Bail réel solidaire (BRS) : une bonne idée à généraliser dans le secteur libre ?

Depuis la création des organismes de foncier solidaire (OFS) par la loi Alur, puis du bail réel solidaire par l’ordonnance du 20 juillet 2016, l’intérêt pour ces innovations est très vif. Un décryptage de Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée d’Espacité, et Xavier Lièvre, notaire associé, 14 Pyramides notaires.

Rappelons que ce nouveau contrat part d’une idée simple : celle de dissocier la valeur du foncier de celle du logement venant des community land trusts anglo-saxons, avec l’objectif économique consistant à développer une offre de logements durablement accessible. Pour cela, un nouvel acteur a été créé (les OFS), dont l’objectif est de consentir un nouveau type de bail à droit réel conférant au ménage qui en est titulaire l’accession à la propriété de son logement (art. L. 255-1 et s. CCH).

Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée d’Espacité, et Xavier Lièvre, notaire associé, 14 Pyramides notaires. ©DR

La cible est claire : les ménages sous les seuils dits PSLA (prêt social location-accession), et qui en Ile-de-France correspondent à 52 000 euros/an pour un ménage de deux personnes dans la zone la plus centrale de l’Ile-de-France.

Une mécanique juridique simple dans ses principes

La mécanique juridique pour obtenir ce caractère durablement accessible est, elle aussi, simple dans les principes, même si elle est parfois plus complexe dans la mise en œuvre détaillée : le BRS est rechargé pour sa durée initiale à l’occasion de chaque cession ou transmission, et le prix en est bloqué par le plafond PSLA et par l’évolution d’un indice (généralement l’indice de révision des loyers de l’Insee ou indice du coût de la construction).

Bien que ce nouveau dispositif n’en soit encore qu’à ses débuts, les OFS connaissent un fort développement, avec une vingtaine d’organismes agréés par les services de l’Etat et tout autant en projet. Ces initiatives sont aujourd’hui portées par trois familles d’acteurs principaux : les collectivités locales, les organismes de logement social – dont les coopératives HLM ont été le fer de lance – et les établissements publics fonciers.

Au sein de l’Ile-de-France, la seule ville de Paris a annoncé la création de 1 000 logements en BRS d’ici à 2022, qui viennent s’ajouter aux 1 500 logements d’ores et déjà planifiés pour l’année 2024 par les deux premiers OFS créés au sein de la région, La Coop foncière francilienne et Habitat et humanisme.

Au sein de l’Ile-de-France, la seule Ville de Paris a annoncé la création de 1000 logements en BRS d’ici à 2022. © Jgp

Maintenir des prix modérés sur la durée

Le BRS présente en effet des atouts indéniables pour ses initiateurs. Il permet d’optimiser l’argent mobilisé en faveur de l’accession sociale, en maintenant son caractère abordable sur la très longue durée grâce aux mécanismes évoqués ci-dessus. Dans certains territoires très tendus comme celui de la ville de Paris, c’est la condition sine qua non pour mettre à disposition des terrains à des conditions économiques avantageuses. Les mécanismes de financement traditionnels présentaient en effet le risque de voir ces aides capturées à la revente par les ménages ayant l’aubaine d’en bénéficier avec la possibilité de dégager des plus-values parfois exorbitantes.

Dans les territoires n’accordant pas de financement particulier, comme c’est souvent le cas en Ile-de-France, les mesures fiscales permises par la loi (vente en TVA réduite) et le portage dans la très longue durée des coûts du terrain permettent de rendre cette accession sociale possible alors qu’elle ne le serait bien souvent pas en pleine propriété. L’engouement est fort tant dans les communes dites carencées, car les BRS sont considérés comme des logements sociaux et permettent à ces communes de créer une accession sociale entrant dans les quotas SRU, que dans les communes plus populaires où l’accession à la propriété est un vecteur de mixité sociale avec une sécurité particulière apportée par le modèle BRS (agrément des ménages, garantie de rachat à certaines conditions, accompagnement de l’OFS).

