Ph. Laurent : « Transformation de la SGP : danger ! »

« Chaque fois qu’une entreprise publique a été détournée de sa mission initiale, cela a engendré de grandes difficultés », estime Philippe Laurent. Pour le maire (UDI) de Sceaux, président de la commission transports du conseil régional d’Ile-de-France et vice-président de la métropole du Grand Paris, l’élargissement des missions de la SGP, qui va devenir la Société des grands projets, entraine un risque de dilution, à la fois du poids des élus franciliens et des ressources de l’établissement public.

Quel regard portez-vous sur l’attribution à la SGP de nouvelles missions, nationales, de coordination de la mise en œuvre d’un réseau de RER métropolitain dont l’Etat souhaite doter la France ? 

Philippe Laurent.© Jgp

Un regard d’incompréhension de ce que veut réellement l’Etat et d’inquiétude quant au bon achèvement du Grand Paris express (GPE). La Société du Grand Paris est une société d’Etat, créée par la loi de 2010 pour réaliser les lignes de métro automatique du GPE. Les débuts ont été un peu poussifs, compte tenu de certaines hésitations politiques lors des alternances et du blocage par l’Etat de la création des postes d’ingénieurs et de juristes nécessaires à un projet de cette ampleur. Ceci a provoqué un retard sur le planning initial, ruinant au passage l’espoir de la terminaison de certaines lignes pour les JOP 2024. Pour autant, l’avancement des chantiers est aujourd’hui en rythme de croisière.

Cependant, la SGP semble avoir en partie renoncé à ce qui était également une de ses missions, à savoir l’aménagement des quartiers à créer ou développer autour des nouvelles gares, ce qui est regrettable pour la cohésion de l’ensemble. Le projet est donc très loin d’être en phase de terminaison, laquelle n’interviendra pas avant une dizaine d’années.

Il est donc incompréhensible, à ce stade, de casser une dynamique qui a été difficile à construire et qui est en phase de stabilisation en détournant, en quelque sorte, la SGP et ses équipes de leur unique objet initial et en la plongeant dans un univers concurrentiel, dans des territoires qu’elle ne connaît pas. Cela me semble une erreur de management majeure, dont feront les frais les lignes du Grand Paris express et les relations avec les partenaires franciliens de la SGP. Chaque fois qu’une entreprise publique a été ainsi détournée de sa mission initiale, cela a engendré de grandes difficultés.

Redoutez-vous que les recettes de la SGP soient partiellement détournées de leur vocation originelle ? De même, que le poids des élus franciliens au sein de la SGP soit également dilué ? 

Naturellement. Depuis sa création, les habitants et les acteurs économiques d’Ile-de-France ont versé plusieurs milliards d’euros à la SGP, sous la forme de diverses taxes. C’est cet argent qui a permis à la SGP d’engager ses chantiers, de former ses équipes opérationnelles, et de servir d’effet de levier aux importants emprunts déjà contractés (plus de 20 milliards). Une fois le projet achevé, ces taxes annuelles permettront de rembourser annuellement la dette à long terme. La SGP appartient donc d’abord aux Franciliens. Les soi-disant garanties de cloisonnement des financements dans une SGP travaillant sur tout le territoire national n’ont pas de sens dans la gestion d’entreprise, où la trésorerie est nécessairement mutualisée. Le risque est grand que non seulement les Franciliens paient pour tout le monde (car ces taxes n’existent pas hors de l’Ile-de-France), mais aussi et surtout que le projet du GPE ne subisse de nouveaux retards.

Il en va de même pour la gouvernance de la SGP, notamment au sein du conseil de surveillance où, à côté des représentants de l’Etat – majoritaires – sont présents seulement des élus franciliens. L’intervention de la SGP sur tout le territoire national entraînera logiquement une dilution de la gouvernance francilienne, qui ne pourra que renforcer encore le poids de l’Etat… Sans aucun doute, la SGP échappera à ceux qui l’ont portée et qui l’ont financée dès le début.

C’est d’ailleurs sans doute l’objectif inavoué de cette proposition de loi : un nouvel acte de centralisation et de méfiance à l’égard des élus locaux, accompagné d’un certain mépris pour les Franciliens.

N’aurait-il pas été logique de voir ce réseau de RER métropolitain confié aux opérateurs nationaux déjà existants ?

Bien sûr, d’autant que ces opérateurs existent – comme par exemple SNCF réseau, qui dispose de toutes les compétences requises – ou peuvent être créés par les autorités organisatrices de ces futurs « RER métropolitains ». Rien n’empêche en outre des ingénieurs et des juristes ayant l’expérience du GPE de rejoindre ces opérateurs actuels ou futurs une fois le GPE engagé dans sa phase finale, ce qui, répétons-le, ne sera pas le cas avant huit à dix ans. L’argument de la « disponibilité des compétences » ne peut qu’inquiéter, lorsque l’on sait l’immense travail qui reste à faire pour le GPE.

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