F. Leclercq : « Il y a une certaine lassitude par rapport au train-train de l’aménagement »

François Leclercq, architecte urbaniste, membre du conseil scientifique de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP), estime que la mode des « Réinventer » illustre à la fois la raréfaction de l’argent public, les mutations du secteur privé, et une lassitude face au conformisme et à la standardisation de l’aménagement, ces dernières années.

Quel regard portez-vous sur le Grand Paris ?

Ce qui m’intéresse dans le Grand Paris, c’est la manière dont il s’est construit. Au commencement était le métro… Tout est parti de là. Et aujourd’hui, tout converge encore sur ce réseau. Il y a eu, à l’origine, la décision de Christian Blanc – qui a succédé à de nombreux projets portés par la SNCF et la RATP – affirmant qu’il manquait des infrastructures lourdes de transport dans la région parisienne. Après le RER, en effet, on voit beaucoup de crédits sur les routes, mais très peu d’investissements continuels sur le métro. Puis la Société du Grand Paris a porté cette idée du Grand Paris express et travaillé sur le sujet dans toutes ses dimensions. Je me souviens, d’ailleurs, que plusieurs de mes camarades étaient contre ce métro, estimant qu’il fallait le faire autrement, ou ne pas le faire du tout…

Quel rôle a joué l’Atelier international du Grand Paris ?

On a inventé et raconté plein de choses au sein de l’AIGP. Sur le rapport du Grand Paris à la nature, aux nouvelles mobilités, aux manières de construire, de traiter des hubs, déjà, de manière un peu pharaonique, parfois fantasmagorique. Puis, le moteur très puissant de ce métro automatique a fonctionné. Même s’il était ébranlé par des situations budgétaires complexes, il a continué depuis. Il a même préfiguré la réalité administrative de la métropole et fabriqué, en quelque sorte, les contours de la métropole actuelle.

Plusieurs visions du Grand Paris s’opposaient alors ?

François Leclercq.

François Leclercq. © JGP

Au début, il y avait huit clusters répartis autour de 40 gares. C’était la vision colbertiste de Christian Blanc. Il s’agissait de bâtir des lieux qui ne se faisaient pas concurrence, et qui avaient une visibilité internationale : la médecine à Villejuif, la logistique à Roissy, la finance à La Défense, le développement durable dans l’Est. C’était peut-être illusoire, mais cela constituait une image fédératrice. Puis quand on est passé aux contrats de développement territorial (CDT), avec une démocratie retrouvée par rapport au système très centralisé de Blanc, il y a eu de nombreuses discussions qui ont abouti à ce que l’on multiplie les gares. La programmation des clusters s’est un peu dissoute. Et c’est là qu’est sorti le chiffre extravagant de 11 millions de m2 de bureaux prévus autour de ces gares. Alors que le nombre de mètres carrés par employé diminue, et que la demande globale de bureaux baisse… Ces chiffres avaient un côté un peu absurde.

Vous proposez que le permis de construire des bureaux prévoie systématiquement leur possible réversibilité en logement…

Le fait que le bureau aime le neuf crée de nombreux cadavres. La durée de vie des bureaux est de plus en plus courte. Avec cette tendance des chefs d’entreprise – qui ne sont jamais propriétaires – de vouloir les derniers bureaux à la mode, comme on s’achète la dernière BMW. Déménager, cela permet en outre de restructurer les entreprises à moindre coût… Il y a donc beaucoup de bureaux vides actuellement. C’est pourquoi nous avons proposé que le permis de construire de chaque mètre carré de bureau prévoie sa transformation en logement, sa réversibilité. Comme les permis de construire comportent déjà un volet paysager, ils comprendraient aussi un volet transformation. Dès lors, on peut continuer à construire des bureaux, des centres d’affaires. Mais la réversibilité fait que ce n’est pas si grave. Ce serait aussi une sécurité pour l’investisseur.

Vous approuvez la création des 14 « Hubs du Grand Paris » ?

Oui, si l’on arrive à les définir précisément. Toutes les modélisations montrent que la double dispersion – des logements et des bureaux – est ce qu’il y a de plus consommateur en transport. Il n’y a pas de quoi nourrir toutes les gares du Grand Paris express pour en faire autant de hubs. Donc si l’on arrive à choisir judicieusement 14 sites, par rapport à leur bassin de vie et d’emploi, c’est une bonne idée. Il existe déjà des hubs très forts, qu’il faut renforcer pour qu’ils aient une lisibilité plus que métropolitaine, et il faut en effet en créer d’autres, dans une optique de rééquilibrage territorial.

