D. Breuiller / V. Delourme : « Le Grand Paris, métropole agriculturelle »

Daniel Breuiller, vice-président de la métropole du Grand Paris, et Vianney Delourme, cofondateur d’Enlarge your Paris, expliquent l’objectif des Rencontres agricoles du Grand Paris, cycle de réflexion – et d’inspiration – sur l’agriculture urbaine.

Pourquoi avoir lancé ce cycle de rencontres ?

Vianney Delourme et Daniel Breuiller. © Jgp

Daniel Breuiller : Il y a un an, Patrick Ollier a étendu ma délégation en me confiant l’agriculture urbaine, sujet qui me passionne. Métropole et agriculture urbaine peuvent être considérées, à première vue, comme antinomiques. Lorsque l’on parle de métropole, on parle avant tout d’équipements, de développement économique, de rééquilibrage mais rarement d’agriculture. Pourtant, il ne se passe pas une semaine sans qu’un jardin naisse quelque part dans le Grand Paris. La métropole ne dispose pas de moyens financiers et humains extraordinaires. Pour construire une politique agricole métropolitaine, il faut donc s’appuyer sur ce qui se fait de mieux, sur les connaissances les plus abouties. D’où l’idée de lancer ces rencontres, et de les lancer avec Enlarge your Paris, que j’ai identifié comme le média du récit métropolitain, du récit culturel et agriculturel. Voilà la genèse du projet, monté également avec l’expertise d’AgroParisTech, qui fournit un travail remarquable, à la fois prospectif, d’analyse, et d’évaluation sur ce qu’est l’agriculture urbaine.

Vianney Delourme : L’objectif de ces rencontres est de révéler – et de nous inspirer – de ce qui se fait déjà dans ce domaine sur le territoire. Enlarge your Paris a été convaincu, dès le départ, que la nature en ville c’est une forme de culture à développer. Notamment avec la rencontre de Roger des Prés de la Ferme du bonheur à Nanterre, qui a inventé le concept d’agriculturel. Il y a deux ans, nous marchions avec les Bergers urbains dans le parc Valbon à La Courneuve, et nous nous sommes dit qu’un jour, nous traverserions la métropole avec un troupeau de moutons pour relier les lieux agricoles inspirants de la métropole. Aujourd’hui, l’agriculture urbaine semble plébiscitée par tous, des acteurs associatifs aux grands comptes de l’immobilier. Cela mérite d’être questionné. Existe-t-il une bulle médiatique autour de ce sujet ? Qui plébiscite quoi ? Il nous semble intéressant de penser le Grand Paris comme une ville à vocation agricole. Les rencontres agricoles du Grand Paris consistent à réunir tous les acteurs de l’agriculture urbaine autour de la table pendant un an. Avec les gens de l’immobilier, de l’agriculture périurbaine, de l’agriculture de pleine terre, les jeunes agriculteurs, les distributeurs, les associatifs, les chercheurs, ou l’association française d’agriculture urbaine professionnelle dont les adhérents font pousser des betteraves, des endives et du cresson dans la ville. Mais aussi, créent du lien social.

D.B.: A chaque rencontre, nous abordons un thème différent. La première rencontre posait la question de savoir si le Grand Paris pouvait être agricole, avec une approche historique, une présentation par Christine Aubry, d’AgroParisTech, des agricultures urbaines. Le pluriel importe car on met sous le même vocable un jardin partagé en autogestion citoyenne et une start-up qui produit en aquaponie des légumes qu’elle veut vendre en circuit court, ou bien encore un jardin d’entreprises qui est un outil de gestion des ressources humaines. Sans oublier l’agriculture traditionnelle, encore très présente dans la métropole, singulièrement sur le Plateau briard dans le Val-de-Marne mais également dans des sites tels que la ferme de Gally à Saint-Denis. Il y a différentes formes d’agriculture urbaine, selon que leur vocation est plutôt professionnelle, plutôt sociale, plutôt pédagogique.

Transhumance de moutons dans le nord du Grand Paris, organisée par Enlarge your Paris et les Bergers urbains. © Jgp

Vous constatez un foisonnement d’initiatives ?

