Les architectes franciliens remontés contre la privatisation de la fabrique de la ville

Le glissement de la commande publique vers le privé irrite la profession qui déplore une uniformisation des programmes et la faible part de rémunération accordée à la maîtrise d’oeuvre. Pour inverser la tendance, les architectes d’Ile-de-France veulent redevenir des acteurs à part entière de la construction de la ville et formulent une vingtaine de propositions.

Les échanges ont été assez vifs lors de la seconde soirée de restitution des travaux du Laboratoire des marchés privés professionnels de l’ordre des architectes d’Ile-de-France le 9 novembre 2016 aux Récollets. Alors qu’il devait être question de savoir si « rentabilité et qualité sont conciliables dans la commande privée professionnelle ? », le débat s’est focalisé sur la première partie de l’interrogation.

Christian Robache, maire de Montévrain (Seine-et-Marne), Willem Pauwels, directeur de Paris sud aménagement, et Gilles Bouvelot, directeur général de l'établissement public foncier d’Ile-de-France

De g. à dr. : Willem Pauwels, directeur de Paris sud aménagement, Christian Robache, maire de Montévrain, et Gilles Bouvelot, directeur général de l’EPF d’Ile-de-France, le 9 novembre. © JGP

Outre leur perte d’influence sur les projets immobiliers issus d’une consultation publique, les architectes présents ont déploré la dégradation des conditions financières dans lesquelles ils exerçaient leur profession, de plus en plus laissée pour compte dans les opérations conclues entre acteurs publics et promoteurs. Le foncier, la construction et la promotion s’arrogent la part du lion, « la maîtrise d’œuvre devenant une résultante », ont-ils dénoncé.

« Confrontation et rapport de force permanents »

Les intervenants, à savoir Christian Robache, maire de Montévrain (Seine-et-Marne), Willem Pauwels, directeur de Paris sud aménagement, et Gilles Bouvelot, directeur général de l’établissement public foncier d’Ile-de-France, ont reconnu un report très net et quasiment inéluctable de la commande publique vers le privé, qu’ils imputent à plusieurs facteurs : la contraction des finances publiques, la raréfaction du foncier, l’évolution même du métier de la promotion immobilière, mais aussi des mentalités des habitants. « La ville se produit différemment et de nouveaux modèles se mettent en place », a convenu Willem Pauwels reconnaissant que « la confrontation et le rapport de force étaient permanents » pour lutter contre la spéculation.

« On essaie de s’adapter aux changements des mœurs et aux méthodes de construction de la ville durable, a témoigné de son côté Christian Robache, mais un maire ne fait pas que de l’urbanisme, il est aussi financier, professeur des écoles, policier… » Le triptyque élu, architecte et promoteur est, pour cet élu seine-et-marnais, capital notamment pour garantir la qualité architecturale des programmes, leur cohérence avec le territoire et leur adaptation aux attentes des habitants.

Retrouver la « part artistique du métier » d’architecte

Jean-Michel Daquin.

Jean-Michel Daquin. © JGP

Sauf que dans la réalité, ce triptyque devient de plus en plus bancal. Jean-Michel Daquin a souligné les dérives de cette inexorable tendance vers la privatisation de la fabrication de la ville. Pour le président de l’ordre des architectes d’Ile-de-France, on se trouve face à des projets tout faits sans identité et avec de petits logements. Le Laboratoire des marchés privés indique que, en dix ans, un trois pièces a perdu 10 m2, soit l’équivalent d’une pièce. Les qualités architecturale, d’usage et de vie se trouveraient dès lors sacrifiées sur l’autel de la productivité et de la rentabilité, tandis que les opérations immobilières se résument à des tableaux Excel…

« Les architectes ne sont pas là pour apporter des réponses toutes faites. Nous sommes au bout de ce type de production, a martelé Jean-Michel Daquin, il faut changer de paradigme afin d’éviter de créer les copropriétés dégradées de demain. » Rappelant au passage qu’ils sont aussi des entrepreneurs, les architectes ont interpellé les intervenants sur leur nécessité de retrouver non seulement de l’oxygène financier, mais aussi « la part artistique de leur métier », en jouant davantage un rôle de conseiller auprès des élus. « Pourquoi pas », a répondu Christian Robache, toujours à la recherche de conseils avisés, « vous avez un rôle de mise en garde à jouer, mais comment mettre cela en œuvre ? »

Equilibre entre relations humaines et négociation

Tout l’enjeu consiste à satisfaire les intérêts de chaque intervenant : le maître d’ouvrage qui aménage et construit la ville sur le long terme, le promoteur qui est un commerçant et cherche à faire de la marge, et l’architecte censé garantir la qualité architecturale des programmes. Ancien promoteur, Gilles Bouvelot a rappelé que cet équilibre fonctionnait sur « les relations humaines », tandis que pour Willem Pauwels, il s’obtient par la négociation. « Si je vends un terrain dans le cadre d’une consultation de promoteurs, je fixe les conditions financières afin d’avoir un prix de construction tenable et un prix de sortie acceptable », détaille-t-il.

Le directeur de Paris sud aménagement impose une mission complète au promoteur et va même jusqu’à s’immiscer dans le contrat entre l’architecte et le promoteur sans toutefois négocier les honoraires de l’architecte qui certes représentent « une infime part du montant d’une opération », a-t-il admis.

« Le contournement des règles est usant »

S’il considère légitime la recherche de rentabilité des promoteurs, le maire de Montévrain ne rentre pas pour autant dans les aspects financiers des opérations. En revanche, il exige des projets avec des « cahiers des charges bien fixés ». « Il faut trouver la meilleure alchimie entre les trois acteurs du triptyque sinon, on risque de planter un quartier, un projet, voire une ville, a martelé Christian Robache. Beaucoup d’acteurs essaient de contourner les règles et ne respectent pas les programmes prévus, c’est usant. »

Pour faire face aux conséquences de cette privatisation grandissante et remettre la maîtrise d’oeuvre au cœur des projets, les architectes franciliens suggèrent de revoir les modalités des consultations, simplifier les normes et procédures administratives, faire respecter les règles. Le Laboratoire des marchés privés émet de son côté une vingtaine de propositions pour mieux affronter les règles du privé, autour de plusieurs thèmes : œuvrer à une culture commune, travailler à « livre ouvert », valoriser les bonnes pratiques, encourager la R&D et innover.

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