Tout le monde en parle ! Les Assises du Grand Paris sont revenus le 30 mai dernier sur les enjeux de la bataille mondiale de l’IA et de son développement exponentiel pour l’Ile-de-France.
Quel usage font les entreprises de l’intelligence artificielle (IA) en 2024 ? Quel impact pour le développement économique de l’Ile-de-France, alors que Valérie Pécresse affirme que Paris-Saclay est la nouvelle Silicon Valley ? Quels usages dans le domaine de la santé pour l’IA ? Comment décloisonner recherche et développement ou assurer aux start-up des financements suffisants pour changer d’échelle ? Des débats foisonnants sur les enjeux franciliens de l’IA ont animé la matinée des Assises du Grand Paris organisée en partenariat avec la Métropole sur ces questions, le 30 mai dernier, à la Banque des territoires.
« Amazon web services (AWS), filiale à 100 % du groupe Amazon, est le principal fournisseur de solutions cloud dans le monde depuis 2006, a rappelé en préambule Mathieu Jeandron, directeur de la technologie pour le secteur public d’Amazon web services. Nous sommes une sorte de transport en commun, donc de mutualisation des ressources informatiques que nous mettons à disposition de nos clients à la demande et avec un paiement à l’usage ».
AWS, qui réalise 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, dispose de plusieurs datacenters en Ile-de-France, formant une « région », c’est-à-dire une partition du cloud autonome. Elle porte un plan d’investissement de 5,3 milliards d’euros pour ses infrastructures au sein de la région capitale, dont 700 millions d’euros déjà réalisés. « Pour réduire notre empreinte carbone, une des solutions consiste à faire en sorte de maximiser l’emploi des ressources disponibles au sein de nos installations », a-t-il souligné.
Des simulations in silico
AWS offre des services cloud, des infrastructures de stockage, de l’IA. Elle met notamment à disposition de ses clients des modèles d’IA de la licorne française Mistral, permettant à l’entreprise haxagonale d’exporter dans le monde entier ses solutions. AWS permet ainsi, par exemple, au monde de la santé de procéder à des simulations, in silico (c’est-à-dire effectuées par des modèles informatiques), avant de les réaliser in vitro puis in vivo, accélérant notablement la recherche médicale.
AWS et l’Institut Pasteur ont récemment réalisé une indexation de l’ADN, compilant six années de recherche menées dans le monde entier, nécessitant la mise en parallèle de deux millions de cœurs de processeurs. « Je ne sais pas si l’on se représente ce que ça peut être. En réalité, c’est immense, a souligné Mathieu Jeandron. Et donc pour faire ce genre de calculs, des capacités que l’on va mobiliser pendant quelques heures seulement sont requises. Évidemment, ça n’a pas de sens d’aller investir dans des millions de machines juste pour quelques heures de calcul. Le cloud fournit des possibilités pour permettre de l’éviter », a-t-il illustré.
Mathieu Jeandron a présenté les enseignements d’une étude récente d’AWS tendant à montrer que l’adoption de l’IA est très forte dans les entreprises françaises, où plus du quart l’utilisent régulièrement, avec une augmentation de 35 % par an. Avec une pratique de l’IA moins répandue dans les PME. « La formation, la dédiabolisation de ces outils doit permettre leur démocratisation », a-t-il indiqué.
CGI, Salesforce, IBM, Fujitsu ou Tata
Lionel Grotto, directeur général de Choose Paris Region, a souligné l’attrait de l’IA, reflété par la hausse de fréquentation du salon Vivatech, en mai dernier. Les indiens de Tata consultancy services s’installent à la Défense, soit un centre de 150 personnes, a-t-il indiqué, pour illustrer l’attractivité de l’écosystème francilien en la matière, citant CGI, Salesforce, IBM, Fujitsu ou Tata. « Les ingénieurs français sont beaucoup moins chers que ceux de la Silicon Valley », a-t-il également souligné, citant Valérie Pécresse qui aime à dire que l’Ile-de-France est la nouvelle Silicon Valley, avec une excellence notamment dans les mathématiques que le monde nous envie. « L’histoire n’est pas écrite », a poursuivi Lionel Grotto, en réponse à ceux qui redoutent que la France et l’Europe soient condamnées à jouer un rôle de nain face aux Etats-Unis ou à l’Asie.
Eric Tordjeman, responsable des partenariats industriels au sein de l’Institut DataIA (Paris-Saclay) a souligné que cette structure était née d’une volonté de renforcer la collaboration interdisciplinaire entre les établissements de recherche en science des données et en IA. Il a rappelé l’annonce récente par le président de la République d’un financement à hauteur de 360 millions d’euros pour la labellisation de neuf pôles d’excellence en France, dont 195 millions d’euros pour quatre pôles en Ile-de-France, dont Paris-Saclay. Cela afin de créer des clusters plus visibles au plan mondial, pour s’attaquer aux défis économiques et sociétaux posés par l’IA. L’interdisciplinarité constitue un des maître-mot en l’occurrence, les programmes ainsi financés visant notamment à renforcer les synergies entre des laboratoires en informatique, en mathématiques ou en physique.
