuis qu’il y a un gardien (avec chien la nuit) présent 24H/24 et 7j/7 », poursuit-il.
« Les grilles existantes ne servent à rien »
Autant d’arguments que François Vauglin conteste aujourd’hui point par point. « Personne n’a été pris au dépourvu, entame l’élu. Je ne saurais me contenter de rappeler que ce projet a constitué le principal engagement de campagne de l’équipe qui a été élue à 67 % », ajoute-t-il. Le maire du 11e compare les quelques membres de l’association « Sauvons Jules et Richard » à l’engouement collectif que suscite la perspective de cette transformation, tel qu’il le ressent lors de ses rencontres avec ses administrés croisés ici ou là. Il rappelle que plusieurs réunions de concertation se sont tenues avant l’été et que la mairie « prendra son temps » pour affiner le projet avant sa réalisation prévue pour 2025. François Vauglin indique que les grilles, dont la disparition partielle, prévue dès cet automne, cristallise les débats, « ne servent en réalité à rien ». Ni à protéger les squares des mésusages, puisqu’elles ne s’élèvent qu’à un peu plus d’un mètre de haut et sont aisément franchissables, ni à favoriser la biodiversité. « Les fourrés et les haies existants vont évidemment être conservés », poursuit le maire, qui fait valoir qu’entre 4 000 et 5 000 m2 de surfaces végétalisées supplémentaires vont voir le jour dans le cadre de ce programme. L’élu met en avant le travail effectué avec la Ligue de protection des oiseaux (LPO) pour s’assurer que tout sera mis en œuvre pour protéger les volatiles, en l’occurrence majoritairement des passereaux. A l’instar de ce qui a été fait, avec la LPO également, lors des récents travaux de rénovation de la façade de la mairie du 11e, reportés et modifiés pour ne pas perturber les couvées en cours.
Il souligne la gêne qu’occasionnent ces grilles pour les amateurs de jogging, qui ne peuvent traverser les différents squares. « Je prends le pari, par ailleurs, que bien loin de réduire la diversité commerciale existante, la création de vélorues va dynamiser le commerce, ajoute l’édile, car elle va augmenter le nombre de places de stationnement, à la fois pour les livreurs et les clients de ces magasins, qui se plaignent aujourd’hui de la difficulté d’y accéder, dans une rue souvent embouteillée ».
François Vauglin ne croit donc pas au risque d’une transformation de cet axe en une autoroute piétonne et touristique, à l’image des Ramblas barcelonaises, « nom sans doute mal choisi à l’origine du projet ». Enfin l’élu rappelle que Jacqueline Osty, membre de l’équipe qui avait dessiné en 1994 les aménagements actuels, est bien associée au travail des services concernés depuis le début des études. Il ajoute que l’ensemble des aires de jeu pour enfant seront maintenues. 165 bancs publics et 112 pieds d’arbres vont être par ailleurs rénovés à la faveur de ces travaux, souligne
également le maire du 11e arrondissement.
* Squares Jules Ferry, May-Picqueray, Richard Lenoir et Bréguet-Sabin.
Nombre d’habitants à l’ha (chiffres 2018) : 306 dans le 10e, 398 dans le 11e, 206 dans tout Paris
Espaces verts par habitants : 4 m2 dans le 10e et le 11e, 15 m2 dans tout Paris