« Ne dites plus densité, mais intensité, ou projets urbains », ont indiqué plusieurs participants du colloque international organisé jeudi 8 février par la métropole du Grand Paris et son conseil de développement à la Maison de la chimie. Les intervenants publics et privés ont rappelé que, quel que soit le nom qu’on lui donne, la densité était nécessaire pour accroître la production de logements tout en limitant l’étalement urbain. Reste cependant à en convaincre les habitants et par conséquent les élus locaux en leur fournissant les outils adéquats.
Relancer le débat sur la densité, y compris en évitant de prononcer son nom, tant il porte en lui les stigmates des dernières décennies, marquées en zone dense par un urbanisme honni, issu de la charte d’Athènes. Tel était un des objectifs du colloque organisé jeudi 8 février 2024 par la métropole du Grand Paris et son conseil de développement, intitulé « Les métropoles face aux enjeux de la densité ».
« Nous voulons permettre aux maires de s’inspirer des solutions mises en place à l’étranger », a souligné le président Ollier en ouverture de cette journée d’échanges, lors de laquelle de nombreux acteurs de la fabrique de la ville et universitaires étrangers sont venus débattre de la question urbaine (voir par ailleurs). « Toute la question consiste à trouver les moyens de rendre la densité acceptable, notamment aux yeux des habitants, en garantissant l’accès à l’ensemble des services de proximité nécessaires », a souligné Christine Azankpo, vice-présidente du conseil de développement de la Métropole. La Métropole a annoncé à cette occasion le lancement d’un observatoire métropolitain sur ces questions (voir ci-dessous).
Impuissance face à la crise du logement
Ancien ministre des Relations avec le Parlement mais surtout parlementaire des décennies durant et rapporteur de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, dite loi Pasqua, en 1994, Patrick Ollier a saisi l’occasion de ce colloque pour regretter la disparition de la Datar d’une part et du commissariat général au plan d’autre part, partiellement responsable selon lui de la situation actuelle. Le maire (LR) de Rueil-Malmaison a fustigé par ailleurs la suppression de l’interdiction de la division pavillonnaire ou celle du coefficient d’occupation des sols (COS), deux facteurs de densification excessive à ses yeux.
Sybil Cosnard, présidente de City linked, a rappelé que si la France consommait 23 500 ha de fonciers artificialisés chaque année, soit l’équivalent de 33 000 terrains de foot, 90 % du territoire national demeurait naturel. L’urbaniste a rappelé également le goût des Français pour l’habitat pavillonnaire. Elle a souligné la mauvaise image dont souffrent la verticalité et la hauteur, synonyme d’insécurité, de promiscuité, de bétonnisation et de mauvaise qualité du bâti en France, alors qu’elles constitues une marque de réussite sociale en Chine. Sybil Cosnard a insisté sur l’importance d’une bonne prise en compte du contexte, d’une réelle concertation avec les habitants en amont des projets ou sur la nécessité de financements suffisants pour éviter que les espaces publics, par exemple, pâtissent de fin de projets budgétairement difficiles. Elle a rappelé, enfin, que la non ou la moindre densité avaient un coût, citant l’exemple du réaménagement de la Porte de Montreuil, où le programme et donc les recettes correspondantes ont été drastiquement réduits en route.
De séminaires en études d’experts, face à la densité, considérée par Christian Terrassoux, président délégué de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), comme « un impératif », force est de constater que les acteurs publics et les opérateurs privés restent souvent impuissants. Pourtant, « la densité on la pratique déjà en Ile-de-France », a prévenu Nicolas Bauquet, directeur général de l’Institut Paris Region.
Sauf que « nous ne sommes pas prêts à faire face au développement de nos villes », a quant à lui reconnu Vincent Fouchier, directeur de la prospective et du conseil de développement de la métropole Aix-Marseille-Provence, préférant donc parler « d’intensité urbaine » que de densité.
Avoir une densité agréable : sans hauteur et avec des espaces verts
Convaincu qu’un modèle plus sobre de fabrique de la ville passe par cette intensification, il s’inscrit en faux face à l’idée d’une opposition systématique des habitants. « Les jeunes et les personnes âgées sont favorables à la densité, mais il faut la faire différemment », a-t-il fait valoir, préconisant d’optimiser le bâti, tant nouveau qu’existant, citant en exemple les 900 ha de toits terrasse marseillais. En Ile-de-France aussi les habitants sont prêts à accepter la densité, mais « à condition qu’elle soit agréable, c’est-à-dire sans hauteur et avec des espaces verts », a expliqué Nicolas Bauquet se référant à la vaste concertation réalisée avec une centaine de citoyens franciliens dans le cadre de la préparation du Sdrif-e (schéma de développement de la région Ile-de-France environnemental). « Mais surtout, a-t-il ajouté, ils veulent avoir la liberté de choix et davantage accès à la parole publique ».
