Ph. Subra : « Il faut fusionner la Région et la Métropole »

Géographe et directeur de l’Institut français de géopolitique (université Paris VIII-Saint-Denis), Philippe Subra préconise une réforme du Grand Paris conjuguant la fusion de la métropole et de la Région avec un changement du mode d’élection des conseillers régionaux. « Le consensus n’est pas un gage de gouvernance réussie », estime-t-il, dressant un bilan critique des premières années de la métropole du Grand Paris.

Pourquoi jugez-vous nécessaire de réformer en profondeur le système de gouvernance de l’agglomération parisienne ?

Cette conviction s’est forgée au vu de l’expérience de la métropole du Grand Paris au cours des quatre années écoulées, qui est un échec à mes yeux. La structure issue des lois NOTRe et Maptam n’est pas à la bonne échelle, puisqu’elle s’inscrit sur un territoire beaucoup trop petit – Paris, la petite couronne plus quelques communes limitrophes -, laissant en dehors un tiers des emplois, un quart de la population, de même que l’aéroport Charles de Gaulle, les villes nouvelles et l’ensemble de la grande couronne.

Philippe Subra. © DR

La métropole ne dispose pas, en outre, de moyens d’action suffisants : il suffit, par exemple, de comparer le nombre de ses agents avec celui de ceux de la Région, 64 à la MGP, 1 900 à la Région, en enlevant les personnels techniques des lycées.

Vous déplorez également son manque de moyens ?

Ses moyens financiers sont extrêmement faibles, avec un budget redistribué dans sa quasi-intégralité aux communes, un fonds d’investissement d’environ 50 millions d’euros, inférieur à celui d’une communauté d’agglomération telle que Chartres, qui compte 136 000 habitants. Ses compétences demeurent également très limitées, les transports restant l’apanage de la Région. En résumé, la métropole a, pour l’essentiel, en charge l’élaboration d’un certain nombre de documents de planification, qu’elle n’arrive d’ailleurs pas à publier puisqu’ils portent sur des sujets conflictuels.

Vous estimez que la métropole n’a pas de légitimité réelle ?

La métropole du Grand Paris ne dispose pas, en effet, d’une vraie légitimité politique et souffre d’une visibilité politique extrêmement faible. Tout cela ne fonctionne pas. Il faut donc faire autre chose. En se posant la question de savoir ce qui peut être efficace, ce qui suppose, me semble-t-il, de partir de l’objectif. Un système de gouvernance doit d’abord servir à répondre, de manière efficace, aux problèmes d’un territoire. Or, l’agglomération parisienne, comme toutes les grandes agglomérations, est confrontée à des défis considérables : la crise climatique, l’aggravation des inégalités territoriales, l’inflation immobilière, le manque de logements sociaux… Il faut impérativement construire et mettre en œuvre des réponses en termes de politiques publiques qui soient à la hauteur de ces défis.

Que préconisez-vous ?

Etre efficace implique d’abord d’agir à la bonne échelle, celle des problèmes. C’est déjà le cas en matière de transport, puisque l’on dispose, avec Ile-de-France mobilités, d’un acteur qui agit à l’échelle de l’ensemble de l’Ile-de-France et du bassin d’habitat. Mais ce n’est pas le cas dans nombre d’autres domaines, notamment en matière de logement. Or la quasi-totalité de l’aire urbaine est comprise dans la région Ile-de-France, et l’aire urbaine représente la quasi-totalité du territoire de l’Ile-de-France. Pourquoi, dès lors, imaginer un périmètre qui soit différent ?

La première des mesures à prendre est donc de faire en sorte que le territoire de la métropole coïncide avec celui de la Région. Comment peut-on imaginer, aujourd’hui, agir sur le développement économique, l’attractivité économique ou la politique du logement sans avoir la main sur la politique des transports ? La logique, l’efficacité et la simplicité exigent donc que l’on réunisse, dans les mains de la Région, les politiques de transport, de logement, d’environnement et de développement économique.

Séance plénière de la MGP, vendredi 11 octobre 2019. © Jgp

Vous insistez sur l’importance des rapports de force politiques pour expliquer l’imperfection des lois Maptam et NOTRe ?