L’objectif de création de 70 000 logements par an crée des polémiques. Comment l’appréciez-vous ?

Il faut, en la matière, jouer sur toutes les lignes. Il y a effectivement ce que l’on appelle le foncier invisible. On avait, par exemple, étudié la transformation de l’A4 en créant une autoroute apaisée. Avec des véhicules roulant moins vite, toute une frange peut devenir constructible. Il s’agit aussi de regarder sur toutes les friches industrielles, avec un objectif à la fois qualitatif et efficace. La densification-élévation constitue une autre ligne. A Paris, dans des zones qui le méritent, sans bâtir des immeubles de grande hauteur (IGH) mais en élevant un peu les bâtiments, avec des structures légères. Ce peut être des initiatives privées, un R+4 qui passe à R+6, avec de la structure bois, simple. On a travaillé aussi sur la densification du pavillonnaire. Tout cela est difficile. Est-ce que les rues sont prévues pour ? Est-ce que les réseaux sont prévus pour ? Je ne fais pas d’angélisme sur ces questions… Il y a aussi la question de savoir comment habiter les rez-de-chaussée. Des tas de friches commerciales, de dead mall, vont exister, tant le commerce – extrêmement utilisateur de mètres carrés en Ile-de-France – subit des mutations.

Et la densification, souvent présentée comme la principale solution ?

Sur de vastes emprises disponibles, il faut effectivement mettre le paquet si cela crée de nouvelles polarités urbaines, pour passer à un Grand Paris plus multipolaire. Mais il faut alors, en plus du transport, du bureau et du logement, des équipements de tous les genres afin que l’on ait envie de s’y rendre quand on est à Paris. Il faut que ce soit des villes à part entière.

Vous défendez également un certain étalement ?

La distance n’est pas forcément le mal et la densité le bien. Il y a aussi le lointain. Des gens habitent le 77, le 78, le 91 ou le 95 et travaillent à Paris ou à La Défense. Ce sont des modèles qui ne sont pas à bannir absolument. Même s’ils sont consommateurs de bagnoles. On ne peut obliger tout le monde à aller habiter un R+10 à tel endroit. Le pavillon, c’est aussi de l’agriculture de proximité, ce peut être des maisons énergétiquement autonomes. A Madrid, Los Angeles ou Chicago, il existe des voies dédiées aux bus sur les autoroutes, qui relient des villages aux centres urbains. La France est le pays d’Europe où le télétravail est le moins utilisé. Il faut que cela avance. Des villes comme Paris resteront très attractives, au niveau mondial, mais en même temps génèrent une fatigue, un mouvement centripète. Il faut jongler avec les deux. L’ambition du Grand Paris doit être de conserver ses habitants, même s’ils ont trois enfants…

Comment jugez-vous la mode des « Réinventer », Paris, la Seine, la métropole ?

C’est une tendance très lourde dans l’aménagement, de passage au privé. Avant, c’était les collectivités territoriales ou l’Etat qui portaient les programmes, sollicitaient des architectes, des urbanistes. Désormais, le privé s’implique davantage. C’est une tendance que l’on voit dans toutes les villes depuis trois ou quatre ans. Bien sûr, financièrement, parce que les collectivités sont ratiboisées économiquement. Parallèlement, le privé a pas mal évolué. Beaucoup de petits promoteurs sortent des sentiers battus, et les gros se réinventent. On est tous fatigués d’une certaine standardisation. Et comme ils font à la fois des routes, du service, de l’énergie et des bâtiments, les majors de la promotion ont monté des centres de recherche et de mise en équation de toutes leurs compétences pour fabriquer la ville. La mode des « Réinventer », c’est jouer sur les nouvelles compétences des groupes, leur inventivité programmatique, jouer sur la difficulté financière des collectivités, et jouer sur un dernier élément : il y a une certaine lassitude par rapport au train-train habituel, par rapport au catéchisme un peu sérieux de l’aménagement depuis plusieurs décennies. Même s’il est très vertueux par ailleurs. Ce que je souhaite, c’est que la multiplication de ces concours ne confine pas à l’épuisement.

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