Tout en « relativisant » l’impact de la crise sanitaire sur les finances locales, estimé à 7,3 milliards d’euros, le député du Gers et président de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale Jean-René Cazeneuve invite, dans le rapport remis le 29 juillet au Premier ministre, l’Etat à continuer à soutenir les collectivités locales. Ces dernières doivent devenir les « acteurs centraux du plan de relance », et constituer des réserves « anti-crise », estime le parlementaire.
« La crise a coûté 7,3 milliards d’euros aux collectivités territoriales, soit 3,6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement », indique Jean-René Cazeneuve. Ce montant résulte de la baisse des recettes fiscales (- 5,2 milliards) et tarifaires (- 2,3 milliards), ainsi que des dépenses supplémentaires consécutives à la crise (3,6 milliards), en partie amorties par la croissance de certains impôts (+ 2,4 milliards) et des économies de fonctionnement (1,4 milliard). Un impact à « relativiser » selon le député du Gers au regard des recettes globales du secteur local (210 milliards d’euros en 2019).
De plus, les collectivités sont entrées dans la crise « en bonne santé » financière, « bien meilleure que celle de l’Etat », avec notamment une capacité de désendettement de 4,5 années et quelque 44 milliards d’euros de trésorerie, révèle le rapport réalisé par Jean-René Cazeneuve. Cependant, les effets diffèrent selon les niveaux de collectivités et même d’une strate à l’autre pour un même niveau.
Effet de ciseaux pour les départements
Ainsi, si le bloc communal et les départements sont les plus impactés cette année (- 2,9 milliards d’euros chacun), les régions (- 1,5 milliard) devraient subir des pertes plus importantes en 2021 qui « impacteront leurs capacités d’investissement ». En effet, la contraction de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) consécutive à celle du PIB se répercutera l’année prochaine.
Les départements sont, quant à eux, confrontés à un fort effet de ciseaux : ils subissent, d’une part, « l’augmentation structurelle, prévisible et probablement durable de leurs dépenses sociales », et, d’autre part, la baisse immédiate des recettes issues du marché́ immobilier (DMTO) estimée à – 2,3 milliards d’euros (hors ville de Paris – 1,2 milliard en 2019 – et métropole de Lyon – 370 millions-). A titre d’exemple, la Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus éprouvés par le coronavirus avec un taux de surmortalité́ de près de 130 % entre le 1er mars et le 27 avril 2020 (le plus élevé́ d’Ile-de-France), a engagé 35 millions d’euros de dépenses « contraintes et volontaires », ainsi qu’un plan de rebond solidaire et écologique de 55 millions d’euros.
Le rapport anticipe de plus une « probable dégradation » du Fonds de Solidarité́ Logement (FSL) en sortie de crise pour certains départements, notamment franciliens, avec « l’explosion des impayés déjà signalés par plusieurs bailleurs sociaux et privés du territoire ». Pendant la crise, les ménages les plus défavorisés ont effectué des arbitrages budgétaires entre le paiement du loyer et l’achat de denrées alimentaires. Selon les relevés de Seine-Saint-Denis Habitat, premier bailleur social du département avec 32 000 locataires, 2 500 ménages ont constitué́ une dette moyenne de 500 euros chacun pendant le confinement. Un fonds de 4 millions pourrait financer une aide de 480 euros pour 8 000 familles.
La péréquation mise à mal
Du côté de la péréquation, le fonds national de péréquation des DMTO, créé en loi de finances pour 2020, devrait baisser en 2021. Alors qu’en 2020, le prélèvement total atteint un point haut historique (1,68 milliard d’euros), le montant total du fonds ne serait que de 1,4 milliard, soit 280 millions de moins qu’en 2020. « A compter de 2022, le rebond des DMTO en 2021 devrait entraîner, toutes choses égales par ailleurs, une remontée du niveau du fonds », prévient le rapport.