D.B. : 75 % des projets d’”Inventons la métropole 1” intègrent des projets d’agriculture urbaine. On est devant un phénomène massif. Paris a lancé, avec beaucoup de volonté et un grand succès, les Parisculteurs. Gennevilliers et Bagneux créent Agrocités. Montrouge, qui est je crois la 5e ville la plus dense de France, lance un programme d’agriculture urbaine et de renaturation avec AgroParisTech. Il n’existe pas un seul territoire où l’on ne se pose pas ces questions, liées également au thème de la renaturation et du lien avec le périurbain. L’agriculture urbaine se développe partout dans le monde, en même temps que la métropolisation. En Afrique, aux Etats-Unis dans des démarches de reconquête de zones industrielles en déshérence. Les collectivités, très nombreuses à porter des projets à ce sujet, sont également présentes sur ce thème. Lors de la dernière campagne électorale, j’ai par exemple développé « Arcueil ville comestible », né dans les fabriques citoyennes où l’on discute du projet de ville sur les dix prochaines années. Il y a derrière tout cela une philosophie qui tente de trouver sa place dans la société.

La première rencontre de ce cycle a fait salle comble ?

D.B. : Cette vivacité m’enthousiasme. Lors des premières rencontres, j’étais un vice-président heureux face à tous ces gens qui, au fond, fabriquent de l’avenir, et en quelque sorte du bonheur, qui renouent aussi des liens entre urbanité et saisonnalité. C’est un des rares sujets partagé par le plus grand nombre. Quel que soit votre pays d’origine, chacun a connu l’agriculture, qu’il s’agisse de faire pousser de la patate douce ou de la ratte du Touquet. C’est aussi un langage qui favorise le dialogue entre les gens d’âges différents, d’origines diverses, entre des gens généreux, sympathiques, tel qu’on le rêve pour une cité. Il faut aussi parler des jardins ouvriers, issus du catholicisme social, et qui demeurent très prisés comme le montrent les listes d’attente, très longues, pour y accéder.

L’agriculture urbaine ne vise pas l’autosuffisance alimentaire ?

D.B. : Notre deuxième certitude, c’est que l’agriculture urbaine est foisonnante, essentielle, mais qu’elle ne nourrira pas la métropole qui affiche aujourd’hui 2 % d’autosuffisance alimentaire. Nous souhaitons atteindre 4 ou 5 % dans le cadre du plan climat de la MGP. C’est très ambitieux mais très loin de l’autosuffisance. Ces rencontres représentent donc aussi une formidable opportunité pour bâtir un pacte entre la métropole et les territoires ruraux qui nous environnent. Cela me paraît essentiel si l’on ne veut pas être perçus comme la métropole égoïste, au 26 % de PIB national et qui ne regarde qu’elle-même, ce contre quoi Patrick Ollier lutte beaucoup, en veillant par exemple à intégrer les sites situés hors de la métropole dans les « Inventons ». Nos déchets représentent par ailleurs des tonnages monstrueux, que l’on incinère ou que l’on enfouit, ce qui est d’une stupidité absolue puisqu’il s’agit d’une ressource potentielle, notamment en engrais pour nourrir le cycle agricole. La coopération entre la métropole et les territoires ruraux est un enjeu majeur.

Projet d’Agriville, imaginé par l’Arep, X-Tu et Jean-Paul Viguier pour le Triangle de Gonesse. © DR

Le modèle économique de l’agriculture urbaine est-il viable ?

D.B. :  Aucun agriculteur urbain ne vit de sa production. A part, peut-être, les producteurs de champignons qui peuvent pousser dans des parkings comme ailleurs. Mais ce sont des modèles qui incluent des projets d’insertion, qui contribuent au lien social, à la solidarité. Un jardin donné à une association, c’est autant d’économie pour la commune.

VD : Il serait intéressant de comparer le coût d’une fraise produite dans Paris intra-muros avec celui de la fraise qui a parcouru 3 000 km, en intégrant l’ensemble de ses externalités négatives (destruction de l’environnement par l’usage intensif de pesticides, entretien des autoroutes que prennent les camions frigorifiques, etc.). L’agriculture urbaine a aussi une dimension sociale. Quand, dans les années 90, le régime soviétique en faillite a arrêté de livrer du pétrole quasi gratis à Cuba, l’agriculture cubaine s’est effondrée en quelques semaines. Pour éviter la famine, les habitants de La Havane se sont mis à planter partout, dans les parcs, les jardins, les balcons…  Plus près de nous, en Grèce, en Italie ou en Espagne, avant la crise de 2008, il n’y avait quasiment pas de jardins partagés. Ils sont aujourd’hui partout. A Paris, l’engouement pour l’agriculture urbaine est plutôt né de la crise de la vache folle. Avec une volonté de comprendre le cycle alimentaire, de savoir d’où vient la nourriture que l’on met dans son assiette. Lorsqu’elle a lancé ses premiers concours de végétalisation, la mairie de Paris ne s’attendait pas à ce que les Parisiens souhaitent des jardins non seulement pour s’aérer, mais aussi pour produire de la nourriture.