Pour Alexandre Labasse, il faut commencer par donner une image positive au terme même de densité, encore trop connoté négativement, rimant parfois même avec insalubrité. Pour ce faire, le directeur général de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) propose plusieurs pistes telles que donner les bonnes informations aux citoyens, montrer une prospective ou encore accompagner les communes dans leurs procédures notamment de concertation empêchées parfois par les PLU (plan local d’urbanisme). Alors que les maires portent « une vision du territoire », Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l’ordre des architectes, estime aussi qu’ils ont besoin d’être conseillés pour « emmener les habitants dans ce récit ».
« Laisser plus de place à l’expérimentation »
La façon de procéder du maire de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) relève presque de l’exemple, pour ne pas dire de l’exception. Se revendiquant « maire bâtisseur », Pascal Pelain prévoit de porter la population de sa commune à 35 000 habitants en 10-15 ans contre 25 000 actuellement. « J’ai du foncier disponible, certes ancien et inadapté, et je vais continuer à construire, même en hauteur », a souligné l’élu francilien, énonçant les dispositifs de communication avec les citoyens qu’il a créés, qu’il s’agisse de faire remonter l’expression des tracas quotidiens, des rendez-vous du maire dont le prochain traitera du logement, des rencontres « Mon maire, ma rue » ou encore des comités d’une vingtaine d’habitants mis en place dès qu’un chantier débute pour en suivre le déroulement.
« Mais quid de la qualité ? », a interpelé Valérie Flicoteaux, souvent négligée, ainsi que les espaces extérieurs, au profit de l’optimisation des mètres carrés. Une question également centrale pour Nicolas Bauquet, élargissant la question à la qualité de l’insertion urbaine. « 95 % de nos acquéreurs sont satisfaits », a rétorqué Christian Terrassoux, rappelant qu’un permis de construire accordé répond à toutes les règles d’urbanisme et déplorant au passage qu’un PLU n’était utilisé qu’à 65 %.
Au final, la complexité de la ville appelle non pas « une solution mais plusieurs et il faut tout faire en même temps pour préparer demain », a résumé Valérie Flicoteaux, évoquant « un moment intéressant car c’est celui de la transformation, mais à condition de laisser plus de place à l’expérimentation ».
Hervé Le Bras : « La chair a fondu, il ne reste que le squelette »
Le démographe et historien Hervé Le Bras figurait parmi les invités vedettes du colloque métropolitain. Il a dépeint une France des fleuves, dans laquelle la moitié de la population vit à moins de 8 km d’un fleuve ou d’une côte. Le professeur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) a décrit la situation de la France en 1851, quand la population était répartie avec une homogénéité incomparablement plus grande, jusque dans les montagnes.
« Certes, il y avait quelques espaces encore vides notamment dans les Landes notamment au Sologne ou en Champagne et dans certaines montagnes », a-t-il constaté, mais comparé à la situation actuelle, « c’est comme si toutes les chairs avaient disparu, ne restant que les ossements, que le squelette qui suit très exactement le parcours des fleuves ». « Il y a extrêmement peu de villes importantes ou même de villes moyennes en dehors d’un fleuve important, a souligné Hervé Le Bras, qui a rappelé également que la plupart des grandes villes actuelles étaient déjà des grandes villes au XVIIe siècle. « Ces villes ont été fondées sur des fleuves, qui étaient non seulement des voies de circulation mais aussi des producteurs d’énergie avec les moulins à eau par exemple », a-t-il également indiqué.
Yann Klein, membre du collège de habitants du Codev, a présenté lors de ce colloque des recommandations pour favoriser l’acceptabilité de la densité urbaine : favoriser la cohésion des nouvelles opérations avec l’existant, prévoir des externalités positives pour tous projets ou systématiser le recours à des médiateurs pour organiser la concertation et garantir sa qualité, figurent parmi elles. « Rien n’est pire que des concertations dont les conclusions ne sont pas suivies d’effet », a souligné le représentant des habitants de la Métropole. Le collège des habitants du Codev recommande par ailleurs la conduite d’une réflexion sur la sous-occupation et les logements vacants, ou la tenue d’un débat sur un rééquilibrage territorial qui dépasse les frontières régionales.
Nouvel outil de pilotage opérationnel, l’Observatoire métropolitain permettranànla -MGP d’évaluer la mise en œuvre concrète de son schéma de cohérence territoriale (Scot) sur des thématiques diverses dont le foncier, la fabrication de la ville, la mixité fonctionnelle, l’environnement ou encore les mobilités. Il vise également à permettre à l’institution de mieux appréhender les enjeux de l’espace métropolitain et ainsi, d’appuyer la construction de politiques publiques aux bénéfices de ses populations. Cet observatoire métropolitain s’appuiera également sur un large partenariat, incluant en premier lieu l’expertise des agences d’urbanisme, l’Apur et l’Institut Paris Region.