Dans une interview au JGP, Jean Daubigny, préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris et co-président de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris, insiste sur la nécessaire association des milieux économiques à la définition du projet.
JGP : Quelle conséquence aura le Grand Paris sur la fiscalité de ses entreprises ?
Jean Daubigny : Le sujet de la fiscalité est fortement discuté et va continuer à l’être. Je dirais dans le sens le plus large, puisque l’on parle de la Contribution foncière des entreprises (CFE) et de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) mais que l’on peut aussi évoquer la taxe sur les bureaux et de la redevance sur la création de bureaux. Repartons du sens de la constitution de la métropole : aboutir à davantage de mutualisation de moyens. La fiscalité constitue incontestablement un sujet, puisqu’il ne s’agit pas seulement de parler de taux, il s’agit aussi de considérer le produit des différents prélèvements fiscaux, et de savoir de quelle manière on peut mieux le mutualiser à l’intérieur de l’espace métropolitain. Cela étant dit, il est un peu tôt, aujourd’hui, pour pouvoir parler des modalités fiscales dans le détail. En toutes hypothèses, la modération fiscale est un des principes gouvernementaux.
Le taux de la CFE va-t-il converger sur l’ensemble du territoire de la métropole ?
Aujourd’hui, lorsque l’on crée une intercommunalité, chaque commune membre voit en effet son taux converger progressivement vers un taux moyen pondéré. Est-ce la seule modalité selon laquelle on peut agir ? Posons-nous la question. D’autant plus qu’au jour d’aujourd’hui, on n’a pas encore fixé ce que va être le statut des territoires, puisque c’est bien la question qui vient d’être posée par les élus et qui a provoqué de longs débats. Le statut de ces territoires entrainera-t-il l’affectation d’une recette propre, des transferts de recettes ou de produit fiscal ? Le débat n’est pas tranché actuellement. Certains ont envisagé de faire transiter les produits des recettes fiscales sous la forme d’un fond, qui permettrait d’assurer une meilleure répartition entre les territoires et une plus grande harmonisation de l’action publique.
Les professionnels de la construction et de la promotion immobilière souhaitent voir les taxes et redevances sur les bureaux profondément remaniées, qu’allez vous faire ?
Je vous affirme que la question qui nous a été posée sur la taxe sur les bureaux et sur la redevance pour création de bureaux nous invite bien à la plus grande vigilance sur la taxation des entreprises. Parce qu’au fond, si je parlais un peu en raccourci, nous n’avions peut-être pas suffisamment mesuré les effets qu’a par exemple la redevance sur les constructions… Or ce que l’on cherche, c’est bien à dynamiser le marché, à faciliter les éclosions d’entreprises, à en attirer du monde entier vers notre région et à organiser leur répartition de la meilleure façon. Nous devons donc réfléchir à ces différents aspects simultanément.
Une réforme de la taxation de l’immobilier d’entreprises figurera-t-elle dans la loi de finances rectificative de fin d’année ?
Notre vision est claire. Elle est en harmonie avec ce que le Premier ministre et le président de la République ont affiché : l’entreprise, c’est ce qui permet de dégager les forces économiques, les ressources économiques de notre pays et l’emploi. Par conséquent, dans le cadre de la construction du Grand Paris, nous voulons à la fois favoriser les implantations d’entreprises, et le développement des entreprises existantes. Notamment les PME-PMI, qui forment un tissu riche en Ile-de-France, mais qui sont nombreuses à rencontrer des problèmes d’immobilier, avec des locaux souvent anciens. Il faut appréhender ces questions dans un cadre mutualisé. Par forcément avec des prélèvements supplémentaires mais avec une meilleure utilisation de la manne fiscale prélevée sur le territoire.
Le financement des projets de ligne et de gare de la société du Grand Paris est-il assuré ?
Je vous renvoie aux déclarations du Premier ministre ce 13 octobre. Je pense qu’il a été particulièrement clair à ce sujet. En termes de financement, des garanties ont été données je crois. Et Manuel Valls a redit ce qu’il avait déjà affirmé : non seulement « on y a va » mais on accélère certains des projets, dans un certain nombre de secteurs jugés prioritaires.
La totalité des communes qui accueillent l’aéroport d’Orly doit-elle rejoindre la métropole ?
Il y a là deux sujets. Celui des communes riveraines de la métropole, qui entrent dans le cadre de l’article 46 de la loi Maptam, et qui pourront exercer leur droit d’option. Il y a par ailleurs, le cas des communes qui ne sont pas directement contigües au territoire de la future métropole. Actuellement, le droit positif ne leur permet pas d’intégrer la MGP. Certaines d’entre elles, pas toutes, ont posé la question de savoir si elles pourraient l’intégrer. Je relève qu’en France, l’on s’arrête peut-être trop fermement à cette idée qu’il faudrait absolument une organisation bien léchée, avec des limites très précises, qui recouvriraient des situations très différentes… Si l’on se réfère à la loi Maptam et au débat parlementaire qu’elle a suscité, il a été dit clairement qu’un noyau fort devait être favorisé, et articulé avec son environnement, de façon plus homogène et coopératif, mieux équilibré. Mais il ne faut surtout pas que ceci crée de nouvelles ruptures territoriales, à l’image de l’ombre portée du chêne qui fait que plus rien ne pousse autour.
