Logement : ces pistes à creuser pour sortir la tête de l’eau

Modifier les règles d’accessibilité aux logements sociaux, élargir l’usage du droit de préemption, légiférer contre la spéculation, laisser la main aux maires en matière de politique de peuplement… Le colloque organisé vendredi 8 décembre 2023 par l’EPF Ile-de-France a été l’occasion de faire le point sur différentes pistes proposées par les élus franciliens et les acteurs du logement pour sortir de la crise.

En Ile-de-France, produire du logement abordable dans un contexte inflationniste relève de l’équation insoluble. Alors que le foncier occupe une place prépondérante dans cette délicate opération, des outils existent déjà pour réguler son prix. Les dispositifs innovants tels que le bail réel solidaire (BRS), la décote à l’achat de terrain pour construire du logement social ou encore le droit de préemption permettent de faire un pas de côté quant à la pure demande de marché. « Des innovations peuvent encore être trouvées en ce sens », estime Gilles Bouvelot, directeur général de l’EPF Ile-de-France. Au regard de l’inflation foncière, il s’agit d’aller plus loin et, surtout, de légiférer.

Gilles Bouvelot, DG de l’EPF Ile-de-France. © Jgp

Légiférer pour lutter contre la spéculation

Désormais bien connus, les BRS pourraient se voir déployés davantage suivant la volonté de Patrice Vergriete, ministre du Logement. « L’augmentation des plafonds d’éligibilité permettrait à plus de population d’y avoir accès », considère Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l’aménagement durable au ministère de la Cohésion des territoires. Des avancées peuvent également s’envisager sur l’usage du droit de préemption urbain pour lutter contre la spéculation : « On peut s’inspirer de ce qui existe déjà dans le code rural et de la pêche maritime. Ce mécanisme de droit de préemption urbain en contestation de prix, motivé par une lutte contre la spéculation foncière, est constitutionnel à partir du moment où la rétrocession est organisée au profit d’un acteur intervenant dans la politique du logement. »

La pérennisation des mécanismes de décote représente aussi une piste à creuser : « Dès lors qu’on a consenti des efforts de la puissance publique pour produire du logement abordable (PSLA, décote Duflot, vente HLM, BRS…), on pérenniserait cette décote et éviterait une culbute à la revente via un plafonnement du prix de vente », ajoute Jean-Baptiste Butlen.

Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l’aménagement durable au ministère de la Cohésion des territoires. © Jgp

Autre réflexion : l’idée d’une réforme sur les taxes relatives aux plus-values de cession, qui pourrait être débattue en loi de finances. Certains parlementaires plaideraient en outre pour une interdiction des ventes aux enchères des biens du domaine privé afin de systématiser les ventes à l’amiable et d’éviter qu’une forme de spéculation ne se trouve encouragée par les acteurs de la puissance publique.

Optimiser la densité

Alors que se prépare un projet de loi sur le logement et la décentralisation, le ministre semble afficher la volonté de se tourner davantage vers les maires et les élus locaux, parfois décriés pour leurs politiques jugées peu courageuses en la matière. « L’acte de construire est extrêmement complexe », se défend Charlotte Libert-Albanel, maire (UDI) de Vincennes (Val-de-Marne). « Et sur le plan politique, le risque est avéré, il faut convaincre de l’utilité de la densification. D’autant que nous n’avons pas la main sur la politique de peuplement, ce qui pose des difficultés en termes de parcours résidentiel. »

De l’avis de Catherine Sabbah, déléguée générale d’Idheal (Institut des hautes études pour l’action dans le logement), les maires se doivent de convaincre leurs administrés que ce qui est accessible est acceptable : « La densité fait partie d’un contrat urbain et peut constituer une bonne qualité. Dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR), nous avions proposé qu’à partir d’un certain nombre de logements, l’apport financier provoqué aille à la commune, ce qui lui permettrait d’implanter des équipements et des espaces publics à proximité. Cela rendrait le projet politique acceptable et compréhensible », avance-t-elle.

Catherine Sabbah. © Jgp

En vue de réguler ce marché pas comme les autres que celui du logement, de nombreux maires réclament des prérogatives supplémentaires afin de leur permettre de réguler le prix de sortie des logements produits, d’avoir une meilleure gestion des logements vacants, d’augmenter les droits de préemption, etc.

S’adapter aux besoins des territoires

Pour pallier le réflexe « not in my backyard » et garantir des instruments adaptés aux situations, David Amiel, député de Paris, préconise de redonner une maîtrise du peuplement au niveau local et de revoir les règles d’attribution de logements sociaux afin de laisser une place plus grande aux travailleurs-clé que sont les infirmières, les enseignants ou encore les policiers. Dans le but d’accélérer les rénovations au sein du collectif, il insiste par ailleurs sur la piste d’un modèle de planification écologique de la rénovation au niveau du quartier. « Autrement, en matière de rénovation en milieu urbain dense, nous nous retrouverons dans la même impasse que pour la construction. Je porterai des amendements en ce sens dans le projet de loi sur le logement », indique-t-il.

Jean-Philippe Dugoin-Clément. © Jgp

« Je me réjouis que M. Amiel défende les collectivités et la primauté des attributions pour les logements sociaux, mais je constate que l’Etat fait l’exact inverse avec la mise en place de la réforme en flux », objecte Jean-Philippe Dugoin-Clément. Concernant la territorialisation des politiques du logement, le président de l’EPF Ile-de-France s’interroge : « Que met-on dans cette décentralisation ? L’aide à la pierre, la politique d’attribution, celle d’hébergement d’urgence… ? A quelles conditions financières ? Comment assurer une cohérence nationale ? »

Au milieu de ces incertitudes, le vice-président du conseil régional d’Ile-de-France prévient : « Si nous ne sommes pas capables de refaire de cette question du logement un liant social plutôt qu’un vecteur de désintégration sociale, nous allons droit vers un lourd changement politique en 2027. »

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