Député de Paris, élu du 12e arrondissement et président du groupe PS au Conseil métropolitain, l’ancien premier adjoint d’Anne Hidalgo – en délicatesse avec elle – rêve de lui succéder en mars 2026. Il devra d’abord gagner la primaire socialiste qui l’oppose à Rémi Féraud et Marion Waller. Pour Le journal du Grand Paris, il revient sur les tensions de cette campagne, sur ses relations contrariées avec la maire sortante ou encore sur son combat, à l’Assemblée nationale, contre la réforme du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille. Emmanuel Grégoire nous dévoile aussi des points inédits de son projet, comme la « création d’un nouveau service municipal du vélo », l’objectif de « l’extinction des moteurs thermiques à Paris d’ici à 2032 », ou sa prochaine proposition de loi contre le « gaspillage immobilier ».
Comment jugez-vous l’ambiance de la primaire socialiste ?
Nous voulons tous un débat respectueux et constructif, et un scrutin sincère. Il peut y avoir des petites tensions, mais rien de rédhibitoire, je l’espère. Notre primaire doit être un temps d’émulation, pas de division.
Les partisans de Rémi Féraud soupçonnent votre équipe d’entrisme. Qu’en pensez-vous ?
C’est ridicule et insultant.
Des adhésions sont contestées…
Il peut toujours y avoir des anomalies à corriger, mais vouloir radier près d’une centaine d’adhérents au prétexte qu’ils n’auraient pas répondu à des mails n’a aucun sens et ne répond à aucun statut de notre Parti. Je souhaite que notre organisation garantisse le bon déroulé du scrutin et l’expression de la voix démocratique des militants de façon saine et sereine. J’y serais particulièrement attentif.
Ces tensions ne risquent-elles pas de laisser des traces ?
Je ne le crois pas. Je m’engage à respecter le résultat de cette primaire. J’ai vu que Rémi [Féraud] aussi. C’est le moindre des respects que nous devons aux militants. Nous n’avons aucune animosité l’un envers l’autre. C’est même le contraire : j’apprécie beaucoup Rémi.
Avez-vous été surpris par la candidature de Marion Waller ?
Non, d’ailleurs, elle est parfaitement légitime. Marion est une femme brillante, il est enthousiasmant que ses idées viennent se confronter aux nôtres. Je connaissais ses doutes sur la solidité de la candidature de mon concurrent. C’est une mauvaise nouvelle pour Rémi. A l’évidence, cette défection dans son camp n’est pas le signe d’une grande dynamique de campagne.
Qu’est-ce qui vous distingue Rémi Féraud ?
Si nos parcours peuvent sembler proches, nous n’avons pas la même histoire. J’ai travaillé dix ans dans le privé, ce qui a nourri ma construction personnelle et mon regard sur la ville. Ensuite, j’ai rejoint Bertrand Delanoë [en tant que chef de cabinet] quand il était maire de Paris ; il m’a transmis cet attachement extrêmement exigeant au quotidien des Parisiennes et des Parisiens. Ma candidature est plus solide, car je suis plus expérimenté, y compris grâce à mes fonctions de premier adjoint d’Anne Hidalgo de 2018 à 2024. Cela n’enlève rien aux qualités de Rémi et à l’amitié que je lui porte.
Bertrand Delanoë vous apportera-t-il officiellement son soutien ?
Je suis très proche de Bertrand Delanoë. Ses conseils me sont précieux. Mais je ne parle pas à sa place.
Anne Hidalgo vous reproche un « manque de loyauté et de fiabilité ». Comment vivez-vous son intransigeance à votre égard ?
Je la trouve incompréhensible au regard de nos passionnantes années en commun. J’ai été très heureux de travailler à ses côtés, pour Paris. Nos différences ont pendant longtemps été un atout dans notre relation de travail. Désormais, elles nous éloignent. La force de ma candidature, c’est sa liberté. Je ne compte sur aucun héritage, aucun passe-droit. Seuls les Parisiens sont à même de pouvoir déterminer qui sera un bon maire. Je préfère donc me concentrer sur l’essentiel : parler de Paris.