Une métropole sans aéroport a-t-elle du sens ?
Volontairement, on laisse en dehors de la métropole des pôles de développement, et on demande via le Schéma régional de coopération intercommunal, que la couronne immédiate entourant cette métropole se constitue en pôles d’équilibre, afin que se noue un vrai dialogue plutôt qu’un effet de fracture entre des banlieues par rapport à un centre. Une option polycentrée a été retenue par la loi. A partir de là, faut-il que chacun entre dans le débat uniquement en se demandant s’il est ou pas dans le périmètre de la métropole, dans une sorte de structuralisme mal digéré ? Il existe d’autres formes de travail en commun. L’idée n’est pas d’opposer une grande couronne à une métropole après avoir opposé une petite couronne et une grande métropole, c’est au contraire de trouver les moyens de faire travailler tout le monde d’une manière équilibrée. S’il y a des sujets particuliers, de type Orly, peut-être que la représentation nationale procédera-t-elle à une modification législative. Mais cela n’est pas la seule voie possible. Les communes qui travaillent actuellement au projet de CDT d’Orly ont proposé que l’on aille vers une formule de CDIT et si le Premier ministre a retenu cette idée, c’est bien pour trouver d’autres formes de travail. Encore une fois, il y a la construction législative, mais il y a aussi la construction contractuelle, conventionnelle. Le sujet qui est posé, c’est bien de savoir comment sur le territoire de l’Ile-de-France, la métropole, la zone de la grande couronne couverte par le schéma régionale de coopération intercommunale, et les espaces moins densément peuplés, mais essentiels également, vont pouvoir mieux travailler ensemble.
La somme d’1,4 milliard d’euros, annoncé par Manuel Valls à Créteil à l’issue du comité interministériel relatif au Grand Paris en faveur du plan de mobilisation des transports de la Région s’ajoute-t-elle aux 140 millions d’euros annuels attribués à la région via la loi de finances ?
Oui. On acte bien que il y aura 1,4 milliard d’euros via le CPER. Et en effet, ils s’ajoutent aux 140 millions d’euros prévus chaque année en loi de finances.
Etes-vous favorable à la mise en place d’un Pass unique régional, qui pourrait provoquer une augmentation du Versement transport exigé des entreprises ?
Je rappelle que par la volonté de la loi, la question des transports régionaux a été entièrement décentralisée. Je ne siège pas au Stif. Vous me permettrez donc de ne pas intervenir sur des compétences entièrement décentralisées.
Ne peut-on pas craindre néanmoins que les débats sur la gouvernance et le consensus sur la progressivité de la construction intercommunale retarde l’éclosion de projets et leur traduction en commande publique ?
Deux voix se sont exprimées lors des récents débats préalables à l’adoption de la motion du 8 octobre par le conseil des élus. Ceux qui souhaiteraient que l’on gravisse les marches de la construction métropolitaine quatre à quatre. Et ceux qui préfèrent une ascension marche par marche. Il arrive que dans certains cas, après être partis rapidement, on s’essouffle. Autrement dit, ce n’est pas toujours sautant les marches que l’on va le plus loin. Ce qui m’a surtout frappé, lors du dernier conseil des élus, c’est que je n’ai entendu personne demander que l’on reporte l’échéance. Pas une voix ne s’est élevée pour demander que l’on recule la date du 1er janvier 2016. Ce qui montre bien qu’il peut être utile de discuter quelques semaines de plus, pour obtenir l’unanimité.
Dans le processus de création de la métropole du Grand Paris en cours, les chefs d’entreprises sont-ils suffisamment écoutés ?
Dès lors qu’il s’agit d’une évolution du système politico-administratif, il ne me semble pas anormal que l’on commence à parler avec ceux qui, par l’onction du suffrage universel, sont dépositaires des responsabilités politiques. Cela dit, j’estime l’interpellation des chefs d’entreprise totalement indispensable. L’objectif poursuivi, le Premier ministre l’a réaffirmé lors de son récent discours de Créteil, consiste en effet à donner un sens à l’ensemble des réformes en cours. Certes, il faut, à terme, faire évoluer ce que l’on appelle le millefeuille territorial. Non pas pour le plaisir de dire qu’il y aura tant et tant de feuilles, et telle quantité de crème entre les feuilles. Mais de manière à aboutir à un dispositif qui corresponde à un projet.
Le Premier ministre attache beaucoup d’importance à l’idée que la nouvelle organisation de l’ensemble francilien soit au service du rayonnement et de l’attractivité. Or le rayonnement et l’attractivité, c’est bien sûr l’enseignement supérieur, la recherche, la culture, mais c’est bien évidemment aussi et surtout la force économique. Cela passe par le fait d’écouter les chefs d’entreprises, de répondre à leurs attentes. Il s’agit aussi de répondre à l’attente potentielle, voire de faire naître une attente auprès de ceux qui ne sont pas encore implantés en Ile-de-France, où qu’ils soient dans le monde. Il sera donc bien question de projet. Et il est bien question d’entreprises.