Si la métropole a un périmètre, des moyens et des compétences si limitées, cela est dû à des facteurs que je qualifierais de géopolitiques, c’est-à-dire qui renvoient aux rivalités de pouvoir entre une série d’acteurs pour le contrôle du territoire, à la fois à l’échelle régionale et métropolitaine et à l’échelle locale. Si l’on regarde la façon dont les loi Maptam et NOTRe, dans leurs dispositions relatives au Grand Paris, ont été rédigées, on voit très bien comment une série d’acteurs se sont battus et ont conjugué leurs efforts, pour que la métropole soit aussi petite et aussi faible que possible, financièrement, politiquement et en termes de compétences. La Région, à l’époque présidée par Jean-Paul Huchon, les barons socialistes de grande couronne, et les Départements, qu’ils soient de droite ou de gauche, auxquels on peut ajouter les présidents des grands syndicats techniques, ont tout fait pour empêcher l’apparition d’un pouvoir métropolitain perçu comme un concurrent.

Et l’Etat, estimez-vous, y a vu son intérêt ?

L’Etat, à l’époque, s’est résigné à cette métropole a minima, puis, sous Nicolas Sarkozy et Christian Blanc, a compris que cette situation lui offrait l’opportunité de revenir dans le jeu. Cette dimension géopolitique est essentielle pour comprendre ce qui s’est passé, mais aussi pour comprendre ce qu’il faut faire et comment.

Quelle solution proposez-vous ?

Il faut à la fois dépasser ces résistances, et le faire dans des conditions qui soient acceptables pour ces différents acteurs. Autrement dit, il faut que le gouvernement ait le courage d’imposer une vraie réforme de la gouvernance de la métropole parisienne, et en même temps offre aux maires la possibilité de jouer un rôle dans le nouveau système de gouvernance qui se mettra en place.

Cela passe par une réforme du mode de scrutin ?

Le principal obstacle politique à une fusion de la Métropole et de la Région provient du fait que le mode de scrutin régional est un scrutin de listes, qui sont élues à la proportionnelle, et conduites au niveau régional même si elles sont divisées en sections départementales. Ce système ne permet pas aux maires d’être représentés.

Pourquoi, par conséquent, ne pas imaginer un système électoral dérogatoire, propre à cette région-métropole unique en France, en remplaçant le système proportionnel et de listes par un système majoritaire, avec des circonscriptions qui seraient ces intercommunalités de base, qui s’appellent les établissements publics territoriaux dans le périmètre de l’actuelle métropole, et qui sont des communautés d’agglomération ou de communes en grande couronne. Il s’agirait d’attribuer à chacune de ces intercommunalités de base, un nombre de conseillers régionaux proportionnel à leur population, et de les élire à ce niveau-là. Cela peut se faire sur la base d’un conseiller pour 50, 60 ou 70 000 habitants, sans gonfler sensiblement les effectifs du conseil régional (209 élus actuellement).

Le siège de la métropole du Grand Paris. © Jgp

Cette option n’aboutirait-elle pas à une forme de localisme, où les enjeux locaux prédominent ?

C’est en effet le principal risque : que ces élections régionales ne se transforment en élections locales. De même que dans la campagne des élections municipales, en cours, on ne parle nulle part des enjeux métropolitains, sauf à travers l’évocation des conséquences du futur réseau du Grand Paris express en termes de densification autour des nouvelles gares, il existe ce risque d’aboutir à une collection de campagnes électorales intercommunales. Mais regardez les élections législatives : elles se déroulent dans des circonscriptions et pourtant on y débat des problèmes du pays tout entier.

Comment respecter l’identité des territoires ?

Il me semble important de lever l’opposition des maires tout en permettant en effet la représentation des territoires dans leur diversité. Lorsque Patrick Braouezec s’est battu pour conserver à Plaine-Commune une fiscalité propre, c’est qu’il entendait défendre les intérêts d’une population particulière, de la banlieue populaire face aux égoïsmes territoriaux, ainsi qu’une autonomie d’action. Il faut donc conjuguer représentation des territoires, et conservation d’une capacité d’action au niveau local. Cette réforme du mode d’élection doit s’accompagner de l’application la plus poussée possible du principe de subsidiarité (NDLR : selon lequel tout doit se décider au plan local, sauf ce qui gagne à l’être à l’échelle supérieure).

Patrick Ollier et Patrick Braouezec. © Jgp

Vous préconisez que les intercommunalités puissent se constituer dans ce cadre de façon libre, différenciée, à la carte ?