Des stratégies multiples

Les stratégies de développement des OFS sont multiples. Leur mode opératoire l’est tout autant. La Coopérative foncière francilienne a été créée pour soutenir l’activité des coopératives HLM et organismes de logement social de la région, dans un partenariat étroit avec les collectivités qui peuvent en être actionnaires ou associées. Celui créé par Habitat et humanisme a vocation à travailler avec les promoteurs privés, comme leurs premières opérations en Ile-de-France le montrent.

Certains organismes HLM réfléchissent aussi à se faire agréer pour substituer à la vente HLM la constitution de BRS, comme cela est prévu depuis la loi Elan de fin 2018. Certains réservent leur intervention dans le neuf tandis que d’autres expérimentent d’ores et déjà la réhabilitation d’immeubles anciens, comme l’a démontré Habitations populaires à Pantin.

Très convaincus de la puissance du modèle, nous avons conduit un certain nombre de travaux prospectifs permettant d’ouvrir de nombreuses portes (vente HLM en BRS pour le compte de Logeo et de l’Union sociale pour l’habitat et la Fédération coop HLM, intervention dans les quartiers anciens en renouvellement urbain pour l’Anru, etc.), démontrant en cela la très grande diversité des terrains d’application du modèle.

Un potentiel de développement important

Ce modèle du BRS en est encore à ses prémices mais son potentiel apparaît très important aux yeux des acteurs du secteur. C’est la raison qui a conduit le législateur à souhaiter aller plus loin dès à présent en mettant en place un système de démembrement de la propriété plus large que la seule accession sociale. C’est l’objet de la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français, portée par le député Jean-Luc Lagleize, actuellement en commission au Sénat [adoptée en commission le 4 mars et programmée en séance publique le 1er avril 2020]. Elle propose de créer des « offices de foncier » et un « bail réel » calqués sur le modèle des OFS et du BRS mais détachés de leurs contraintes de prix et de revenus, et largement ouverts au secteur privé.

La loi Laglaize propose de créer des « offices de foncier » et un « bail réel » calqués sur le modèle des OFS et du BRS mais détachés de leurs contraintes de prix et de revenus, et largement ouverts au secteur privé. © Jgp

Si les députés ont adopté à l’unanimité cette proposition, ils ont souhaité accorder au gouvernement un temps d’approfondissement et de maturation. Le modèle des « offices fonciers » porté dans ce cadre pourra être imaginé par le gouvernement, l’Assemblée nationale l’autorisant à légiférer par ordonnance sur ce projet.

Ces perspectives soulèvent en effet de réelles interrogations, d’un point de vue tant méthodologique que politique : Comment établir des valeurs de référence sur un marché encore naissant ? Comment endiguer réellement l’inflation des prix sans poser de contraintes de plafond mais en faisant uniquement le présupposé que la connaissance des prix permet la régulation ? Comment concilier les attentes de rémunération des fonds investis par le secteur privé et la maitrise de la spéculation ? Comment ne pas fragiliser le modèle actuel d’une accession à vocation sociale, en le fusionnant dans un régime plus général ?

Ces quelques questions montrent toute la subtilité de l’exercice restant à conduire dans le cadre des travaux menés actuellement, avec une publication projetée au printemps de cette année. Si l’issue de ces travaux reste incertaine, il conviendra d’anticiper les conditions opérationnelles du déploiement éventuel de ce nouveau modèle, en prenant appui sur les acquis du BRS tout en ayant un regard lucide sur ses conditions de généralisation.

Les réponses envisagées par cette proposition de loi peuvent être l’opportunité de rechercher d’autres solutions intermédiaires entre le BRS et le marché libre, permettant une accession à la propriété progressive ou démembrée, pleinement sécurisée dans la durée. C’est cette perspective d’une finalité claire, adossée sur des instruments opérationnels cohérents, qui doit pouvoir guider les travaux et réflexions des uns et des autres.

Anne-Katrin Le Doeuff, directrice générale déléguée d’Espacité

Xavier Lièvre, notaire associé, 14 Pyramides notaires

Consultez :

la liste des organismes agréés et en projet sur le site du ministre de la Cohésion des territoires.  

La proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français

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