La maire vous reproche d’avoir critiqué sa « méthode » et de vouloir « réconcilier les Parisiens avec leur ville »…
Je ne critiquerai jamais Anne Hidalgo. Ni elle, ni son bilan, ni sa méthode. Jamais ! J’ai simplement fait valoir mon constat et mes qualités. Paris est une ville magnifique, intense, diverse. Mais aussi une ville dure, qui exclut parfois. Comme toutes les grandes métropoles du monde, Paris concentre les inégalités, les solitudes, les fractures écologiques et sociales. Notre ville s’inscrit par ailleurs dans un moment singulier, traversé de fortes tensions. Ma conviction est que notre société a besoin d’apaisement et de réconciliation. La maire de Paris utilisait ces mêmes mots en 2022 lors de sa campagne présidentielle. Ce sont les gages de notre crédibilité face à la brutalisation du monde que nous vivons. Et je pense l’incarner, d’autant plus face aux outrances de Rachida Dati.
Revendiquez-vous une émancipation par rapport à Anne Hidalgo ?
Oui, et c’est normal. De la même façon, Anne Hidalgo avait pu s’émanciper lors de sa campagne de 2014 ; ce que Bertrand Delanoë avait accompagné avec bienveillance. J’ai été dix ans son adjoint, et six ans son premier adjoint. Je n’ai jamais fait défaut à mon devoir de fidélité. J’ai toujours fait preuve d’une loyauté irréprochable. Mais je dis mes différences, j’explique pourquoi je veux écrire une nouvelle histoire pour Paris avec le collectif qui m’accompagne. On peut être à la fois fidèle à son histoire et libre.
Si vous gagnez cette primaire, vous ferez campagne sans Anne Hidalgo ?
J’espère qu’elle me soutiendra !
La candidature de Rémi Féraud est soutenue par la maire, le premier adjoint, la première fédérale, tous les maires d’arrondissement socialistes… Et vous, avec qui faites-vous campagne ?
Ces soutiens sont très directement liés au choix d’Anne Hidalgo, et je le respecte. J’ai d’excellentes relations avec les maires d’arrondissement. Ils savent pouvoir compter sur moi, et je sais pouvoir compter sur eux une fois l’investiture passée. Pour le reste, je suis le candidat soutenu par le plus grand nombre de militants et d’élus : plus de 750 militants et 60 élus ont accepté de s’engager publiquement derrière ma candidature, dont plusieurs adjoints de la maire, de nombreux conseillers de Paris, un maire d’arrondissement… Mon collectif est plus large et plus rassembleur que celui de Rémi Féraud, qui n’a d’ailleurs jamais su afficher un tel nombre de soutiens militants ou élus.
Comment analysez-vous le sondage Ifop paru dans le Figaro du 29 mars, qui vous crédite de 20 % des intentions de vote, contre 37 % pour Rachida Dati (son plus gros score) et 15 % pour David Belliard ?
Le total de la gauche est très encourageant. En ce qui me concerne, même s’il faut prendre les sondages avec distance et humilité, je constate que j’ai progressé de deux points en quelques mois. Je suis le candidat le mieux placé à gauche, devant les écologistes. Et je creuse l’écart avec mon concurrent qui, lui, a baissé.
Rachida Dati n’est-elle pas en train de s’imposer ?
Rachida Dati donne aujourd’hui l’illusion de la force. Mais il faut regarder avec pragmatisme ce qu’elle propose : retour du tout voiture, fin des politiques publiques en faveur du logement social et des solidarités, coupes budgétaires pour les acteurs culturels et sportifs, privatisation des services publics, et tant d’autres régressions. Son projet, c’est celui du grand retour en arrière et de la droite brutale. Une avance dans les enquêtes d’opinion ne fait pas l’élection. Nous devons rapidement œuvrer au rassemblement et nous mettre en campagne, pour contrer les obsessions conservatrices et élitiste de la droite.