Pourquoi la constitution du conseil des partenaires socio-économiques de la mission de préfiguration est-elle intervenue tardivement ?
Nous avons en effet pris du temps, et cela pour deux raisons. L’une, qui est formidablement positive, c’est que la loi a défini un nombre limité de sièges, et que le nombre de candidats pour y participer a été incommensurablement plus important. C’est déjà un élément très encourageant, et je vous assure que je l’entends. Et que Daniel Guiraud, le co-président de la mission de préfiguration, l’a bien entendu également, tout comme le président du CESER [NDLR les 60 membres du conseil des partenaires socio-économique ont été nommés par tiers par l’Etat, Paris Métropole, et le CESER]. J’entends donc cet appel des milieux économiques. Il est fort.
La deuxième raison, qui nous a conduit à commencer par réunir d’abord le conseil des élus, vient de ce que nous allons procéder « step by step ». Plutôt que de réunir les partenaires socio-économiques pour leur expliquer que les élus n’ont pas encore rendu leur copie, nous avons préféré attendre qu’ils aient avancé dans la définition de leur position. Le respect pour la voix que vont porter les milieux économiques et notamment les chefs d’entreprise, c’est de les réunir, comme nous venons de la faire, parce que les élus se sont exprimés, et vous avez vu avec quelle qualification de voix (86 %), sur une motion. Rappelons au passage, parce que l’on a tendance à l’oublier, que la mission a également produit un rapport et que la motion accompagne cette étude.
Cette motion, en faveur d’un « EPCI d’EPCI », va-t-elle in fine s’imposer ?
La motion ne modifie pas la loi. Il s’agit d’une proposition faite au gouvernement, qui se saisit de ce sujet, comme l’a rappelé le Premier ministre à Créteil, et proposera au Parlement les éléments qu’il aura retenu. Rappelons en outre que cette procédure résulte d’une demande formulée par le Premier ministre dans une lettre adressée aux élus en date du 16 juin dernier. C’est donc justement le moment, avant que cette question soit examinée par le Parlement, d’entendre les milieux socio-économiques et en particulier les entreprises, sur ce qu’ils peuvent avoir à dire en la matière.
Sur le rôle des élus mais aussi sur le développement du projet du Grand Paris, puisque, comme l’a rappelé le Premier ministre, nous sommes entrés dans une procédure d’élaboration et de suivi dans laquelle les notions d’attractivité et de projet constituent une préoccupation essentielle. Le Premier ministre a chargé Emmanuel Macron, le ministre de l’économie, d’être force de proposition en la matière. Bien évidemment, avec Daniel Guiraud, au titre de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris, nous allons contribuer à cette réflexion. Les chefs d’entreprises sont donc absolument associés. J’ajoute que, comme je vous le disais, le nombre de demandes pour faire partie du conseil ayant été très élevé, nous avons adopté une règle : le conseil des partenaires socio-économiques n’accueille pas d’entreprises à titre individuel. Mais l’expérience des chefs d’entreprises, de toutes tailles, demeure indispensable, et différents groupes de travail vont associer très largement les entrepreneurs, pour recueillir l’opinion de l’ensemble du tissu des entreprises. Je garantis que la liberté d’expression sera totale, afin que ces débats soient le plus tonifiants possible.
Il faut être clair là-dessus, les chefs d’entreprise, de même que l’ensemble des acteurs socio-économiques, vont enrichir les travaux, et le rapport de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris.
La réforme territoriale, qui rend imprévisible les contours des collectivités de demain, ne vient-elle pas s’ajouter à la crise des finances publiques pour freiner encore les projets et les commandes ?
Je constate que ce discours, que l’on entend actuellement, succède à un autre, qui voulait que c’était les échéances électorales qui avaient opéré un ralentissement de la commande publique. Puis on a entendu un autre discours, selon lequel les perspectives de modération des transferts de l’Etat étaient le sujet. Maintenant, on arrive au troisième sujet… Le Premier ministre a rappelé le montant de 30 milliards d’investissements de travaux publics que va générer le Grand Paris : si ce ne sont pas des perspectives…
Le Premier ministre a insisté, en outre, sur le fait que ces travaux sont susceptibles d’entraîner des investissements et des gains pour un montant encore bien supérieur. Dans le domaine des travaux publics, nous travaillons actuellement sur la question de savoir comment former la main d’œuvre dont nous aurons besoin dans trois ans pour faire face aux chantiers qui vont démarrer… J’aimerais que l’on n’oublie pas cela.
Parlons des contrats de développement territoriaux. Nous en avons déjà signé la moitié, ils représentent 40 % des objectifs de construction de 70 000 logements par an en Ile-de-France. On voit clairement qu’ils s’inscrivent une dynamique de projets, qui ne va pas s’arrêter à la configuration administrative de tels périmètres. Certes, des freins demeurent en matière de foncier. Nous y travaillons. Mais je ne pense pas que l’on puisse dire que la réforme territoriale soit un frein.