Ma religion sur ce point n’est pas faite. Une organisation à la carte peut amener à la situation qui a été celle de la région parisienne pendant très longtemps, avec des intercommunalités dont le niveau d’intégration était très inégal et dans certains cas des intercommunalités très formelles, sans véritables pouvoirs. En même temps, peut-on aller totalement contre la volonté des élus, je ne le sais pas.

Vous constatez la persistance de la très forte légitimité des maires ?

Il y a partout en France un divorce, un hiatus, entre la légitimité politique – les enquêtes d’opinion montrent que le maire est souvent le seul élu en qui les citoyens ont confiance – et l’exercice du pouvoir qui est désormais entre les mains du président ou de la présidente de l’intercommunalité qui est le vrai patron des politiques d’aménagement. Mais ce président n’est pas élu par ses concitoyens, les campagnes municipales traitant toujours d’enjeux municipaux et très peu des enjeux intercommunaux. Je considère que ce divorce entre le ressenti de la légitimité, la visibilité politique, et le pouvoir réellement exercé, est extrêmement grave d’un point de vue démocratique. Or la démocratie, c’est quand même élire ceux qui pourront agir à partir des propositions qu’ils font.

Faut-il supprimer les Départements ?

Si l’on raisonne en termes de simplicité et de lisibilité de la gouvernance pour le citoyen, cela a du sens d’avoir un système à trois niveaux : région-métropole, intercommunalités, communes. Mais les départements jouent un rôle qui n’est pas négligeable et je ne suis pas sûr que les politiques sociales puissent être pilotées depuis la Région ou depuis les intercommunalités.

Quelle place pour Paris ?

On ne va pas faire disparaître le poids démographique de Paris, son unité politique et son identité. Il faut que l’un des territoires de base infra-métropolitain soit Paris, il n’y a aucun moyen de faire autrement. Résoudre cette question passe par le fait d’envisager différemment les enjeux et les politiques qui opposent aujourd’hui Paris et les autres territoires. Prenons la place de la voiture, élément de polémique entre la Capitale et les communes voisines. Il faut que ce sujet cesse d’être uniquement une question de maires et de municipalités, pour devenir l’objet d’une stratégie métropolitaine. A partir du moment où l’on adopte une stratégie métropolitaine, qui tend à réduire partout où cela est possible, la place de la voiture, on dépasse cet antagonisme Paris-banlieues. Et cela me semble absolument indispensable. C’est vrai aussi de la politique du logement ou pour la gentrification.

Vous contestez les bienfaits du consensus ?

Le consensus est quelque chose de sympathique, mais les vrais consensus doivent être bâtis sur des rapports de force. La politique, c’est la construction de rapports de force, et la traduction de ces rapports de force dans des programmes, des projets politiques. Je ne pense pas, contrairement à ce qu’affirment à la fois Patrick Ollier et Anne Hidalgo, que le consensus soit la preuve d’une gouvernance réussie. Je crois que c’est exactement le contraire. Mais il faut que ces rapports de force soient légitimés politiquement par les électeurs, au terme d’une campagne électorale lors de laquelle des projets électoraux clairement définis sont présentés. Faire de la politique, c’est défendre des conceptions différentes de l’intérêt général et demander aux citoyens de trancher. Quitte à ce que leur mise en œuvre fasse ensuite l’objet d’une négociation et d’ajustements.

« Jamais aucun candidat ne l’a emporté à la présidentielle sans avoir gagné en Ile-de-France », estime Philippe Subra. Ici Emmanuel Macron lors du dernier Congrès des maires de France. © Jgp

Comment les résultats des prochaines municipales vont-ils influencer le législateur sur ces questions ?

Beaucoup de choses vont changer en fonction de la réélection d’Anne Hidalgo, ou de l’accession d’Agnès Buzyn ou de Rachida Dati au siège de maire de Paris. C’est également le cas d’un certain nombre d’autres communes de la métropole, où un candidat LREM affronte un maire sortant. Ces élections sont très indécises, sans doute beaucoup plus que les précédentes. Dans les décisions que prendra Emmanuel Macron à ce sujet, la perspective de l’élection présidentielle de 2022 ne sera pas non plus absente. L’Ile-de-France compte plus d’un 1/5° du corps électoral français. Jamais aucun candidat ne l’a emporté à la présidentielle sans avoir gagné en Ile-de-France.

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