Quid de votre supposée ambiguïté vis-à-vis de LFI ?
Ces insinuations sont infondées et malveillantes. J’ai toujours été très ferme : aucune alliance avec LFI n’est envisageable. Mon cap est clair : je souhaite rassembler les socialistes, et être le maire de tous les Parisiens et de toutes les Parisiennes. C’est précisément avec ce cap et mon projet ancré à gauche que je pense pouvoir convaincre des électeurs qui se sont détournés de nous pour aller vers La France Insoumise ou qui ont voté M. Macron. Et je crois être le seul à pouvoir le faire.
Sur le fond, quelles sont vos priorités pour Paris ?
Ma thématique centrale, c’est celle du droit à vivre à Paris. Cette ville est la plus belle du monde, et la plus agréable à vivre, à condition qu’on ait de l’argent et du temps. Sans cela, la vie peut y être difficile, voire frustrante. Le rôle de la gauche sociale et écologique est de faire en sorte que chacun puisse avoir accès aux bonheurs de Paris. Je déclinerai cette idée autour de grands thèmes, à commencer par le droit d’habiter dans un logement digne. Mais le droit à vivre Paris, c’est aussi avoir accès à une éducation de qualité, pouvoir vivre dans un environnement sain et non-pollué, propre et sécurisé, accessible… pour toutes les générations et d’où que l’on vienne.
Quelles sont vos solutions face aux prix exorbitants de l’immobilier ?
J’ai récemment fait mes premières propositions pour lutter contre la voracité du marché et ses effets ségrégationnistes, qui se manifestent dans toutes les grandes villes attractives du monde. Le premier défi, c’est de faire la chasse aux mètres carrés disponible à Paris : 20 % de logements vacants dans la Capitale, ce n’est pas acceptable. Par ailleurs, il est indispensable de poursuivre l’effort sur le logement social, en veillant à son équilibre territorial. Le nouveau PLU bioclimatique – que j’ai porté personnellement – sera un outil clé pour y parvenir, grâce à un mécanisme d’implantation ciblé dans les zones qui en sont fortement dépourvues, comme le 7e arrondissement. Deuxième volet : le logement intermédiaire pour les classes moyennes et les familles. Troisième volet : la transformation du tissu urbain existant, du bâti obsolète ou sous-utilisé. Je vais d’ailleurs bientôt déposer une proposition de loi [PPL] contre le gaspillage immobilier à l’Assemblée nationale.
Qu’est-ce que le « gaspillage immobilier » ?
C’est la vacance de bâtiments et logements qui devraient être utilisés mais ne le sont pas, et la trop faible intensité d’usage. Nous devons lutter activement contre ce phénomène, c’est le sens de la PPL transpartisane que nous portons. Quand on a des mètres carrés utilisés seulement une partie de la journée ou une partie de l’année, on doit pouvoir mixer les usages dans le temps, pour assurer un taux d’occupation le plus puissant possible. Ce sont des outils que je n’ai pas pu intégrer dans le PLU-b, car la loi ne le permettait pas, et c’est ce que j’entends corriger.
Comment mettez-vous en œuvre votre « droit de vivre dans un environnement digne et sain » ?
Outre ce qu’on appelle les communs, l’école publique, les services publics, la culture, le sport, il s’agit d’articuler la gestion bienveillante de l’espace public et le droit à une ville respirable. Dans une agglomération tourbillonnante comme la nôtre, nous devons fournir des efforts permanents pour adapter la ville aux plus fragiles, les personnes en situation de handicap, les enfants, les aînés. Le droit de vivre dans un environnement sain implique de poursuivre la végétalisation et la réduction de la place de la voiture, en réaffirmant la priorité pour les piétons.
Auriez-vous une proposition concrète à nous dévoiler ?