L’agriculture urbaine, c’est aussi la lutte contre l’artificialisation outrancière des terres ?

V.D. : J’ai vu disparaître récemment les dernières fermes de Marolles-en-Hurepoix, au sud de Brétigny-sur-Orge, à 30 mn de Paris en RER, et qui sont maintenant des habitations. On voit un peu partout, en deçà et au-delà de la Francilienne, les terres agricoles grignotées par du logement, des entrepôts et des zones commerciales…  Penser l’agriculture urbaine, c’est aussi poser la question de la préservation des terres agricoles et des liens avec l’agriculture francilienne. C’est stratégique, c’est vital. Au XIXe siècle, l’armée a dessiné les frontières de Paris en l’entourant de remparts, auxquelles a succédé le périphérique ; on peut espérer qu’au XXIe siècle la nature nourricière et l’agriculture urbaine vont créer du lien entre tous les territoires.

D.B. : Désormais, l’agriculture urbaine constitue un sujet de masse, pour les gens qui souhaitent permettre à leurs enfants de continuer à vivre dans de bonnes conditions. Les gens souhaitent avoir un peu plus d’air, un jardinet. Mais les prix, à 10 000 euros le m2 à Paris ou même à 5 000 euros le m2 à Arcueil, les poussent à chercher toujours plus loin, dans des communes de petite ou de grande couronne qui sont ravies de les accueillir.

Les Champs-Elysées. © DR

Dans l’Aude, les inondations viennent de provoquer plusieurs morts. Avec une double responsabilité humaine, dans le changement climatique et l’imperméabilisation des sols. Nous sommes allés beaucoup trop loin. Plus les villes sont peuplées, plus il sera nécessaire d’augmenter la taille des réseaux d’eau, plus les usines de traitement devront être importantes. En réalité, nous sommes dans une logique très coûteuse qu’il faut requestionner. C’est cette logique qui nous emmène dans ce que les scientifiques appellent un emballement. On peut développer un choix différent telles la ville éponge, la préservation de la pleine terre, la création de jardins, parcs et la désimperméabilisation. C’est moins coûteux.

En même temps vous êtes contre les tours ?

D.B.: Il faut regarder le bilan global des tours. Elles ne me choquent pas par principe mais il y a des choix à faire. Si l’on veut garder de la pleine terre au sol naturel, il faut bâtir plus densément. Et sans doute plus haut. Mais souvent, on construit des tours sans préserver plus de sol par ailleurs. Il faudrait, comme c’est le cas à Arcueil, accorder des droits à construire en hauteur supplémentaires à condition d’être vertueux et de laisser de la place à la pleine terre. Nous nous sommes fait attaquer à Arcueil où nous prévoyons deux bâtiments hauts, un de neuf et un de sept étages, afin de libérer du sol pour recréer un parc en centre-ville, ce qui est rarissime. J’ai été maire 20 ans, je n’ignore pas les contraintes de l’urbanisation. Mais il faut que la nature retrouve une présence, par ailleurs bienfaisante, utile.

Il s’agit aussi de repenser le modèle d’approvisionnement alimentaire métropolitain ?