En matière de péréquation intercommunale, si le montant du Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) est stable cette année (1 milliard d’euros), celui du FSRIF (Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France) en revanche doit progresser de 20 millions d’euros, soit 350 millions prélevés contre 330 millions en 2019. « Cette augmentation pose la question de la soutenabilité des prélèvements pour des communes qui peuvent, par ailleurs, connaître des baisses de recettes à plusieurs titres », interpelle le rapport Cazeneuve. « Les communes considérées comme aisées pour la répartition seront probablement touchées de manière plus importante par ces baisses de recettes et connaîtront donc un effet de ciseaux relatif avec la hausse du prélèvement ». Ainsi, Paris porte la moitié de la hausse de 20 millions d’euros du FSRIF en 2020.
Observatoire de suivi de l’impact de la crise
Pour amortir les effets de la crise, la troisième loi de finances rectificative (LFR3) a prévu un soutien de 4,5 milliards aux collectivités et un panel de mesures (suspension des contrats financiers conclus avec l’Etat, avances de trésorerie, garantie de la continuité budgétaire…), mais « cela ne suffira pas », prévient Jean-René Cazeneuve, car même s’il anticipe un rebond de certaines recettes fiscales en 2021, d’autres chuteront (CVAE et DMTO).
« Il faut créer un observatoire de suivi de l’impact de la crise sur les finances locales », suggère le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, « car les incertitudes liées à l’évolutivité́ de la situation sont encore nombreuses et rendent très difficile, à ce stade, une anticipation et un chiffrage sans faille de l’ampleur des pertes ». Cet outil permettra de réactualiser si possible tous les deux mois l’ensemble des coûts engendrés par la crise au regard de l’évolution des recettes.
Jean-René Cazeneuve milite également en faveur d’une loi de programmation des finances locales, et préconise également de créer des outils comptables permettant aux collectivités de constituer des réserves anti-crise, d’assurer une péréquation horizontale entre les régions, de mettre en place des « serpents budgétaires » pour les départements et les régions afin d’encadrer les variations de leurs ressources, et de lancer une « nouvelle génération » de contrats entre l’Etat et les collectivités locales, le premier s’engageant à maintenir ses dotations et les secondes à investir. Enfin, le député du Gers souhaite que les élus locaux soient « les principaux acteurs » du plan de relance qui doit être « territorialisé » de manière à partir des besoins des territoires, aves les régions en chef de file.
Perte de 1,75 milliard pour IDF mobilités
Parmi ses 32 recommandations, le rapport Cazeneuve préconise « d’accorder un soutien spécifique et fort aux transports publics » comprenant la compensation des pertes de versement mobilité et l’étalement sur trois ans de la charge des subventions d’équilibre versées aux budgets annexes de transport.
En effet, la perte globale du versement mobilité est estimée en 2020 à 10 % et entre 14,5 % et 22 % pour IDF mobilités (450 millions d’euros sur 4,5 milliards perçus en 2018), dont il s’agit de la principale ressource (43 % du budget). La perte de recettes tarifaires atteindrait de son côté en 2020, 1,4 milliard sur 4 milliards (2018). Au total, le manque à gagner total est estimé à 1,75 milliard d’euros en 2020.
« Les réserves de trésorerie d’IDFM sont faibles et seront insuffisantes pour continuer à verser la rémunération des opérateurs de transports », prévient le rapport. « N’ayant jamais pu emprunter plus de 600 millions pour couvrir son besoin de trésorerie, il est peu probable qu’IDFM puisse recourir à l’emprunt pour couvrir ses besoins immédiats. L’établissement public serait ainsi contraint de diminuer, voire d’interrompre ses versements aux opérateurs ».
Mais les conséquences vont au-delà puisque Ile-de-France Mobilités finance la totalité des investissements des opérateurs RATP/SNCF/OPTILE (2,5 milliards d’euros par an), hors nouvelles infrastructures de transport. Aussi, l’Etat pourrait « privilégier des interventions directement auprès des opérateurs, en particulier dans le cas de la région Ile-de-France qui semble dans l’incapacité de soutenir IDFM », ajoute dans ses recommandations Jean-René Cazeneuve.