A Paris, la première phase de la révolution culturelle du vélo a eu lieu. C’est une formidable réussite. Cela a généré quelques crispations également. Il est temps d’engager le « temps 2 » de cette révolution. Pour l’accompagner, je souhaite lancer un nouveau service municipal du vélo, qui permettra à tous les Parisiens qui le souhaitent d’acquérir ou de remplacer leur bicyclette à prix accessible, en favorisant le réemploi. Chacun doit pouvoir avoir un vélo. Ce dispositif favorisera l’entretien, la réparation et la pérennité de l’usage du vélo en ville. Il mettra aussi à disposition des vélo-cargos pour les professionnels, artisans, associations et particuliers souhaitant utiliser ce mode de transport pour leurs livraisons, la logistique urbaine durable ou les déménagements. Il structurera le réseau associatif et celui des professionnels du secteur. Enfin, il mettra l’accent sur l’éducation et le « savoir-rouler », aujourd’hui trop peu respecté, dans la même logique d’apaisement et de réconciliation. Chaque arrondissement sera ainsi doté d’une vélo-école, lieu d’apprentissage et de pédagogie.
Voulez-vous accélérer la réduction de la place de la voiture, comme David Belliard, le candidat écologiste ?
Oui, mais encore faut-il définir ce que cela veut dire concrètement vis-à-vis du quotidien des Parisiens. Le « temps 2″ de la révolution des mobilités, c’est continuer à lutter contre les pollutions, tout en accompagnant la transition, notamment des professionnels. Je me fixe l’objectif – ambitieux – d’atteindre l’extinction des moteurs thermiques à Paris d’ici à 2032. Mais là encore la méthode compte. Je ne veux pas commencer par interdire, mais faire en sorte que cet objectif soit possible et atteignable en accompagnant les particuliers et les professionnels. Je ne suis pas un politique qui se paie de mots.
Les finances de la Ville, la dette, c’est un sujet pour vous ?
Pas de la façon dont l’exploite l’opposition. Paris est une ville riche. La dette sera de 10 milliards d’euros à la fin de la mandature. Mais en face, nous avons accumulé un patrimoine immense, car la majorité de la dette a été contractée pour investir dans le logement, donc dans la pierre, dont la valeur est infiniment supérieure à ce que la Ville doit rembourser. Lorsque vous contractez un prêt pour acheter un appartement, personne ne pense que vous vous appauvrissez ! En revanche, le vrai sujet de finances publiques, dénoncé par les maires et les présidents de départements, de droite comme de gauche, c’est l’assèchement organisé par l’Etat des capacités d’action des collectivités territoriales. L’Etat a grippé le système. Une grande réforme des finances locales est nécessaire.
Comptez-vous porter une réforme du Grand Paris ?
Je plaide pour une montée en puissance de la construction métropolitaine. Des évolutions institutionnelles sont nécessaires, même si le bilan de la Métropole est positif. En tant que président du groupe socialiste à la MGP, je discute quotidiennement avec mes collègues maires. Je proposerai une méthode sous la forme d’une conférence des partis réunissant tous les acteurs du Grand Paris : communes, EPT, Métropole, départements, Région, préfectures de région et de police. Sans oublier les citoyens. Ce n’est pas du haut que viendra la solution.
Vous êtes à la pointe de la lutte contre la réforme de la loi PLM, qui vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale. Que reprochez-vous au mode de scrutin qu’elle instaure ?
Dans un débat démocratique sain, si on veut se libérer du soupçon de tripatouillage, on ne change pas les règles à la hussarde juste avant les élections. Les promoteurs de cette réforme veulent faire croire que leur intention est de faire entrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun. C’est un mensonge. En réalité, ils inventent un régime d’exception – avec une prime majoritaire pour la liste arrivée en tête de 25 % au lieu de 50 % comme partout ailleurs – au seul bénéfice électoral des trois formations qui portent ce projet : Ensemble, LFI et le RN, peu ou pas implantés localement. Une alliance plus que suspecte de la carpe et du lapin. Surtout, ce mode de scrutin organise la mort politique des arrondissements, échelons de proximité indispensables. J’ajoute que les impensés et les risques d’inconstitutionnalité sont innombrables. C’est affligeant ! Je prendrai l’initiative d’un recours au Conseil constitutionnel.