D.B : L’alimentation représente 30 % des émissions de CO2 de la métropole. Faut-il importer tant d’avocats d’Amérique latine, doit-on manger des cerises à Noël ? Une partie des émissions de GES liées à l’alimentation est facile à diminuer. On a quitté cette logique, qui prévalait encore au début du XXe siècle, selon laquelle la campagne environnante nourrissait la ville. L’Arpajonnais, qui est l’ancêtre du RER, acheminait les marchandises du sud de l’Ile-de-France au centre de Paris. Aujourd’hui, à Paris, la probabilité de manger du pain dont la farine est produite en Ile-de-France est faible. Les rencontres agricoles du Grand Paris ne vont pas réinventer la politique agricole commune de l’Union européenne. Mais c’est aussi un sujet intéressant à questionner. Je suis frappé du fait que les jeunes agriculteurs sont très sensibles à ce sujet. Ils gagnent mal leur vie, font l’objet d’une méfiance de la part des urbains qui ne savent pas ce qu’ils mangent. Vous connaissez la blague : avant, lorsque l’on passait à table, on disait bon appétit, maintenant on dit bonne chance. Le métier est très dévalorisé. Les agriculteurs sont donc demandeurs de ce dialogue. D’autant qu’aujourd’hui, la clientèle pour une agriculture bio, avec moins d’intrants, est énorme. Ces rencontres agricoles vont nourrir des dynamiques déjà présentes. En permettant aux gens de se confronter les uns aux autres, nous serons meilleurs pour définir nos propres axes de soutien. Faut-il aider des start-up ? Lesquelles ? Notre choix jusqu’à présent a été de ne pas choisir. On a financé une partie de la tour maraîchère de Romainville – un prototype assez rare – que certains contestent, en soulignant le coût de production de salades produites dans une serre urbaine verticale qui a représenté plusieurs millions d’euros d’investissements. On finance aussi des fermes urbaines lowtech et on incite les promoteurs à intégrer l’agriculture urbaine.

Thibaud Pereira, directeur en charge de l’administration de Planète Lilas, ferme soutenue par le conseil départemental du Val-de-Marne, qui produit l’équivalent de 70 paniers d’Amap par semaine. © Jgp

Pour certains, l’agriculture urbaine est une affaire de bobos ?

D.B : Il suffit de regarder qui sont aujourd’hui les agriculteurs urbains, et les gens qui s’engagent dans les jardins partagés, pour être convaincu du contraire. Arcueil possède un jardin partagé dans une maison des solidarités qui accueille des bénéficiaires du RSA. Les jeunes agriculteurs n’ont pas grand-chose à voir avec l’image d’Epinal des bobos. L’humain fait partie de la biodiversité. La première demande des gens lors des consultations sur le Scot, c’est d’avoir plus de nature. Et les jardins rendent heureux.

« Agriculture urbaine, de la ferme à l’assiette »

Le 28 novembre aux Grands Voisins

17h45 : Accueil du public

18h05 : Mot d’accueil, par Carine Petit, maire du 14e arrondissement, et Daniel Breuiller, vice-président de la métropole du Grand Paris délégué à la mise en valeur du patrimoine naturel et paysager, à la politique de la nature et à l’agriculture en ville

18h20 : « Manger local : utopies et réalités » par Laure de Biasi, chef de projet agriculture et alimentation durable, Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France

18h35 : « Manger local : mode marginale ou tendance de fond ? » par Eric Birlouez, ingénieur agronome, historien et sociologue de l’alimentation

18h50 : « L’autoconsommation dans les quartiers populaires : le cas du quartier la Mare à la Veuve (Bondy) » par Joëlle Motte, présidente de l’association les « Jardins pour tous », et par Boujemaa El Kasmi, maire adjoint au développement durable et aux déplacements urbains de la ville de Bondy

19h05 : Table ronde : « Produire en ville, nourrir les urbains ». Table ronde animée par Arnaud Ulrich, Upcycle / Association française d’agriculture urbaine professionnelle

∙         Xavier Laureau, cogérant des Fermes de Gally

∙         Améla du Bessey, cofondatrice, Bien élevées

∙         Théo Champagnat, cofondateur de Cycloponics – La Caverne

∙         Jean-Patrick Scheepers, fondateur de Peas & love

∙        Direction de la RSE Groupe Franprix

19h45 : Echanges avec la salle et conclusions

20h : Cérémonie de remise des prix du 3e concours des miels de la métropole du Grand Paris

21h : Cocktail

Culture de micro-pousses sous LED à la Caverne, ancien parking d’une résidence d’ICH Habitat géré par le start-up Cycloponics dans le XVIII° arrondissement de Paris. ©JGP

Les conférences à venir  :

* « Peut-on construire une ville agricole ? » Maison de l’architecture, 13 février 2019.

* « Agriculture des villes, agriculture des champs, quels liens ? » au salon de l’Agriculture, février 2019.

* « Agriculture, des services urbains », 27 mars, université de la Sorbonne (date à confirmer)

* « L’animal d’élevage en ville, pour quoi faire ? » Ecole vétérinaire d’Alfort, 10 avril 2019.

* « Les terres du Grand Paris », Ecole du paysage de Versailles, 20 mai 2019.

* « Que faire ? Boîte à outils agricoles pour les élus et les habitants », juin 2019.

 

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