Depuis plusieurs mois, le projet d’aménagement de la Porte de Montreuil de l’équipe Nexity – Aire Nouvelle (Engie) TVK (architectes-urbanistes) – choisi par la municipalité en 2019 à l’issue d’une consultation menée dans le cadre de ‘Réinventing Cities’, défraye la chronique et agite la twittosphère. La question est à l’ordre du jour du conseil de Paris du 11 octobre. Mais que cache cette guerre des portes ? Une tribune de Bernard Landau, architecte voyer honoraire de la Ville de Paris, Thierry Paquot, philosophe et Gwenaël Querrien, critique architecture-ville-paysage.
Passé quasiment inaperçu à l’occasion des votes du conseil de Paris de 2019 puis d’une enquête publique qui a recueilli moins de dix avis, le sujet s’est invité au journal télévisé de 20h à la suite de l’abattage de 76 arbres les 10 et 19 avril 2022 pendant l’élection présidentielle. Ironie du sort, cet abattage concerne les talus arborés du périphérique occupés depuis des décennies par le service des bûcherons des parcs et jardins de Paris, qui a dû déménager ! Pourquoi cette précipitation pour couper, en pleine période de nidification, des grands platanes et micocouliers sur un terrain public n’ayant fait l’objet d’aucune cession, si ce n’est pour espérer construire un bâtiment qui, si un permis était accordé, ne sortira pas de terre avant trois ans ? Cet acte incongru et brutal, vivement dénoncé par plusieurs associations environnementales, se révèle « l’arbre qui cache la forêt » d’un projet très contestable.
Personne ne nie l’intérêt de reconfigurer cette porte de l’est parisien, bien au contraire ! S’y trouve un marché aux puces et un énorme rond-point surdimensionné d’une autre époque, imposant une frontière autoroutière dangereuse et inhospitalière.
L’examen attentif du projet conduit à poser les quatre questions suivantes :
1- Quel avenir pour les puciers ?
Pour tous, la porte de Montreuil c’est d’abord son marché aux puces, très populaire et animé ou près de 300 concessionnaires sont installés, juste au nord de la porte, trois jours par semaine à ciel ouvert sur un grand terrain triangulaire, insuffisamment arboré appartenant à la Ville de Paris. Bel exemple d’économie sociale et solidaire faisant, même s’il y a parfois des débordements du stationnement, le charme et l’attractivité des lieux. Le projet prévoit de mettre les puciers au rez-de-chaussée d’un nouveau grand bâtiment longitudinal distribuant, au-dessus d’une nappe de parkings et les puciers, des bureaux et des commerces sur quatre à six niveaux, soit 25 000 m2 de planchers. Mais faut-il mettre les puces de Montreuil en boîte ? Ne serait-ce pas les condamner ?
2- Pourquoi des bureaux sur les talus du périphérique ?
De la Porte des Lilas à la Porte Dorée et au bois de Vincennes, au sud de la Porte de Montreuil, le périphérique est bordé de beaux talus arborés constituant un écran verdoyant entre l’infrastructure routière et les quartiers riverains de l’ancienne ceinture verte de Paris, elle-même encore dotée de terrains de sports, de squares, d’établissements d’enseignement, de cimetières. Bref un couloir de nature et de biodiversité qui communique avec d’autres grands espaces naturels dans Paris et dans les communes voisines. Il est incompréhensible de ne pas en tenir compte et de vouloir construire sur ces talus trois immeubles de bureaux avec commerces (de R+4 à R+6, 22.000 m2), offrant aux occupants les gaz d’échappement, alors même que la cour administrative d’appel de Paris vient de confirmer l’annulation de permis de construire des immeubles-ponts aux portes Maillot et de Champerret pour raison sanitaire : le message ne vaut-il pas aussi pour la porte de Montreuil ?
3- Pourquoi une couverture et une restructuration mégalomanes du rond-point-échangeur ?
Ce n’est pas simple de redessiner un espace routier de 145 m de diamètre, qui équivaut au rond-point des Champs-Élysées ou au terre-plein central de la place de la Nation. Côté Paris, la ceinture verte attend d’être préservée et développée et, côté Montreuil, la capitale possède les terrains des puces et les talus. De la sortie du métro dans Paris, le piéton doit faire près de 500 m pour traverser péniblement ce no man’s land pour gagner Montreuil. Depuis des années, il est demandé à la RATP de ménager une sortie plus près de Montreuil, sans succès… Créer une esplanade paysagée pour les piétons et les cyclistes de 107 m de large sur 210 m de long et recouvrant au centre la lentille vide mais en partie plantée ouverte sur le boulevard périphérique et ses rocades, paraît bien démesuré. Les études de trafic d’un tel dispositif figurent discrètement dans une annexe (qui répond aux remarques de la Mission régionale d’autorité environnementale) et montrent qu’une situation déjà tendue va se dégrader en reportant le trafic sur les rues des quartiers riverains et créer des bouchons sur l’Avenue de Paris (Montreuil) et la rue d’Avron (Paris).
Croit-on vraiment qu’en ajoutant à cela trois petits bâtiments d’animation locale (deux côté Montreuil, l’autre côté Paris) et un hôtel-pont 4 étoiles (1600 m2 – R+8) au-dessus du périphérique au nord, on va, comme d’un coup de baguette magique, créer un lieu attractif, animé, drainant tout le 20e et tout Montreuil ? Il est permis d’en douter d’autant qu’avant de replanter il faudra, en plus des 76 arbres abattus, en couper encore 174, soit 250 au total sur le périmètre du projet…
L’Autorité environnementale, saisie en mars 2022 par l’aménageur (Semapa), a mis l’accent sur les nombreuses carences de l’étude d’impact et préconisé notamment de réaliser : « un bilan des avantages et inconvénients environnementaux des choix d’implantation notamment s’agissant des expositions aux nuisances sonores et à une qualité de l’air dégradée, comparativement à d’autres solutions de substitution raisonnables en termes d’emplacement, de formes urbaines et de programmation des lots bâtis. »
4- Une opération si chère pour la Ville de Paris est-elle indispensable ?
Le montage avec Nexity, censé financer et améliorer le projet par la vente du foncier destiné à construire différents bâtiments, n’équilibre pas l’opération et les travaux à la charge de l’aménageur. Sauf erreur de lecture des bilans disponibles, le bilan des charges municipales s’élève environ à 90 millions d’€ TTC, comprenant le coût des travaux d’infrastructure et d’espace public de tout le périmètre (voiries, talus, esplanade), de la relocalisation des services municipaux et d’autres programmes immobiliers restant sous maitrise d’ouvrage publique. Ces résultats médiocres s’avèrent contraires aux orientations du PLU bioclimatique, aux ambitions affichées des ateliers de concertation sur l’avenir du Bd Périphérique et au projet de SCoT métropolitain.
Sonner l’alerte pour un autre ménagement !
Il faut raison garder. L’important travail accompli n’est pas inutile, à condition d’abandonner les constructions sur les talus, l’hôtel-pont 4 étoiles, la mise en boite des puciers et l’option lourde ‘’grande esplanade’’ pour le franchissement de l’échangeur. Des variantes sont envisageables, d’autres schémas ont été étudiés y compris techniquement et financièrement au début des années 2010 par les services de la Ville de Paris et l’Apur. Plus simples et sobres, elles ne sont pas pour autant sans qualités. « Faire moins pour mieux » telle pourrait être la conclusion courageuse des débats des élus parisiens.