« La santé est un axe extrêmement présent sur Paris-Saclay avec des acteurs comme l’Inserm ou l’Institut Gustave-Roussy, a également fait valoir Eric Tordjeman. Tout étudiant, quelle que soit sa formation, doit sortir avec une des bases en IA ».
L’excellence de l’université Paris-Saclay, qui contribue à hauteur de 13 % de l’effort de recherche français et se classe au 15ᵉ rang mondial du classement de Shanghaï, a été rappelée. Le responsable des partenariats industriels au sein de l’Institut DataIA a pris l’exemple des mondes de la photo ou de l’assurance pour illustrer les révolutions de l’IA en cours.
L’IA pour dépister les mélanomes
Valérie Cossutta-Trubert, présidente de H4D, a décrit comment sa société, qui conçoit et fabrique des cabines de télémédecine, a recours à l’IA. H4D vient d’effectuer, avec la Maison de l’étudiant de Saint-Quentin-en-Yvelines, le pré-lancement d’une solution IA pour dépister un mélanome, donc une lésion cutanée, grâce à un dermatoscope, qui permet aux patients, guidés à distance par un médecin, de prendre un cliché de la lésion. Grâce à l’IA, un traitement de l’image va permettre de lever ou de confirmer un doute sur la nature de cette lésion.
Valérie Cossutta-Trubert a plaidé au passage pour une intégration de ces technologies, et de leur coût, dans les parcours de soins, à travers le financement de la sécurité sociale. « Aujourd’hui, on ne dit pas toujours clairement qui doit payer ces nouveaux services, entre le patient, le médecin ou la sécurité sociale ».
L’entrepreneuse a souligné également une certaine frilosité des investisseurs en France, une moindre prise de risque avec des ordres de grandeur de montants d’investissement très inférieurs en France par rapport aux Etats-Unis.
La tentation des Etats-Unis
Lionel Grotto a confirmé qu’à partir d’une certaine taille, il semblait nettement plus sûr de se coter au Nasdaq, expliquant le départ de nombre de jeunes entrepreneurs outre-Atlantique. « Il faut que nous arrivions à structurer nos marchés de cotation, à embarquer davantage les acteurs institutionnels. On en parle depuis longtemps. Maintenant il faut que tout le monde joue le jeu et que l’on finance effectivement la montée en puissance de nos start-up qui, sinon, quitteront la France pour les Etats-Unis ».
Bruno Martin, directeur commercial d’Hexadone, a présenté l’activité de cette filiale d’Orange et de la Banque des territoires : accompagner les territoires à mieux cerner le pouvoir de la data pour mesurer, contrôler et agir sur le territoire. Il a insisté sur la nécessité pour l’IA de disposer d’une data de qualité, fournie par l’humain, laissant à ce dernier un rôle clé. Hexadone fournit à ses clients un logiciel industriel et interopérable avec de multiples environnements de travail pour collecter la donnée disponible. « Il faut centraliser la donnée, l’harmoniser, lui donner de la qualité, afin d’éviter les hallucinations de l’IA, ses imperfections ou erreurs, qui représentent encore 45 % de ses résultats ». Hexadone aide également ses clients à définir les algorithmes pertinents pour bâtir les indicateurs souhaités, dans un objectif de transversalité. « La data, l’IA, ce n’est pas qu’un sujet d’experts, c’est un sujet d’information pour tout le monde », a également indiqué Bruno Martin. Hexadone permet également de démocratiser l’accès à la donnée, l’unifiant et le simplifiant à la fois.
« Quand vous disposez de capteurs de CO2, certains remontent l’information en degrés, d’autres en Fahrenheit ; certains mettent des points, d’autres des virgules. Ça a l’air bête comme ça, mais ça a un impact sur la qualité de la donnée », a-t-il illustré pour expliquer la nature du travail de sa société. De même, des capteurs sur la qualité de l’air, utilisés à des fins sanitaires, peuvent jouer un rôle de sécurité s’ils permettent de constater un taux anormalement élevé de CO2. A condition d’avoir été paramétrés pour cela. « On s’aperçoit bien qu’il existe des données qui peuvent servir à plusieurs usages et c’est tout l’intérêt de structurer et de classifier la donnée ».
Hexadone travaille sur les déplacements au sein de l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines. Les données de Google maps permettent une vision précise des mobilités, préalable à l’organisation des transports. A condition, là encore, de s’assurer que la donnée utilisée est fiable.
L’IA de confiance
Mathieu Jeandron a détaillé par ailleurs les enjeux de responsabilité des opérateurs. « Ce qui est important pour nous, en amenant effectivement des capacités de calcul, c’est d’apporter aussi des outils et des capacités de réflexion, par exemple sur la traçabilité ». « Il y a des techniques qui existent en termes d’IA, permettant par exemple de ne pas seulement répondre à la question posée, mais de le faire en fournissant les sources », a-t-il résumé. Le directeur de la technologie pour le secteur public d’Amazon web services a indiqué l’intérêt pour AWS de fabriquer ses processeurs ou d’apporter un soin particulier à l’architecture de ses datacenters pour réduire leur consommation d’énergie.
Mathieu Jeandron est également revenu sur l’IA de confiance, évoquant les travaux d’un consortium récemment créé sur ce sujet, autour de l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), doté d’un budget de 45 millions d’euros.